Parcours thématique

Les Théâtres du Nouveau Roman

Anaïs Bonnier

Rejeter le réalisme

Le Nouveau Roman regroupe sous sa bannière des auteurs très variés, dont la plupart sont édités aux Editions de Minuit. Le terme, utilisé pour la première fois par Emile Henriot dans Le Monde du 22 mai 1957, sera repris par Alain Robbe-Grillet, qui publie en 1963 Pour un Nouveau Roman [1]. Ce « courant » influencé par Flaubert, Kafka ou Virginia Woolf s'inscrit dans un rejet du modèle absolu que constitue le roman du XIXe siècle, un roman bourgeois et réaliste. Les Nouveaux Romanciers rejettent la notion de personnage, privilégiant des figures peu caractérisées, parfois sans nom, des personnages parcellaires, dont le roman ne brossera pas le portrait, et qui ne sont pas systématiquement placés au centre de l'intrigue. Ces auteurs construisent également des intrigues énigmatiques, très souvent soumises à la conscience d'un sujet narrateur dont la vision de l'histoire est subjective. L'influence du cinéma dans la construction des romans est essentielle : plusieurs des auteurs rattachés au Nouveau Roman se sont également intéressés au cinéma et au théâtre. La construction de l'intrigue procède ainsi par montages, retours et avancées subites, qui en déconstruisent la linéarité. Le Nouveau Roman sollicite donc du lecteur une participation accrue, puisqu'il s'attache à laisser de grandes parts d'ombres qu'il revient au lecteur et à son imaginaire de combler.

L'émergence du Nouveau Roman est presque contemporaine de celle du théâtre de l'absurde, qu'elle suit de quelques années. Il s'inscrit dans la continuité des auteurs qui, aux côtés de Samuel Beckett - qui est également considéré comme un Nouveau Romancier - s'attachent à révolutionner la forme théâtrale, à bouleverser les codes de l'écriture et à rejeter le réalisme psychologique afin d'illustrer l'étrangeté du monde et sa complexité. Les Nouveaux Romanciers qui s'intéressent au théâtre s'inspirent également des situations défaillantes du théâtre de l'absurde, de cette absence de situation dramatique à résoudre.

Au niveau de la mise en scène, ces préoccupations ne sont pas sans évoquer Claude Régy, metteur en scène qui se trouve intimement associé à deux des figures majeures de ces « Théâtres du Nouveau Roman » [2], Marguerite Duras et Nathalie Sarraute. Né en 1923, Claude Régy s'attache à monter des textes contemporains, auxquels il offre une traduction scénique reposant sur un rejet de toute notion de spectaculaire. Profondément soucieux de respecter les textes, Régy explore en profondeur les pièces qu'il porte à la scène. Rejetant la construction du personnage, il considère l'interprète comme un passeur, et réduit le jeu dramatique au minimum, refusant en particulier toute interprétation psychologisante d'un personnage. Scéniquement, il privilégie des espaces sculptés par la lumière, loin des décors réalistes, sollicitant la collaboration de l'imaginaire du spectateur pour créer le spectacle.

<i>Huis Clos</i> à la Comédie-Française

Huis Clos à la Comédie-Française
[Format court]

A l'occasion de l'entrée de Huis Clos au répertoire de la Comédie-Française, Claude Régy est interviewé sur sa mise en scène de la pièce. Après un extrait du spectacle, le metteur en scène évoque la création de la pièce et les indications de Sartre, et explique sa propre mise en scène, très éloignée des recommandations de l'auteur. Il évoque à cette occasion le rôle que tient, selon lui, le metteur en scène dans la création d'un spectacle.

17 juin 1990
05m 22s

[1] Alain ROBBE-GRILLET, Pour un nouveau roman, Editions de Minuit, coll. « Critiques », 1967.

[2] Arnaud RYKNER, Théâtres du Nouveau Roman, Sarraute, Pinget, Duras, José Corti, Paris, 1988.

La thèse d'Arnaud Rykner

En 1988, Arnaud Rykner publie Théâtres du Nouveau Roman, ouvrage dans lequel il étudie les points communs qui unissent certains Nouveaux Romanciers qui se sont intéressés au théâtre. Il observe attentivement dans cet ouvrage les liens qui unissent leurs romans et leurs pièces, et la façon dont cette nouvelle écriture, très spécifique et fortement inspirée par le genre romanesque et par le cinéma, a renouvelé l'écriture dramatique.

