La danse contemporaine française et Dominique Bagouet

20 septembre 1986
11m 11s
Réf. 00890

Notice

Résumé :

Des personnalités comme Guy Darmet, directeur de la Maison de la danse, à Lyon, et Jean-Paul Montanari, donnent leur point de vue sur le phénomène de la danse contemporaine française. Le journaliste François Cohendy tente d'identifier le style de Dominique Bagouet. Le chorégraphe, aux côtés du compositeur contemporain Pascal Dusapin, évoque son parcours.

Date de diffusion :
20 septembre 1986

Éclairage

En 1986, la danse contemporaine française prend son essor. Des noms surgissent, des langues chorégraphiques se délient. Régine Chopinot, Philippe Decouflé, Jean-Claude Gallotta, François Verret, Mathilde Monnier... grimpent en haut de l'affiche. Parmi ces artistes, Dominique Bagouet (1951-19992) se distingue par un style intrigant, structuré par la danse classique, énervé par la vie. Des personnalités comme Guy Darmet, directeur de la Maison de la danse, à Lyon, et Jean-Paul Montanari, directeur du festival Montpellier Danse, flairent la lame de fond, celle qui va bouleverser l'histoire de la danse, et plus généralement celle de l'art.

Dans les années 70, les spectacles des américains Merce Cunningham, Trisha Brown, ont posé les jalons de l'abstraction. Alwin Nikolais, mais aussi ses interprètes Carolyn Carlson et Susan Buirge, installées à Paris, font pousser les germes d'un geste chorégraphique d'auteur. L'Allemande Pina Bausch a secoué les esprits avec son Tanztheater enraciné dans les histoires intimes des danseurs. Maurice Béjart, figure d'un néo-classique teinté de théâtralité, tient le haut du pavé. Le Concours de Bagnolet, lancé en 1968 par Jaques Chaurand pour promouvoir des pièces qui n'avaient aucun lieu de diffusion, sert de tremplin... La photo de famille est tirée : la nouvelle danse française va naître.

Les chorégraphes, dont la plupart ont une formation de danse classique, se dressent contre sa virtuosité, son élitisme, son enfermement. Ils rêvent d'un nouveau vocabulaire pour des scénarios contemporains inconnus. C'est le "boum". Pour quelles raisons la danse contemporaine a-t-elle eu autant de succès ? "Parce qu'elle était proche du public, de la vie de tous les jours et des problèmes de chacun", commente Jaques Chaurand. "Je pense que les spectateurs ont profondément besoin de cette proximité avec l'art."[1]

L'effervescence est à son comble. Liberté farouche, absence de tabou, joie de vivre, la danse a la foi dans l'autre, dans l'amour, dans l'art. Dans ce reportage, Dominique Bagouet rend un hommage à la danseuse et pédagogue classique Rosella Hightower dont il suivit les cours tout en pointant combien son vécu, ses lectures, ses voyages, inspirent son travail plus que tout autre chose. "Il est clair que l'écriture des pièces des années 80 se révèle non seulement solide et généreuse mais toujours pertinente", commente le danseur et chorégraphe Jacques Patarozzi, directeur du théâtre de Cognac. "A l'époque, le corps était véritablement l'endroit poétique d'où s'exprimaient les artistes. Et ce qu'ils disaient touchait les gens."[2]

Soutenus par les institutions – en 1981, Jack Lang prend la direction du ministère de la culture -, les chorégraphes foncent. Dominique Bagouet fut l'un des premiers, avec Jean-Claude Gallotta, à Grenoble, à diriger un centre chorégraphique. C'est celui de Montpellier qu'il inaugura en 1980 et dirigea jusqu'à sa mort en 1992. Parallèlement, il initia dès 1981 le festival Montpellier Danse, profitant de la vague de soutien institutionnel – en particulier celle de Georges Frèche alors maire de la ville - qui allait permettre l'épanouissement de la danse contemporaine en France. Un phénomène unique au monde que nombre de pays nous envie, se glissant parfois dans nos traces pour impulser un élan chorégraphique neuf.

