Victoria Abril

15 mai 1992
06m 08s
Réf. 00195

Notice

Résumé :

Présidente du jury des scénaristes au festival de Cannes, Victoria Abril parle de la façon dont elle vit son statut de star, de son besoin de liberté et de son amour pour le cinéma. Pedro Almodovar vient la chercher à la fin de l'interview.

Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1992
Thèmes :

Éclairage

Interviewée au Festival de Cannes 1992 pour assurer des fonctions de présidente du jury des scénaristes, la chanteuse et actrice espagnole Victoria Abril (née en 1959) parle de son métier de comédienne, qu'elle a commencé dès l'âge de 15 ans pour une filmographie déjà prolifique.

Elle évoque aussi son travail avec les cinéastes Vicente Aranda, dont elle vient de tourner Amants en 1991 (qui lui a valu un prix d'interprétation au Festival de Berlin), et surtout Pedro Almodovar, qui l'a fait tourner en 1992 dans Talons aiguilles après lui avoir confié dans Attache-moi en 1991 le rôle d'une actrice de cinéma pornographique cherchant à faire carrière dans le milieu "traditionnel". Dans Talons aiguilles, elle interprète Rebecca, qui vit avec l'un des anciens amants de sa mère. Celle-ci cherche à reprendre contact. Aux côtés de Marisa Paredes, Victoria Abril incarne avec force cette fille délaissée par sa mère dans son enfance, qui n'a comme souvenir que le claquement de ses "talons aiguilles".

En 1994, dans Kika du même Almodovar, Abril se concentre sur son talent comique dans le rôle d'une journaliste à sensation prête à tout pour son émission de direct télévisé intitulée "Le pire du jour".

