Samuel Beckett par Roger Blin

02 février 1968
02m 50s
Réf. 00050

Notice

Résumé :

Roger Blin raconte comment il a rencontré Samuel Beckett, et les nombreuses difficultés qu'il a dû surmonter pour monter la pièce En attendant Godot, qui est finalement produite au Théâtre Babylone en 1953 grâce au soutien de Jean-Marie Serreau et de Georges Neveux.

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Date de diffusion :
02 février 1968
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Éclairage

Samuel Beckett, écrivain irlandais né en 1906, quitte très tôt son pays natal pour s'installer en France. Lecteur d'anglais à l'Ecole Normale Supérieure, il fréquente les cercles littéraires parisiens et y rencontre, entre autres, James Joyce. Il publie entre 1951 et 1953 ses trois textes romanesques majeurs, écrits en français, Molloy, Malone meurt et L'Innommable.

Mais c'est grâce au théâtre qu'il connaît la gloire, tout d'abord avec la représentation en 1953 de En attendant Godot puis avec ses autres pièces, dont Fin de partie (1957) et Oh ! Les beaux jours (1963). Il reçoit en 1969 le prix Nobel de littérature, ce qu'il considère comme une "catastrophe", car il refuse absolument l'idolâtrie qui environne ses créations et déteste les mondanités.

Ses oeuvres se réclament du théâtre de l'absurde, mouvement littéraire dont il partage la paternité avec Ionesco. En attendant Godot, dialogue entre deux clochards, Vladimir et Estragon, attendant Godot - qui n'arrivera jamais - symbolise une crise de la parole, mêlant tragédie et comédie, comme des "Pensées de Pascal jouées par les Fratellini", disait Anouilh. Beckett est décédé en 1989, il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.

Aurélia Caton

Transcription

Roger Blin
J'ai connu Samuel Beckett, lui personnellement, je crois en... 1950 Je connaissais sa pièce En attendant Godot depuis un an à peu près, c'est-à-dire que j'étais à La Gaieté-Montparnasse et nous avions la sonate des spectres de Strindberg. Et devant une quinzaine de personnes, chaque soir, et il s'est trouvé quelqu'un qui est venu deux fois, après j'ai appris que c'était Samuel Beckett. Et entre-temps, il m'avait fait passer sa pièce, et je l'ai lu, je n'ai pas tout compris certainement, d'abord, mais enfin je me suis dit : c'est quelque chose qu'il faut monter ça. C'est quelque chose d'extraordinaire et qu'il faut monter. Dans mon propre théâtre, je ne pouvais pas, mes associés ne voulaient absolument pas, j'ai cherché ailleurs. J'ai fait vraiment tout, la plupart des théâtres de Paris, on m'a ri au nez, et j'ai connu Beckett, il n'a pas pris part à mes démarches, seulement il les a assez suivies, et entre-temps un de ses romans était sorti : Mulloy. Et tout de même, en 53, enfin fin 52, au théâtre de Babylone que dirigeait Serrau, j'ai porté la pièce. Il l'a pris, le théâtre n'était pas connu, enfin c'était un petit théâtre que toute une équipe très courageuse avait monté, et alors Serreau me dit : ça va pas trop bien pour nous, mais s'il faut mourir, mourons en beauté, n'est-ce pas. Et alors, j'avais auparavant soumis la pièce à la commission de l'aide à la première pièce, et il s'est trouvé que personne ne l'avait lue, que personne ne s'y était intéressé. Quand je rencontre Georges Neveux, je lui demande s'il avait lu la pièce. Il me dit : non, je ne l'ai pas lue encore. Je dis : je vous en supplie, lisez-la, et le lendemain je reçois une lettre enthousiaste qui me dit : je défendrai cette pièce, jusqu'à la mort, n'est-ce pas. Et grâce à lui, il a tapé du poing sur la table un petit peu, il a réveillé les autres membres de cette commission qui n'avaient pas lu, qui ne l'ont peut-être jamais lue depuis, et il a pu nous avoir une espèce d'aumône de cinq cent mille francs anciens. Qui nous a permis de monter la pièce pour un petit mois, et puis elle a continué après et ça a été un succès assez immédiat.