Karen Blixen

05 juillet 1961
08m 08s
Réf. 00016

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Résumé :

Agée de plus de 80 ans, Karen Blixen parle de son recueil de nouvelles Le Dîner de Babette, puis évoque sa vie passée en Afrique et ses activités littéraires.

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05 juillet 1961
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Éclairage

Karen Blixen (1885-1962), écrivain danoise, originaire d'une famille très riche, commence à écrire dès l'âge de 19 ans ,sous le pseudonyme de Osceola, une série de contes, Histoires vraisemblables, de style gothique. Elle fréquente le beau monde danois et épouse Bror Blixen, un riche épicurien extraverti et sans façons. Leur point commun est cependant leur volonté de découvrir l'Afrique, en particulier le Kenya, où les Blixen s'installent pour exploiter une plantation de café en 1913.

Atteinte de la syphilis, elle rentre au Danemark suite à la faillite de sa ferme. Elle se consacre alors totalement à l'écriture. Son roman La Ferme africaine (1937), dans lequel elle raconte ses souvenirs romancés d'Afrique, lui fait connaître une gloire mondiale. Il est adapté au cinéma, sous le titre Out of Africa, par Sydney Pollack en 1985. Elle reçoit en 1939 le prix Tagea Brandt Rejselegat (grand prix de littérature du Conseil nordique). Parmi ses autres romans, Le Festin de Babette connaît également un grand succès et est adapté au cinéma par Gabriel Axel en 1987.