Rykner place Samuel Beckett comme un pionnier du mélange des genres. Il note que les « Théâtres du Nouveau Roman » sont des expériences de romanciers qui en viennent, à un moment donné de leur carrière, à s'intéresser au théâtre comme un nouveau défi à l'écriture. Il note également que nombre de ces écrivains ont diversifié les modes d'écriture, passant couramment du roman au théâtre, et parfois aux scénarios de cinéma. Arnaud Rykner remarque enfin que ce dialogue instauré entre roman et théâtre est également lié à l'intérêt porté par certains metteurs en scène à des romanciers, ainsi qu'aux Editions de Minuit, qui ont publié la plupart des Nouveaux Romanciers et leur théâtre. La révolution littéraire que constitue le Nouveau Roman se voit ainsi transposée au théâtre, le roman devenant un nouveau modèle d'écriture.

Si Arnaud Rykner s'attache à souligner l'originalité de chacun des auteurs étudiés, et la diversité de leur démarche littéraire, il souligne néanmoins des points communs qui, directement hérités du Nouveau Roman, remettent en question les codes de l'écriture dramatique.

Le personnage

Le personnage traditionnel, rappelle Robert Abirached [1], est défini en fonction de son caractère, sa ligne de conduite générale. Le caractère prend à la fois en compte la fonction du personnage et son identité, qui déterminent ses actions. Cette caractérisation du personnage s'est encore renforcée avec le drame bourgeois, où le personnage est de plus en plus prédéterminé : son identité sociale et physique est de plus en plus précise, son écriture de plus en plus réaliste. Avec les différentes expériences théâtrales du début du XXe siècle, le personnage théâtral tend à se vider peu à peu de ces caractérisations excessives, jusqu'à atteindre le « degré zéro de la personnalité » [2]. Dans le Nouveau Roman, comme dans le théâtre qui en découle, le personnage s'efface de plus en plus, son caractère et son identité s'affaiblissent. Le lecteur est de plus en plus fréquemment confronté à des personnages réduits à des catégories, sans nom, sans histoire, sans psychologie. Le sexe du personnage n'est pas toujours précisé, et les noms se réduisent parfois à de simples lettres, voire à des numéros. « Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu. Peut-être n'est-ce pas un progrès, mais il est certain que l'époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s'identifier à l'ascension et à la chute de quelques hommes, de quelques familles. [...] Notre monde aujourd'hui est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être, puisqu'il a renoncé à la toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisqu'il regarde au-delà. » [3]

Le personnage qui se dessine dans les « Théâtres du Nouveau Roman » pousse l'abstraction à l'extrême, se réinvente en permanence, et demande la participation constante du public. Claude Régy parle, chez Sarraute et Duras, de « forces qui circulent et d'un objet qui se crée à partir de centres qui ont pour supports des êtres mais qui ne sont pas personnalisés. Tout d'un coup, tout ça nous rejette complètement en dehors d'un théâtre de personnages, d'un théâtre psychologique [...] cela change complètement le jeu des acteurs parce que la plupart ont été élevés dans l'idée d'apprendre à représenter des personnages dans une certaine psychologie, en exprimant des sentiments. » [4]

[1] Robert ABIRACHED, La Crise du personnage dans le théâtre moderne, Gallimard, Coll. « Tel », Paris, 1994.

[2] Idem, p. 393.

[3] Alain ROBBE-GRILLET, Pour un nouveau roman, Editions de Minuit, coll. « Critiques », 1967.

[4] Claude REGY sur L'Amante Anglaise, cité par Arnaud RYKNER, Théâtres du Nouveau Roman, Sarraute, Pinget, Duras, José Corti, Paris, 1988, p. 26.

L'action

L'action est centrale dans la dramaturgie traditionnelle. C'est sur elle que repose l'essentiel de la fable, elle constitue le squelette de l'histoire, la trame narrative. Mais la narrativité est largement abandonnée par les auteurs du Nouveau Roman, qui lui préfèrent des temporalités morcelées. La dramaturgie du Nouveau Roman est une dramaturgie qui joue énormément sur les ellipses, les blancs, le silence, et le manque d'informations. Très souvent, l'intrigue est secondaire, retardée, voire évitée, ou alors, le drame s'est déjà noué et résolu avant même que la pièce commence. Ainsi, la finalité du texte n'est pas le dénouement, qui est très souvent absent ou escamoté. Arnaud Rykner parle d'un théâtre de l'interrogation ou de la quête, un théâtre où l'essentiel repose sur les questions que la pièce suscitera chez le spectateur. Dans cette nouvelle donne narrative, la parole se fait action, et le dialogue devient le nœud du drame.

