Pina Bausch au festival d'Avignon avec Café Müller et Le Sacre du printemps

07 juillet 1995
02m 17s
Réf. 00866

Notice

Résumé :

En 1995, Pina Bausch danse Café Müller dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes pour le festival d'Avignon. Images de Café Müller et du Sacre du Printemps qui complète le programme. Quelques phrases de la chorégraphe ainsi que de l'une de ses interprètes emblématiques Malou Airaudo.

Date de diffusion :
07 juillet 1995
Source :
FR3 (Collection: 19/20 )

Éclairage

Café Müller (1978) occupe une place unique dans l'œuvre de la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009 ). Pièce-monument, d'une force esthétique et émotionnelle renversante, elle fut interprétée par Pina Bausch elle-même pendant de nombreuses années. Depuis une dizaine d'années, le rôle en a été confié à Elena Pikon, pilier de la troupe depuis le milieu des années 70 et exceptionnelle danseuse. Sur le plateau encombré de chaises et de tables, deux femmes, habillées en nuisette ou combinaison, semblent se faire écho. L'une se précipite en courant dans la salle, heurtant les chaises qu'un homme tente d'écarter devant elle. L'autre (Pina Bausch), les yeux fermés, les bras ouverts tendus devant elle, répercute de façon assourdie les chocs vécus par la première.

Evidemment, on ne peut s'empêcher devant Café Müller de penser au restaurant que tenaient les parents de Pina Bausch, à Solingen, petite ville située à quelques kilomètres de Wuppertal. Ni de se rappeler la façon dont la chorégraphe racontait, qu'enfant, elle se glissait sous les tables pour écouter et regarder le monde des adultes. N'est-ce pas cette vision originelle des rapports humains, des relations hommes-femmes, interceptés entre les pattes des tables et des chaises, que Pina Bausch a ensuite sublimée sur scène sans en évacuer la cruauté. Inoubliable la scène aujourd'hui mythique au cours de laquelle un danseur place une femme dans les bras d'un autre homme qui la laisse tomber à la seconde et ainsi de suite, à répétitions, de plus en plus vite.

Les motifs de fond de Pina Bausch trament d'un fil douloureux tout Café Müller : la solitude, l'errance, la difficulté de vivre, la désillusion amoureuse, la perte... Sur les partitions de The Fairy Queen et de Didon et Enée de Henry Purcell, dont sont extraites les deux arias soutenant la pièce, la plainte d'amour de Pina Bausch trouve ici un accent majeur. Curieusement, alors qu'on ne connaît aujourd'hui que le Café Müller de Pina Bausch, il s'agissait à l'origine du titre générique d'une soirée en 4 parties, quatre pièces respectivement signées par les chorégraphes Gerhard Bohner, Gigi Caciuleanu, Hans Pop et Pina Bausch elle-même. D'un accord commun, ils avaient décidé de créer chacun un spectacle à partir des mêmes paramètres : une salle de café (décor Rolf Borzik), l'obscurité, quatre personnages... Seul le spectacle de Pina Bausch, d'un durée d'une demi-heure, a survécu. Il est généralement programmé couplé avec Le Sacre du Printemps sur la musique de Stravinski, comme c'est le cas pour cette édition du Festival d'Avignon.

Côte à côte, ces deux pièces composent un programme bauschien de pure beauté. Créées à trois ans d'intervalle, elles ramassent quelques-uns des enjeux artistiques du Tanztheater Wuppertal. Rien que la longue nuisette portée par les femmes dans Le Sacre, puis par Pina Bausch dans Café Müller est un trait d'union. Le travail des bras, des torsions et des spirales du corps des danseuses, augurent de ce qui va devenir l'une des constantes de l'écriture de la chorégraphe.

C'est en décembre 1975, un an après son arrivée à l'opéra de Wuppertal, que Pina Bausch décide de mettre en scène Le Sacre du Printemps sur la partition d'Igor Stravinsky. Elle s'écarte du livret de la pièce chorégraphiée en 1913 par Vaslav Nijinski pour dresser face à face le groupe des femmes et celui des hommes. Une élue, désignée par le hasard et un chiffon de tissu rouge sang, en sortira pour danser à mort. Cette relecture, sans doute l'une des plus magnifiques et anxiogènes de toutes les versions que l'on peut encore voir, concentre en 35 minutes la peur et l'effroi d'un sacrifice. Lorsque l'élue désignée est mise à nu pour enfiler la fameuse robe rouge, un frisson glacial parcourt le plateau et la salle. La puissance dévastatrice de la pièce tient aussi beaucoup au sol en terre – la scénographie est signée Rolf Borzik (1944-1980) - qui va peu à peu recouvrir les corps et les visages.

