Gérard Mortier programme le Don Giovanni de Mozart

28 janvier 2006
04m 29s
Réf. 01111

Notice

Résumé :

Invité du journal télévisé de France 3, Gérard Mortier, directeur de l'Opéra national de Paris, parle de Mozart et de la nouvelle production de son Don Giovanni qu'il a programmée à l'Opéra en cette année du 250e anniversaire de la naissance du compositeur. Quelques images du spectacle, mis en scène par le cinéaste Michael Haneke, accompagnent ses propos.

Date de diffusion :
28 janvier 2006
Source :

Éclairage

En 2004, après avoir dirigé pendant 11 ans le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (de 1981 à 1992) puis pendant 9 ans le Festival de Salzbourg (de 1992 à 2001), deux institutions qu'il a réformées en profondeur, le flamand Gérard Mortier prend la direction de l'Opéra national de Paris. La première scène de France est alors un outil en bon ordre de marche, après que Hugues Gall en a rationalisé le fonctionnement en pratiquant enfin l'alternance des spectacle que les équipements de l'Opéra Bastille et la mise à disposition simultanée de deux salles (Opéra Bastille et Palais Garnier) rendent possibles, augmentant ainsi grandement le nombre de représentation.

Fort de la «vitesse de croisière» atteinte par l'institution, Gérard Mortier met l'accent sur un projet artistique ambitieux et audacieux, qui n'ira pas sans provoquer quelques polémiques. Grand amateur de répertoire mozartien depuis son enfance, et grand défenseur des approches scéniques renouvelées, il programme ainsi en janvier 2006, pour marquer les célébrations du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, un nouvelle production de Don Giovanni qui divise le public. C'est la première incaratade lyrique du cinéaste autrichien Michael Haneke, lequel donne une vision très noire et contemporaine du mythe de Don Juan, faisant du séducteur un cadre d'une grande entreprise dans le quartier de la Défense, et traduisant ainsi avec une brûlante actualité les rapports de force de l'œuvre mozartienne qui existent entre les classes sociales (le noble transformé en cadre supérieur, la paysanne en technicienne de surface) et entre les sexes (domination des femmes par les personnages masculins).

Cette production âprement discutée verra son succès croître au fil des reprise. Lorsque le directeur suivant de l'Opéra national de Paris, Nicolas Joël, la reprend en 2012, elle prend des dimensions supplémentaire et montre le caractère visionnaire de la mise en scène de Haneke: la crise mondiale et l'affaire DSK ont eu lieu entre-temps, montrant l'acuité de cette relecture.