Charlotte Garson

Transcription

Interviewer
Victoria Abril, qu'est-ce que ça fait de comédienne connue, des cinéphiles et des metteurs en scène, à un stade de star ? Ou quasiment de star.
Victoria Abril
Pour moi, il n'y a pas de différence Et je pense que... et je ne sens pas de différence parce que de toute façon d'une façon psychologique, d'une façon pratiquement intellectuelle, je crois que la gloire, ça doit être, pour mettre une métaphore, ça doit être comme les prostituées. Il ne faut surtout pas courir après elle, mais qu'elle coure après toi. Et tu avances toujours un petit peu, tu vois, tu la laisses courir très court comme les taureaux sur les chevaux. Mais tu ne les laisses pas te prendre.
Interviewer
Oui.
Victoria Abril
C'est la seule façon de ne pas avoir les emmerdes de la gloire.
Interviewer
C'est quoi les emmerdes de la gloire ?
Victoria Abril
Ben, quand tu n'as que ça, quand tu ne vois que ça, tu vois.
Interviewer
Il y a beaucoup d'acteurs...
Victoria Abril
C'est le pot qui t'empêche de voir le bois, tu vois ?
Interviewer
Il y a beaucoup d'acteurs comme ça.
Victoria Abril
Peut-être parce qu'ils sont peut-être très intéressés par les pots. Moi, ça m'intéresse toujours les bois. Je préfère voir les bois et être... et en plus, être indépendante et libre.
Interviewer
Oui, ça c'est...
Victoria Abril
Pour bouger quand je veux dans le bois que... en face du pot comme ça en train de regarder tes géraniums, ta gloire, ta popularité. Ça ne nourrit pas ça. Ça ne nourrit pas, tu vois, tu ne grossis pas avec la gloire.
Interviewer
Ça paraît très important pour vous la liberté ? C'est un mot qui revient très souvent dans les interviews ou partout, la liberté.
Victoria Abril
C'est peut-être de la claustrophobie. Je n'aime pas qu'on m'étiquette. Je n'aime qu'on me serre, même si... Je n'aime qu'on mette une enveloppe même si c'est de très belles enveloppes, je n'aime pas qu'on me mette des lacets ni des tampons. Et je n'aime pas qu'on me dise : « Ah c'est ça qu'il faut que tu fasses ». J'aime bien me surprendre, donc surprendre les autres, c'est logique. Je n'aime pas qu'on m'attende. Je préfère toujours arriver au dépourvu. Voilà.
Interviewer
Mais Pedro Almodovar, bon c'est une entente, c'est un rapport formidable avec un metteur en scène. Est-ce que vous imaginez d'autres metteurs en scène, d'abord avec qui vous avez envie de tourner, et avec lesquels vous pourriez établir ce genre de contact ?
Victoria Abril
Ben oui, je suis prête, j'adore ça. Le cinéma, pour moi, c'est la meilleure façon de vivre que je connaisse. J'ai fait du cinéma depuis que j'ai quinze ans. J'ai fait soixante films. Je ne sais pas faire autre chose. C'est ma manière de vivre, pas ma manière de gagner mon croûton, Ou de gagner ma vie d'une façon laborale et strictement laboral, c'est ma façon de vivre. Chaque film à moi, ça me prend deux mois. Ca me prend la tête, le corps, l'esprit, ça me prend tout. Ce n'est pas deux mois ma vie personnelle, mais c'est deux mois, de mon existence. Donc, ça finit par compter. Donc, je ne peux pas pas travailler. Je ne peux pas vivre chaque film avec l'intensité des Talons Aiguilles ou d'Amant. Il faut que ça ne descende pas. C'est mon problème d'ailleurs, et c'est pour ça que je n'ai pas de projets. Mais, parce que je ne veux pas descendre, je ne veux pas descendre les niveaux. Moi, je suis assez pragmatique. Je n'ai jamais rêvé de Scrocese, ni de l'autre... Non, j'ai mis tous mes rêves et tout mon enthousiasme sur les suivants, qui s'appellent Machine, qui est, tu vois, qui est espagnol ou qui est d'ici, qui est ces scénarios. Et c'est sur ça que je mets toutes mes illusions. En attendant pas Godot mais Scorcese ou que Alison Maclean m'appelle... Et je veux te dire que ça me réussit assez bien.
Interviewer
Ils appellent ?
Victoria Abril
Parce que j'ai rempli d'une façon très cohérente et très vitalement pressante en attendant un futur meilleur et que je n'attends pas d'ailleurs. Je ne le regarde même pas. A l'arrière non plus. Je ne passe pas mon temps à regarder qu'est-ce que j'ai fait.
Interviewer
Vous vivez dans le présent ?
Victoria Abril
Je ne vis que le présent parce que c'est la seule chose dont je suis sûre.
Interviewer
C'est la première fois que vous participez d'une façon aussi importante à un festival de Cannes du moins.
Victoria Abril
Oui, c'est si rare parce que de toute façon, je ne suis pas là pour un film à moi mais pour douze films qui ne sont pas à moi. Que c'est parce que j'ai décidé d'être présidente du jury des scénaristes. D'ailleurs on va donner le prix tout à l'heure. Mais donc, si tu vois, je suis là pour le cinéma. Je suis là pour moi. Je ne suis pas pour moi. On va donner un prix au meilleur scénario, il y a eu six cents scénarios dans ce concours. Il y en a un qui va gagner ce soir, deux millions, ce qui n'est pas mal.
Interviewer
Un oscar pour toi bientôt peut-être aussi si un metteur en scène qui sait aller au plus profond, au plus loin.
Victoria Abril
C'est-à-dire, je ne me plains pas. Et dernièrement, on ne peut pas dire qu'il ne se donne pas du mal avec Pedro, Attache-moi et Talon Aiguilles. Il ne le sait même pas combien de choses il a trouvé, il ne sait même pas. Moi non plus d'ailleurs. On l'a découvert au même moment. Et avec Vicente Aranda, avec Amantes puisque c'était l'autre film de l'année dernière, je peux te dire que, d'abord j'ai fait mon premier rôle comme femme, pas comme jeune objet du désir, mais comme femme active, pas passive. Pas objet du désir, mais c'est quelqu'un d'autre qui l'est pour moi. Et donc, tu vois, c'est comme si je suis une petite fille avec des chaussures nouvelles. C'est bien. En fait, moi j'adore la trentaine. Ca va être une décennie formidable.
Pedro Almodovar
Je n'avais pas dit qu'il était là.
Victoria Abril
Allez.
Pedro Almodovar
Je suis d'accord.
Victoria Abril
Hein ?
Pedro Almodovar
Je suis d'accord.
Victoria Abril
Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?
Pedro Almodovar
Que tu es belle, hein... Que ça te va bien.
Victoria Abril
Où ça ?
Pedro Almodovar
Je suis très heureux de travailler avec elle.
Victoria Abril
On est ensemble, le mariage est très beau. Elle est si forte, tellement forte qu'elle m'emporte.
Pedro Almodovar
Elle est tellement bien.
Interviewer
Oui.
Victoria Abril
Oh, ça me va pas, ça...
Pedro Almodovar
OK.
Victoria Abril
Mais qu'est-ce que c'est que ça, allez, dehors !