Javier Marìas à propos de L'Homme sentimental

31 mars 1989
04m 02s
Réf. 00155

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Résumé :

L'écrivain espagnol Javier Marìas présente sur le plateau d'Apostrophes son roman L'Homme sentimental.

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Date de diffusion :
31 mars 1989
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Éclairage

Auteur précoce de nouvelles reprises plus tard en recueil et d'un roman publié à vingt ans (Los dominios del lobo, 1971), le romancier madrilène Javier Marías (1951), fils du philosophe Julián Marías, est d'abord traducteur (sa traduction de Vie et opinions de Tristam Shandy, de Laurence Sterne, reçoit en 1979 le Prix national de traduction) et professeur de littérature, notamment à Oxford.

Prolifique, il publie six romans (dont L'Homme sentimental en 1986) avant de connaître avec Un coeur si blanc, en 1992, une consécration confirmée par Demain dans la bataille pense à moi (1994) et Dans le dos noir du temps (1998). Se revendiquant de Faulkner, Sterne et Conrad, dont il prolonge le travail d'expérimentation narrative, il publie à partir de 2002 les trois tomes de son roman le plus ambitieux, Ton visage demain.

Critique littéraire, observateur souvent acerbe de la réalité espagnole, romancier décrié par certains, il est néanmoins nommé à l'Académie Royale Espagnole en 2006.

Aurélia Caton

Transcription

Bernard Pivot
Javier Marias, vous dites au début, il y a un petit avertissement dans votre livre, vous dites que vous commencez un roman sans savoir, finalement, ce que vous allez raconter, mais souvent, à travers une image simplement.
Javier Marias
Oui, ça, c'est vrai. C'est quelque chose qui m'est arrivé toujours, de ne pas savoir exactement quand je commence à écrire une phrase dans le livre, de savoir très exactement qu'est-ce qui va arriver, qui seront les personnages et tout ça, mais disons peut-être c'est une image, c'est une chose qui arrive je crois, à beaucoup d'écrivains. Je me souviens, par exemple, Faulkner, il dit, dans le commencement d'un de ses romans, c'est parce qu'il avait vu une petite fille sur un arbre, et ça, c'était le commencement de Tandis que j'agonise, je crois, par exemple.
Bernard Pivot
Et vous, c'est une femme dans un train ?
Javier Marias
Oui, partiellement, une femme que j'ai vue dormir pendant 3 heures dans un train de Venise. Bon, j'ai vu cette femme pendant 3 heures, elle était endormie. Ce que je dois dire, c'est que je ne dis pas dans la préface, cette femme, elle n'était pas une inconnue, elle voyageait avec moi. Ça, ce n'est pas dans la préface. Mais alors, je l'ai vue, disons, d'une façon nouvelle parce que je l'ai vue, pendant 3 heures, endormie et cette image m'a suggéré un peu de choses pour ce roman.
Bernard Pivot
Alors le narrateur, c'est un ténor qui est, d'ailleurs, lui-même espagnol et qui revient à Madrid pour jouer Othello de Verdi au théâtre de la Zarzuela, et il rencontre un trio, un curieux trio. Alors lui, c'est un Belge.
Javier Marias
Le banquier.
Bernard Pivot
Banquier belge mais qui a l'air autoritaire, qui n'a pas l'air sympathique. Sa femme, qui est plutôt mélancolique.
Javier Marias
Oui, on peut dire comme ça.
Bernard Pivot
Et puis, il y a un accompagnateur bizarre.
Javier Marias
Il y a bien sûr... Ce n'est pas un hasard que c'est l'Othello de Verdi qu'on va jouer parce que ce n'est pas une adaptation bien sûr mais ce n'est pas un hasard, disons, parce qu'on pourrait dire que ce narrateur pourrait être un Cassius, et bien sûr, l'accompagnateur pourrait un Iago, etc. Mais c'est pas la chose la plus importante, mais il y a cet élément aussi, oui.
Bernard Pivot
Et voilà notre ténor qui rentre dans le trio et tombe amoureux de la femme, mais il ne sais pas qu'il y a, entre le mari, banquier belge, et sa femme, il y a un pacte d'argent, c'est-à-dire qu'ils ne se sont jamais...
Javier Marias
Disons qu'il y a un passé pour cette femme et son mari le banquier. Il y a un passé du XIXe siècle c'est-à-dire cette femme, on pourrait dire qu'elle a été vendue, comme on faisait peut-être un peu aussi au début du XXe siècle. Et alors, disons que dans ce cas, puisque l'action, elle a lieu maintenant, à présent, dans l'actualité, dans ce cas, disons que le problème qui m'intéressait, dont on parle un peu dans cette préface du livre en français, c'est que, disons, cet homme, le banquier, qui pour ainsi dire, a acheté un jour cette femme, c'est un homme qui s'est installé, justement, parce qu'il n'est pas exactement correspondu par sa femme, il s'est installé dans l'imaginaire. Alors il vit cette histoire d'amour dans l'attente...
Bernard Pivot
Il espère qu'un jour elle l'aimera.
Javier Marias
Exactement.
Bernard Pivot
Et l'homme sentimental, contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est lui.
Javier Marias
Bien sûr. On pourrait aussi dire... on pourrait l'avoir appelé aussi « l'homme sauvage » parce qu'il a une réaction finale que c'était plutôt sauvage que sentimental. Pour moi, à présent, dans notre société, il serait une sauvagerie, je crois, parce que personne, à présent, je crois, normalement, prend les histoires d'amour qui terminent, comme cet homme-là.