Le dialogue

Traditionnellement, le théâtre suppose un conflit et sa résolution. Il suppose également un dialogue, dont le rôle est de faire avancer l'action. La parole chez les dramaturges du Nouveau Roman est une action dramatique à part entière, souvent la plus importante du texte, voire la seule. Les pièces reposent essentiellement sur ce qui est dit, sur la manière qu'ont les personnages de dire, ou de ne pas dire les choses. Car le dialogue ici est un dialogue tout aussi morcelé que l'intrigue, et très subjectif.

Dans la continuité des surréalistes et du « nouveau théâtre » des années cinquante, les auteurs du Nouveau Roman interrogent la notion de réalité sur scène. Il ne s'agit plus de peindre la vie, de l'imiter, de la représenter sur scène, mais bien d'interroger les mouvements de l'âme à travers des textes. Tous ces romanciers instaurent également une nouvelle vision du théâtre, basée sur la primauté absolue du texte, et sur un rejet de la scène spectaculaire. La réduction de l'action, le primat de la parole, le travail contrapuntique qu'ils pratiquent sur les silences et les ellipses témoignent de cette recherche.

Auteurs emblématiques

Arnaud Rykner étudie trois auteurs emblématiques du mouvement qui transposent à la scène les innovations littéraires du Nouveau Roman : Nathalie Sarraute, Robert Pinget et Marguerite Duras.

Nathalie Sarraute

Nathalie Sarraute publie ses premiers textes en prose en 1939, mais ne vient au théâtre que dans les années soixante. L'auteur n'envisage le passage au drame qu'avec difficulté, et ses premiers textes seront des pièces radiophoniques qu'elle écrit en réponse à une commande. Cette difficulté à passer au théâtre s'explique par la facture de l'écriture romanesque de Sarraute. Son travail repose essentiellement sur la révélation, par la parole, des mouvements de l'âme. Les « tropismes », qui constituent le terreau de ses œuvres, sont ces mouvements préconscients qui teintent la parole, malgré les locuteurs eux-mêmes. De l'aveu même de l'auteur, cette matière apparaît comme difficile à théâtraliser. Pourtant, Nathalie Sarraute compose des textes où comique et tragique s'entremêlent autour de la question fondatrice du langage. Arnaud Rykner qualifie les drames sarrautiens de « logo-drames », des drames de la parole. La langue, chez Sarraute, n'est pas sécurisante. La parole dévoile ce que cache le langage social, les motivations profondes des individus. Et, pour comble du tragique, il n'est d'autre moyen pour explorer les failles de la parole que de continuer à parler. Les pièces de Sarraute tournent ainsi à un dialogue aporétique, où chaque phrase, chaque mot, chaque intonation, chaque silence sera pesé, observé, disséqué et réinterprété. Dans des textes qui, au premier abord, semblent n'être que des discussions anodines, l'auteur parvient à insérer un travail très poussé sur les non-dits du langage.

Nathalie Sarraute a écrit six pièces de théâtre, dont chacune radicalise ce travail sur le langage : Le Silence (1964), Le Mensonge (1966), Isma (1970), C'est beau (1975), Elle est là (1978) et Pour un oui pour un non (1980).

<i>Pour un oui pour un non</i> à la Colline

Pour un oui pour un non à la Colline
[Format court]

Extrait du début de la pièce de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, mise en scène par Jacques Lassalle au Théâtre National de la Colline, en 1998.

12 oct 1998
02m 41s

Robert Pinget

Robert Pinget manifeste un très grand intérêt pour les textes de Samuel Beckett. Il collabore avec Beckett à la traduction de La Dernière Bande, et l'auteur irlandais traduira La Manivelle en anglais. De Beckett, Pinget hérite un goût pour le doute, la capacité à laisser l'incertitude planer sur ses textes. C'est de cette incertitude que naît l'humour qui habite ses pièces. Chaque affirmation est systématiquement démentie par le dialogue, comme dans La Manivelle, où chacun des vieux messieurs remet en question les souvenirs de l'autre. Rien, dans leur dialogue, n'est sûr : tout demeure relatif, subjectif.

<i>La Manivelle</i> de Robert Pinget

La Manivelle de Robert Pinget
[Format court]

Extrait du début de la pièce La Manivelle, de Robert Pinget, mise en scène par Jean-Paul Roussillon, pour la Comédie-Française et le festival d'Avignon. Créée en 1987, cette mise en scène a été reprise en tournée en 1988 et 1989. Cet extrait a été filmé à Lisieux en mars 1989.

