Evocation de James Joyce

29 janvier 1958
02m 42s
Réf. 00006

Notice

Résumé :

L'éditrice Nicole Védrès évoque ses souvenirs de l'auteur irlandais James Joyce, qu'elle a rencontré vers 1920 et qui était alors un quasi inconnu dans le monde littéraire.

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Date de diffusion :
29 janvier 1958
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Éclairage

James Joyce (1882-1941) est l'un des écrivains irlandais les plus célèbres du XXe siècle. Son oeuvre est marquée par ses origines, et pourtant, il quitte très tôt l'Irlande pour l'Italie en 1904 puis pour la France, dès 1920. Son oeuvre est essentiellement constituée de Gens de Dublin (1914), un recueil de quinze nouvelles évoquant des personnages marqués par une société brutale, sadique ou créatrice de frustrations, et des romans Ulysse (1922) et Finnegans Wake (1939).

Son oeuvre majeure, Ulysse (référence évidente à L'Odyssée d'Homère) raconte une journée de la vie de Léopold Bloom, petit bourgeois sans histoire, d'origine juive, dans Dublin. Chaque chapitre, écrit avec un style à chaque fois différent, fait référence à une péripétie d'Ulysse, mais aussi à un organe du corps humain, à une couleur, à un art et à un symbole. Léopold est la représentation à la fois de Télémaque, mais aussi de Joyce lui-même. Ce roman comporte donc plusieurs niveaux de lecture et plusieurs interprétations. Son écriture révolutionne le genre du roman, alliant travail sur le langage et sur la structure narrative.

Aurélia Caton

Transcription

Pierre Dumayet
... vous avez connu James Joyce, vous étiez une petite fille et c'était un homme...
Nicole Védrès
J'étais une petite fille et je crois qu'il avait exactement 40 ans quand il est arrivé à la maison. Il est arrivé amené par quelqu'un qui était son plus fidèle ami et son plus grand admirateur qui était Ezra Pound. Et autant, maintenant, on entend parler de Joyce et au fond, toutes les écoles littéraires d'avant-garde et même pas toujours d'avant-garde se réclament de Joyce au fond, autant à ce moment-là, au contraire, c'était vers 1920, vraiment personne ne connaissait son nom, peut-être un tout petit peu en Irlande, mais enfin Pound est arrivé à la maison en amenant Joyce et en disant : « Voilà, ça va être le plus grand écrivain. C'est déjà le plus grand écrivain. Il faut s'occuper que de lui. Il ne faut penser qu'à lui. C'est le grand écrivain du siècle ». Et il avait dit ça notamment à ma mère qui, à ce moment-là, était en train de traduire je ne sais quel livre. Il lui a dit : « Abandonnez votre travail et traduisez le livre que Joyce a déjà terminé » et qui s'appelait Portrait of the Artist as a Young Man (Portrait de l'artiste jeune homme) et qui a paru, plus tard, sous le nom de Dedalus. Et quand j'ai rencontré Joyce, il avait donc déjà écrit Gens de Dublin, il avait écrit Dedalus, il avait? et un autre livre qui était quelque chose comme le moule de Dedalus et qui s'appelait Stephen le héros. Et puis alors par la suite, il a écrit Ulysse qui est, je crois tout de même son livre le plus célèbre sinon le plus lu car on parle beaucoup de lui mais on ne le lit peut-être pas autant qu'on en parle. Et puis, il est mort sans avoir fini, enfin en poursuivant toujours Finnegans Wake qui est son oeuvre alors peut-être intraduisible bien que traduite par [Gallois].
Pierre Dumayet
Mais vous avez certainement des souvenirs précis, enfin, d'un comportement ou...
Nicole Védrès
Oui, il m'avait fait beaucoup d'impression. Il m'avait fait de l'impression, d'abord, parce qu'on m'avait expliqué que c'était un génie. J'avais 10 ans mais enfin le mot « génie », quand on a 10 ans, on comprend à peu près ce que c'est. Et alors, je le regardais, il était... il avait plutôt l'air d'un poète que d'un romancier. Il était à la fois dandy et maudit. Enfin, il était très bien habillé dans des choses en velours, comme ça, un petit peu fauve. Il ne voyait pas très clair. Plus tard, il a même eu de sérieux ennuis avec un de ses yeux. Et comme tous les gens qui ne voient pas bien, il entendait admirablement. Il entendait tout, le moindre bruit le faisait tressaillir, la moindre chose qu'on disait. Même les enfants l'amusaient, enfin quelquefois, en tout cas, retenaient son attention. Il avait un don très particulier. Je connais une ou deux personnes qui sont comme lui, pas plus. Il pouvait dire n'importe quel mot à l'envers, par exemple Dumayet, il le disait tout de suite en prenant les lettres dans l'autre sens. Son fils qui s'appelait Georgio, il l'appelait Oigroeg parce que Georgio à l'envers, c'est Oigroeg. Et on lui disait : « Printemps, comment c'est à l'envers ? », il disait : « c'est spmetnirp ». il le disait tout de suite, comme ça. Et peut-être que toutes ces acrobaties de langages (Jean Paris pourrait nous dire si c'est vrai), tout ce qu'il a cherché venait aussi d'un sens auditif particulièrement raffiné et d'un désir de contradiction.
Pierre Dumayet
Vous avez cette impression ?
Jean Paris
Oui, nettement, n'est-ce pas ? Toute son oeuvre, au fond, est une sorte d'introduction de la musique dans la littérature.
Pierre Dumayet
Je voudrais...