[1] Le Monde

[2] Journal ADC, Suisse

Rosita Boisseau

Transcription

Journaliste
Avec tous ces échanges, Amérique, Allemagne et Europe, est-ce qu’il n’y aura pas, un jour, une fusion de ces deux danses ?
Guy Darmet
Ben, c’est peut-être la danse française d’aujourd’hui. Ça paraît un peu étrange de dire cela mais c’est vrai qu’aujourd’hui, il y a en France une création contemporaine tout à fait originale qui n’est plus de la modern dance américaine ; qui n’est pas de l’expressionnisme allemand à la sauce française ; qui est un langage original ; et qui, je crois, a ses sources dans les deux écoles. Alors, c’est peut-être ça la danse de demain. En fait, ça, c’est un très grand cocorico mais je crois que c’est aussi une constatation. Aujourd’hui, dans le monde entier, tout le monde s’intéresse à la danse française.
(Musique)
Journaliste
Dans le panorama de la France actuellement, qu’est-ce qu’on peut dégager de la chorégraphie ? Il y a beaucoup de choses, peu de choses ?
Jean-Paul Montanari
Ben, ce qu’il y a d’intéressant en ce moment, c’est qu’on ne peut rien dégager justement, c’est ça qu’il y a de bien. La danse française, elle est toute jeune, elle a moins de 10 ans. Les premiers qui sont sortis au concours de Bagnolet, c’était en 75, 76, c’est Maguy Marin, Dominique Bagouet. Donc, elle a juste 10 ans, on ne peut encore rien dégager du tout. L’intérêt en France, c’est que toutes les influences se sont superposées les unes aux autres. A partir d’un background, on pourrait dire néoclassique, béjartien, tous sont venus s’ajouter, l’influence américaine et maintenant, l’influence expressionniste, qu’elle soit allemande d’ailleurs, ou japonaise à travers le Butô. Donc, ce qu’il y a de bien en ce moment, c’est que justement rien ne se dégage. Et qu’ils sont tous différents les uns des autres, c’est ce qui fait sa richesse. Je veux dire que Bagouet, Maguy Marin, Régine Chopinot, Jean-Claude Gallotta, Obadia, Bouvier, Karine Saporta, c’est tous des gens qui font des choses très différentes. François Verret, il ne faut pas l’oublier celui-là. Ils font tous des choses très, très différentes et dans des directions totalement différentes les uns et les autres. Donc, on ne dégage rien, on attend.
Journaliste
Comment on peut définir le travail de Bagouet ?
François Cohendy
Ben, Bagouet, c’est peut-être le plus indéfinissable. Alors, ce n’est pas une échappatoire mais c’est vrai que certains le qualifient de néoromantique, d’autres de néobaroque. C’est quelqu’un qui a, on le définit aussi comme une espèce de Fragonard de la chorégraphie parce qu’il a un côté tendre et poétique. Mais il a également beaucoup de force qu’il a puisé, alors lui, dans le, il aime beaucoup le cinéma allemand, par exemple. Il aime beaucoup aussi le cinéma de Buster Keaton. Il a un côté que j’aime beaucoup, qui est le côté un peu clown triste de Keaton, par exemple. Et, je crois que Bagouet, c’est quelqu’un qu’on peut définir comme, à la fois, très tendre, très précis, très drôle mais qui a un langage qui est tout à fait à lui. Et je crois qu’il est difficile de le classer, de le cataloguer. Et que ce n’est peut-être pas utile, d’ailleurs, et que ça n’est pas utile non plus pour les autres. C’est peut-être pratique mais ce n’est pas forcément nécessaire.
(Musique)
Journaliste
Est-ce qu’il y a chez Dominique Bagouet des filiations, soit vers l’Amérique, soit vers l’Allemagne ?
Dominique Bagouet