01 mar 1989
01m 27s

La mémoire, le souvenir, et le ressassement créent une indécision permanente entre fantasme et réalité, qui demeure indécidable. Cette dramaturgie de la répétition induit également une temporalité répétitive et circulaire qui rappelle les pièces de Beckett. La parole fonctionne beaucoup sur un mode monologique qui tend à garder les apparences d'un dialogue : les personnages parlent, l'un à côté de l'autre, mais leur discours n'atteint que rarement leur interlocuteur, et jamais en profondeur.

Enfin, Arnaud Rykner note que la dramaturgie de Pinget repose sur une « stratégie du détraquement ». Alors que l'intrigue, traditionnellement, suppose le passage d'un ordre ancien à un nouvel ordre, et la résolution d'un conflit, chez Pinget, la situation initiale ne fait que se détraquer. « Tout rate. Dès lors, nous partons d'une situation originelle donnée pour aboutir à la déréalisation de cette situation. [...] le geste pingétien est ainsi proche de celui de l'enfant qui se bâtit une Espagne de cartes pour le plaisir de souffler dessus en riant. » [1]

[1] Arnaud RYKNER, Théâtres du Nouveau Roman, Sarraute, Pinget, Duras, José Corti, Paris, 1988, p. 87.

Marguerite Duras

« Une nouvelle fois, une certaine pratique de l'écriture romanesque débouche sur une ouverture au théâtre. Par là même, pas n'importe quel théâtre. Un théâtre qui se bâtit sur un temps jusque là réservé au roman. Un théâtre qui fonde l'ambiguïté d'une réalité prise entre le dire, le mentir et le taire. Un théâtre qui refuse l'échange traditionnel de répliques informatives et pratique une parole incantatoire, à la fois chant et vision. Un théâtre qui rend le silence nécessaire pour que les mots ne soient pas vains » [1]

Si Marguerite Duras a été rattachée au Nouveau Roman, son travail littéraire, tout comme la façon dont elle passe sans transition d'un genre à l'autre font d'elle un cas à part. Marguerite Duras pratique l'écriture romanesque, scénaristique et théâtrale. Mais chacune des facettes de son œuvre entre en dialogue avec les autres. Ses romans sont très souvent dialogiques, caractéristique traditionnelle du théâtre. Son œuvre dramatique, en revanche, contient une grande part de narration. L'écriture de Duras traverse les genres, les explore, les réunit et en fait exploser les frontières. La première expérience de Marguerite Duras au théâtre, c'est l'adaptation d'un roman dialogué, Le Square, en 1956. Mais elle accordera également toujours une grande importance au travail effectué avec Claude Régy sur L'Amante Anglaise, adaptation au théâtre d'un roman, lui-même adapté d'une pièce de théâtre intitulée Les Viaducs de la Seine et Oise .

<i>L'Amante anglaise</i> de Marguerite Duras

L'Amante anglaise de Marguerite Duras
[Format court]

Les comédiens Pierre Dux et Madeleine Renaud sont interviewés par Michael Lonsdale, qui leur demande de présenter leur personnage, et le sujet de la pièce. Dans un second temps, on peut voir un extrait de cette pièce, et constater que le dispositif de l'interview est totalement semblable au dispositif scénique, où les comédiens, assis face au spectateur devant le rideau de fer du théâtre, sont interrogés par un homme placé dans le public.

14 mar 1982
03m 29s

Chez Duras, la narration est essentielle. Elle illustre l'importance fondamentale du souvenir, éternellement relaté. Le personnage théâtral se fait donc souvent récitant, au point, parfois, de ne plus dialoguer. Dans L'Eden Cinéma, les personnages du fils et de la fille s'attachent ainsi à relater le parcours de la Mère, présente en scène, mais incarnée dans une sorte d'absence à elle-même. L'histoire de la mère fonde le drame, et le traverse, en devient l'élément essentiel. Polyphonique, cette histoire semble émaner d'une voix unique, forcément subjective, qui dépasse totalement le personnage dans son intégrité identitaire.

<i>Savannah Bay</i>, de Marguerite Duras

Savannah Bay, de Marguerite Duras
[Format court]

Reportage sur la mise en scène par Marguerite Duras de sa propre pièce, Savannah Bay. On assiste d'abord à une répétition, où l'on voit Duras donner des indications de jeu aux deux comédiennes, Bulle Ogier et Madeleine Renaud. On peut ensuite voir un extrait de la représentation de cette même pièce, lors de sa création, en septembre 1983 au théâtre du Rond-Point. Cette vidéo, outre qu'elle donne à voir un beau moment de travail entre les trois femmes, permet aussi de prendre conscience de l'évolution constante des textes de Duras, dès lors qu'elle décide de les adapter à la scène.