Aurélia Caton

Transcription

(Musique)
Pierre Dumayet
Le Dîner de Babette, par madame Karen Blixen qui est grand écrivain danois. Ce recueil de nouvelles porte le titre de l'une d'entre elles, Le Dîner de Babette. Je ne vais pas, madame, vous demander de me le raconter mais simplement de m'en donner l'idée, s'il vous plait.
Karen Blixen
Oui, je peux le faire. L'idée du Dîner de Babette, c'est la mentalité et le sort de l'artiste qui se trouve différent du monde qui l'entoure mais qui sait que s'il [inaudible] son Dieu, il servira Dieu. Babette est une grande cuisinière de Paris qui doit s'enfuir pendant le temps de la Commune et qui finit en Norvège chez deux filles de prêtre très pieuses et très dévotes qui ne comprennent pas du tout la cuisine. Et Babette fait son mieux pour elles pendant 15 ans. Mais quand, vers la fin, elle gagne dans la loterie de France 10 000 francs, elle leur demande pardon... permission de faire, pour une fois encore dans sa vie, un vrai grand dîner, un dîner de la manière du café anglais où elle a été jadis cuisinière. Elle le fait et naturellement personne ne comprend, ils mangent, ils ne savent pas ce qu'ils mangent mais elle est contente, elle est heureuse. Elle sent qu'elle a servi Dieu et que les anges se sont réjouis de ce dîner qu'elle a fait, [inaudible] trouver beaucoup de sympathie parmi le monde qui l'entoure. Une autre des histoires, La Tempête, c'est la même idée. C'est la désolation de l'artiste dans le monde bourgeois. Mais là seulement, c'est plus tragique. C'est l'isolation [inaudible] difficile par l'héroïne, une jeune fille actrice qui se meurt de son isolation parmi le monde qui l'entoure même envers de son fiancé qui l'aime et qu'elle aussi aime beaucoup. Elle ne peut pas vivre avec lui, elle ne peut pas vivre sans lui. Elle se meurt donc de ce conflit.
Pierre Dumayet
Je voudrais que nous revenions au Dîner de Babette. Babette est donc une excellente cuisinière, un grand chef et vous pensez que lorsqu'elle fait ce dîner qui va lui coûter les 10 000 francs qu'elle a gagnés à la loterie, elle fait une oeuvre d'art, n'est-ce pas ?
Karen Blixen
Oui. Elle le sent.
Pierre Dumayet
Elle le sent. Est-ce parce qu'elle rend les gens heureux qu'elle fait une oeuvre d'art ?
Karen Blixen
Non, on ne peut pas dire ça. Parce qu'ils ne comprennent pas. Ils auraient peut-être été tout aussi heureux avec un dîner norvégien tout à fait...
Pierre Dumayet
Banal ?
Karen Blixen
Banal, oui. Mais elle sait qu'elle le fait, elle a la satisfaction de faire quelque chose de merveilleux. Elle prend aussi grand plaisir en faisant cela qu'elle a été... qu'elle a eu, jadis, à le faire à Paris avec un monde qui comprenait très bien et qui appréciait.
Pierre Dumayet
Est-ce que personnellement, vous appréciez à ce point la bonne cuisine ?
Karen Blixen
Pas à ce point-là, je ne crois pas, mais je l'apprécie assez. Je trouve que c'est un art. Mais toutes les choses, dans la vie, c'est un art. C'est qu'est...
Pierre Dumayet
Tout ce qu'on fait ?
Karen Blixen
Tout ce qu'on fait, c'est un art. Et pour l'artiste, ça peut être un très grande satisfaction, même si le public ne lui rend pas beaucoup d'« applause ».
Pierre Dumayet
On peut dire... on a dit, je pense, de tous vos récits, de tous vos contes, qu'ils étaient fantastiques, n'est-ce pas ?
Karen Blixen
Oui.
Pierre Dumayet
Mais vous, vous pensez que la vie est beaucoup plus fantastique ?
Karen Blixen
Oui. Oui, je trouve, la vie est plus fantastique. Je trouve la vie... je trouve que Dieu est beaucoup plus fantastique que moi.
Pierre Dumayet
Vous pensez, par exemple, que rien ne peut être plus beau qu'un lion, n'est-ce pas ?
Karen Blixen
Oui.
Pierre Dumayet
Et vous ne pensez pas que vous pourriez inventer quelque chose...
Karen Blixen
Je n'aurais pas pu inventer un lion. J'ai tué le lion, en Afrique, quand j'ai vécu là, et chaque fois que j'ai vu un lion, ça m'a frappée comme quelque chose d'incroyable, incroyablement beau et fort et noble.
Pierre Dumayet
Vous n'avez pas eu exactement la vie d'une femme de lettres ou d'un écrivain ?
Karen Blixen
Non. Non parce que j'ai vécu près de 20 ans en Afrique comme fermière d'une ferme de café.
Pierre Dumayet
Vous dirigiez une ferme.
Karen Blixen
Et c'est seulement quand je suis rentée de l'Afrique que j'ai commencé à écrire.
Pierre Dumayet
Vous avez écrit, à ce moment-là, La Ferme africaine que le public français connaît, qui a été publié en France.
Karen Blixen
Oui. C'est un livre de mémoire. C'est tout à fait la réalité. Ce n'est pas fantastique. Seulement fantastique comme ça que peut-être, je vois les choses d'un angle différent des autres. Mais c'est un livre de mémoires, et la vérité.
Pierre Dumayet
Vous êtes arrivée au Kenya en 1914.
Karen Blixen
Non, en 1913, avant la guerre.
Pierre Dumayet
Vous avez gardé d'excellents souvenirs de ce temps-là.
Karen Blixen
Oui, d'excellents souvenirs. C'était un monde... d'abord, c'est un pays très très beau et un climat très beau. Ce que j'aimais par-dessus tout, c'était les indigènes. Je trouvais qu'en montrant la relation des indigènes et [inaudible] de la vie, je suis très triste que ça a tant changé.
Pierre Dumayet
Vous m'avez dit, tout à l'heure, que ce qui caractérisait un artiste, c'était de ne pas avoir peur.
Karen Blixen
Oui.
Pierre Dumayet
Vous n'avez jamais eu peur dans votre vie ?
Karen Blixen
Oh oui, naturellement, j'ai eu peur, mais peut-être pas autant que les gens que j'ai connus. Je trouve que c'est une chose très importante d'avoir peur.
Pierre Dumayet
De ne pas avoir peur.
Karen Blixen
Oui, de ne pas avoir peur. Rien n'est aussi horrible que la peur de la chose, la peur d'avance.
Pierre Dumayet
Est-ce que dans toute votre vie, lorsque vous vous rappelez vos premiers contes, vous avez publié trois contes, je crois, tout à fait, vous étiez toute jeune fille.
Karen Blixen
Oui, j'ai écrit trois contes quand j'étais jeune fille. Je n'avais que 19 ans et ils ont été publiés dans les magazines danois. Et on m'a encouragée à continuer à écrire, mais je ne voulais pas. Ce n'était pas ça que je voulais, j'aimerais faire dans la vie. Je répondais : « Non, j'aime à voyager, à voir le monde, à monter à cheval, à danser, à faire de la musique. Je ne veux pas être un papier imprimé ».
Pierre Dumayet
Je trouve très bien qu'aujourd'hui, justement, paraisse ce livre de contes qui est beaucoup plus récent mais qui rappelle, en même temps, ces trois premiers contes de votre jeunesse et qui sont tous des livres fantastiques. Merci.
Karen Blixen
Oui.
(Musique)