Je dis souvent que je n’ai pas de maître. Je n’ai pas de maître parce que j’ai bourlingué tellement tout seul, un petit peu, presque…. J’ai l’impression, comme un routard, dans différentes influences, dans les différentes compagnies. Depuis l’âge de 17 ans, je suis professionnel, même, on pourrait dire de la danse. Et j’ai vraiment goûté à beaucoup de saveurs différentes dans le monde de la création chorégraphique. Et finalement, c’est mon premier maître, mon premier professeur qui a été le plus important pour moi au niveau de l’esprit. C’était Rosella Hightower, mon professeur de danse classique au niveau spirituel, au niveau de la force, c’est peut-être elle qui a été vraiment mon maître, c’était le premier maître. Mais, au niveau de l’influence, après, je crois que c’est vraiment mon vécu. Après mon vécu, pas forcément en tant que danseur qui a été l’inspiration des choses. Aussi bien mes lectures que mes goûts personnels, que mes passions ; mais qui ne sont pas forcément du domaine chorégraphique. Il y a aussi des hasards, il y a aussi ces hasards-là qui sont de mes différents voyages peut-être à Berlin qu’il y a eu ces derniers temps ; et aussi cet amour que j’ai pour le cinéma expressionniste, qui est revenu par le fil de Assaï, par le fil de la musique de Pascal. Qui, à sa grande surprise, m’a fait entrevoir, m’a fait revenir sur des images comme ça. Et dans le spectacle Assaï , on peut trouver des images qui pourraient se rapprocher de l’expressionnisme, je pense avec pas mal de distance quand même. Il y a une petite anecdote là, l’autre jour, j’ai feuilleté un livre sur Mary Wigman, et j’ai dit : Mais c’est incroyable, il y a une image d’ Assaï , exactement. Une photo de Mary Wigman dans un certain costume et c’était tout à fait quelque chose qu’on peut retrouver dans Assaï . Donc, c’est une relation mais tout à fait hasardeuse finalement, par hasard avec l’expressionnisme.
Journaliste
Quelles sont les difficultés pour un musicien contemporain d’écrire pour la chorégraphie ?
Pascal Dusapin
Ben, la difficulté majeure et essentielle est probablement comment pouvoir faire coexister la musique avec la chorégraphie. Ce qui est d’ailleurs l’enjeu, malheureusement, à mon avis, quelquefois oublié des chorégraphes eux-mêmes. C’est-à-dire qu’ils ont souvent besoin de musique, ce qui explique très souvent que la musique est employée, souvent une sous musique d’ailleurs. Et, évidemment, c’est probablement présomptueux de ma part mais, en tout cas, c’est comme ça. Moi, j’avais envie de travailler avec un chorégraphe, Dominique Bagouet m’a contacté, j’ai été très enthousiaste tout de suite. Et, j’ai écrit une pièce d’orchestre qui sera créée, donc ce sera une création musicale aussi, qui s’appelle Haro , qui est une pièce dans laquelle la présence implicite de la danse était immanente à la composition. C’est-à-dire que je n’aurais jamais pu composer cette musique si je ne l’avais pas imaginée avec la danse. Alors, j’ai d’ailleurs fait une chose un petit peu, moi-même, risquée mais qui était nécessaire pour que je puisse écrire la musique, c’est que tout en écrivant la musique, j’inventais moi-même. Mais, Dominique ne s’en est pas du tout servi et j’ai insisté pour qu’il ne s’en serve pas, mais c’était une volonté de ma part. J’ai donc travaillé en imaginant moi-même, au fur et à mesure des déplacements de corps, de lignes, de masses ; que j’ai fait d’ailleurs mesure par mesure, qui sont totalement irréalisables mais qui était, de ma part, une volonté d’adjoindre à mon travail de compositeur l’espace chorégraphique. Et cette présence comme ça, fictive, était une source permanente de questions sur ma musique elle-même. C’est-à-dire, ce qui explique d’ailleurs que probablement, ma musique n’est pas la même dans la pièce que j’ai composé pour l’orchestre et Dominique Bagouet, que la première partie qui s’appelle [Inaudible], qui a donné le titre au spectacle et qui s’appelle Assaï ; qui était une pièce symphonique pour la Biennale de Venise, l’année dernière.
(Musique)