Alain Perroux

Transcription

Présentatrice
Gérard Mortier, bonjour ! Merci d’avoir quitté l’Opéra de Paris pour nous retrouver sur un plateau de télévision. Je posais cette question tout à l’heure, le génie est devenu un produit ?
Gérard Mortier
C’est inquiétant même, mais on peut exploiter cet année Mozart pour raconter aux gens ce qu’était vraiment Mozart. C’était un génie, pas avec des dons qui tombaient du ciel, mais c’était un travailleur acharné. C’était un homme qui connaît son temps, qui se tenait au courant. C’était un homme vraiment existentiel et je crois que c’est le plus grand homme de théâtre en ce qui concerne le théâtre musical, qui a vécu, aussi grand que Shakespeare.
Présentatrice
Mais à trop écouter de Mozart, vraiment c’est difficile d’y échapper, vous parlez vous-même d’une boulimie mozartienne, est-ce que ça ne risque pas d’obtenir l’effet inverse, un rejet ?
Gérard Mortier
Oui, sauf si les gens de théâtre, comme moi et mes collègues de théâtre, font de telle façon qu’on laisse découvrir le grand public un vrai Mozart. Un Mozart qui est alors contemporain, parce que n’oubliez pas que Mozart a vécu dans une époque très inquiétante. C’était fin du XVIIIe siècle, Révolution française, grands bouleversements très comparables aux nôtres. Et quand on regarde les opéras de Mozart, on découvre beaucoup de questions que nous nous posons et beaucoup de réponses qu’on n’a pas encore trouvées.
Présentatrice
Selon vous, pourquoi Mozart reste-t-il vraiment le compositeur le plus populaire ?
Gérard Mortier
Parce qu’il a une grâce et une beauté dans sa musique. On a fait des études là-dessus psychologiques, c’est très étonnant que les enfants, souvent, je dis aux téléspectateurs, les enfants deviennent calmes en écoutant la musique mozartienne. Il y a une absolue, une connaissance de la musique tellement grande chez lui, on ne doit pas le savoir mais ça donne une harmonie en l’écoutant ; et même dans les pièces les plus tristes comme le Lacrimosa , dans le Requiem , il y a toujours, dans la douleur, il y a une très grande connaissance d’une harmonie.
Présentatrice
Le coup d’envoi de ce 250ème anniversaire était donné à Salzbourg, bien sûr, mais aussi à Paris. Le plus grand secret entourait le Don Giovanni mis en scène par le cinéaste Mickael Haneke, la première avait eu lieu hier soir au Palais Garnier. Il y a ceux qui ont adoré, ceux qui étaient dégoûtés ; les critiques vous atteignent ?
Gérard Mortier
Oui, bien sûr ! Disons que naturellement, hier soir, c’était normal, on laisse sortir les habitués de leurs habitudes. Je crois que c’était très important que finalement, on termine dans Don Giovanni , XIXe siècle ; Don Giovanni est un galant homme, un homme galant qui boit du champagne, ça n’a rien à voir avec ça. C’est un homme très moderne, aujourd’hui c’est une société de consommation, un homme qui ne voit plus les problèmes de son monde, qui n’est qu’intéressé par le sexe et finalement, qui va être puni. C’est pour ça que j’ai remis le titre original, Il Dissoluto Punito , c’est le dissolu puni et c’était ça qu’on a montré hier soir et la plus grande partie du public a été fascinée par le spectacle.
Présentatrice
Vous êtes dans la provocation quand vous choisissez le cinéaste Haneke ?
Gérard Mortier
Non, Haneke est un homme du cinéma noir bien sûr et Don Giovanni , c’est la pièce la plus noire de Mozart. Mais c’est un homme, il est très sérieux et tout le monde qui regarde cette pièce sent que ce Don Juan de Mozart qui est une mythologie reste très actuel aujourd’hui chez Haneke.
Présentatrice
Une dernière question, comment comptez-vous conquérir de nouveaux publics, je pense en particulier au public jeune, alors que vous augmentez le prix des places ?
Gérard Mortier
Oui, mais il y a aussi beaucoup de places qui sont beaucoup moins chères. Vous savez, j’ai créé 12000 places par an à l’Opéra Bastille. Pour cinq euros, on peut s’accouder donc on est très bien, c’est un succès fou. Il y a des abonnements jeunes, j’invite même les jeunes aux premières, donc il y a des places jeunes pour 25 euros. Je crois que tout le monde qui veut venir à l’opéra, et c’est ça mon souci aussi, différentes classes sociales, différentes races ; je trouve que l’opéra est le rassemblement, le théâtre qui rassemble le plus parce qu’on se rassemble autour d’une musique. Et Mozart est le meilleur compagnon qu’on puisse y choisir.
Présentatrice
D’où vous vient ce désir d’ouvrir la musique au plus grand nombre ? Je rappelle que, je précise que vous êtes fils de boulanger.
Gérard Mortier
Oui, parce que moi-même, j’étais émerveillé par cette musique et je crois que le théâtre, c’est le débat. Aujourd’hui, je trouve dans la politique, les débats ne se font pas tellement sur les choses essentielles et là, en théâtre, on peut retrouver le débat essentiel de toutes les questions et des angoisses que les gens ont. Dans les théâtres, on peut retrouver un certain calme et au minimum, une certaine assurance, pas sécurité mais une vision du monde.
Présentatrice
Merci mille fois, Gérard Mortier, et bonne chance pour Don Giovanni, c’est jusqu’au 25 février, c’est cela ?
Gérard Mortier
Merci.