02 avr 1984
03m 36s

Ce travail sur la mémoire, également fondamental dans Savannah Bay, fait des drames de Duras des drames de l'attente. Il ne s'agit plus, comme chez Beckett, d'une attente désespérée et aporétique qui ne peut se résoudre que par l'absence et la mort. L'attente, devenue moteur du drame, fait avancer les personnages. Marguerite Duras place le désir au cœur de ses écrits, un désir qui habite des personnages passionnés, et qui ne s'accomplit que dans le revivre.

[1] Arnaud RYKNER, Théâtres du Nouveau Roman, Sarraute, Pinget, Duras, José Corti, Paris, 1988, p. 143.

Le défi de la mise en scène

Dramaturgies de la parole, reposant sur la langue et annulant l'action dramatique, les « Théâtres du Nouveau Roman » posent un défi au metteur en scène. Il s'agit de traduire scéniquement un théâtre où il ne se passe rien d'autre que l'avènement de la parole, et qui rejette l'idée du spectaculaire. La question de la banalité s'avère également centrale : quoi de plus commun, en effet, que deux personnes qui discutent, que ce soit dans un salon ou au coin d'une rue ?

Nathalie Sarraute évoque cette difficulté, lorsqu'elle avoue écrire un théâtre qui n'a rien de visuel. Lorsqu'elle compose ses pièces, elle ne prend pas en compte la question scénique, ne se préoccupe que peu de placer ses personnages dans un lieu précis, ne donne que peu d'indications sur les mouvements du corps. Elle reconnaît alors que la représentation des seuls mouvements de l'âme pose un réel défi à la scène.

Nathalie Sarraute à propos de <i>Pour un oui pour un non</i>

Nathalie Sarraute à propos de Pour un oui pour un non
[Format court]

Nathalie Sarraute s'exprime sur sa vision du théâtre, et sur la mise en scène, réalisée par Simone Benmussa, de sa pièce Pour un oui ou pour un non. Elle aborde la question de l'écriture - indiquant notamment qu'elle ne pense pas l'action scénique lorsqu'elle écrit - et évoque sa collaboration avec Simone Benmussa.

24 mar 1986
02m 11s

Le problème se pose de manière très différente pour Marguerite Duras. Elle prend, en effet, une part beaucoup plus active à la mise en scène de ses pièces, et adopte une position parfois volontairement provocante quant à ceux qui la mettent en scène. Par ailleurs, Duras elle-même s'essaie à la mise en scène de ses propres textes. Mais l'importance qu'elle attache au théâtre repose avant tout sur une profération du texte, qu'elle dissocie totalement de l'incarnation d'un personnage. Ce qui importe, c'est de dire le texte, et, avoue-t-elle de façon provocatrice, l'acteur pourrait tout aussi bien le lire, afin de ne pas le perturber par un jeu excessif. La rencontre entre Marguerite Duras et Claude Régy est en ce sens fondatrice : le metteur en scène et l'auteur inventent ensemble un nouveau mode de présence de l'acteur à son personnage, fondé sur la notion de transmission, et un théâtre où l'essentiel, jusque sur la scène, demeure le texte.

<i>L'Eden Cinéma</i> de Marguerite Duras, mis en scène par Claude Régy

L'Eden Cinéma de Marguerite Duras, mis en scène par Claude Régy
[Format court]

Interview de Claude Régy, qui explique son choix de ne pas représenter un certain nombre d'éléments de la pièce, et poursuit par une réflexion autour de la notion de théâtralité, que lui et Marguerite Duras semblent chercher à détruire, afin de laisser la première place à l'écrit. L'interview du metteur en scène est suivie d'un extrait de la pièce, une des rares scènes dialoguées, entre Suzanne (Bulle Ogier) et Mr Jo (Michael Lonsdale).

26 nov 1977
03m 07s
 Marguerite Duras sur <i>La Musica, Deuxième</i>

Marguerite Duras sur La Musica, Deuxième
[Format court]

A l'occasion de la création, vingt ans après La Musica, de La Musica, Deuxième, avec Miou-Miou et Sami Frey, Marguerite Duras est interrogée par Marie-Claire Gautier, sur son rapport au roman, au théâtre et au cinéma, et sur sa conception de la mise en scène. L'auteur précise que, pour elle, tous ces arts se rejoignent autour du processus d'écriture.

01 mar 1985
05m 19s

Pour aller plus loin