Interprétée par sa compagnie, le Tanztheater Wuppertal, cette pièce pour 32 danseurs (16 hommes et 16 femmes), véritable monument dans l'œuvre de Pina Bausch et l'histoire de la danse, marque un tournant. Depuis son arrivée à l'opéra, la chorégraphe est rejetée par le public, fan de ballet classique. Elle reçoit des menaces par téléphone. Lorsqu'elle décide de se tourner vers de grandes partitions musicales, elle sait que la force de ce répertoire est un atout. Son écriture prend son élan : bras immenses qui emportent le mouvement, torsions des corps, mains qui frappent les genoux. Energie viscérale maintenue à un taux palpitant par le travail sur les ensembles, le chœur. En cercle élargi ou resserré, se déplaçant sur le plateau, d'un côté les hommes, de l'autre les femmes, Pina Bausch active les groupes comme des masses.

Le Sacre du printemps a été confiée par Pina Bausch en 1997 au Ballet de l'Opéra de Paris. L'élue (Géraldine Wiart) fut choisie par la chorégraphe elle-même. Idem pour les rôles d'Orphée et Eurydice, opéra dansé créé en mai 1975, qui est entré au répertoire 2004. La troupe parisienne est la seule compagnie au monde à qui Pina Bausch a accepté de donner ses pièces. Toutes deux appartiennent à cette veine expressive, lyrique et théâtrale, liée à des partitions musicales imparables, des années 70. Cette période marquante verra naître nombre de pièces majeures comme Les sept péchés capitaux (1976), Barbe-Bleue (1977), Kontakthof (1978) ou encore Arien (1979). Le style Pina Bausch est né et avec lui l'identité d'un Tanztheater hautement singulier, théâtre du mouvement intime des êtres auquel Pina Bausch donne forme et élégance. La version du Sacre du Printemps de Pina Bausch appartient au peloton de tête des relectures les plus solides et les plus bouleversantes depuis la chorégraphie de Vaslav Nijinski (1889-1950), sur la partition d'Igor Stravinsky (1882-1971). Quelques 200 chorégraphes en tous genres de Mary Wigman à Paul Taylor en passant par Maurice Béjart se sont risqués sur ce terrain délicat.

Rosita Boisseau

Transcription

Présentateur
A présent, au 49ème festival d’Avignon, qui commence ce soir, ce grand rendez-vous annuel de la culture proposera une cinquantaine de spectacles et ouvre, ce soir, sur la prestation de la danseuse allemande, Pina Bausch. Reportage de Dominique Poncet et Marc Félix.
(Bruit)
Journaliste
C’est donc à cette longue dame brune au visage émacié qu’on a confié la lourde tâche d’ouvrir ce soir, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, le 49ème festival d’Avignon. À elle, Pina Bausch, dont depuis 25 ans les chorégraphies fascinent le monde ; parce qu’elle ne cesse d’explorer la souffrance, le désespoir, la violence et l’incommunicabilité humaine. Pina dansera ce soir dans la Cour parce que Café Müller, créé en 1975, est le seul ballet où elle accepte de se produire.
(Musique)
Pina Bausch
Oui, il y a 20 ans que j’ai créé cette pièce et le temps a donc passé. Le lieu pour le danser est également, évidemment, différent. Il est plus vaste, à ciel ouvert, mais l’émotion est intacte et c’est ça qu’il s’agit de partager, l’émotion.
(Musique)
Malou Airaudo
Je ressens toujours chez Pina l’envie de trouver la qualité, la belle chose de la personne. Et aussi, bien sûr, de laisser sortir tout ce qu’il y a dans l’être humain.
(Musique)
Pina Bausch
Le lieu est magnifique et on doit y jouer avec les éléments, le vent surtout, qui s’engouffre dans les robes. Ça donne des sensations inattendues. Ça n’est pas difficile, c’est différent.
(Musique)
Journaliste
En deuxième partie, Le Sacre du printemps . Un ballet dont la gestuelle, là aussi d’une violence inouïe, est comme une parabole sur destin de l’homme ; qui est de lutter pour vivre mais dont la mort est le point final. Comme d’habitude, il y aura sans doute, ce soir, un long silence avant que les spectateurs, soufflés, puissent enfin applaudir.