A propos de la pièce Guerre de Lars Norén

10 décembre 2003
07m 40s
Réf. 00315

Notice

Résumé :

La comédienne Agathe Molière s'entretient avec Philippe Lefait à propos de la pièce Guerre du Suédois Lars Norén , montée au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Cette pièce évoque une guerre, dont on ne connaît pas le nom, et la façon dont elle transforme les humains, ceux qui la font et ceux qui ne la font pas, les adultes comme les enfants.

Type de média :
Date de diffusion :
10 décembre 2003
Source :

Éclairage

Dramaturge et metteur en scène suédois, Lars Norén (né en 1944) écrit d'abord des recueils de poésie (Lila neige). Après un passage par le roman, il écrit pour le théâtre à partir de 1973 et met en scène ses pièces. Considéré comme l'héritier d'August Strindberg, il explore les angoisses existentielles à travers le huis-clos familial, en puisant dans sa propre intimité (La Force de tuer en 1978, La Veillée en 1985). Avec Catégorie 3.1 (1997), il sort du cadre familial pour s'intéresser aux exclus. En France, Norén a été monté par de nombreux metteurs en scène, notamment par Jean-Louis Martinelli au Théâtre des Amandiers à Nanterre (dont Kliniken en 2007 et Détails en 2008).

Lars Norén a succédé un temps à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre national de Suède et depuis 1999, il dirige le Riks Drama, théâtre national itinérant suédois.

Claire Libbra

Transcription

Philippe Lefait
On va parler maintenant du théâtre, avec vous, Agathe Molière, la bien nommée, on vous la fait tout le temps, évidemment, bon on la passe... Vous êtes comédienne et vous jouez dans la pièce du Suédois Lars Noren, vous jouez une jeune fille qui retrouve son père, qui revient de guerre. Alors on imagine bien que, on est dans l'ex-Yougoslavie, ça ressemble beaucoup à l'ex-Yougoslavie, et c'est une pièce d'un pessimisme total mais qui donne finalement, terriblement, un désir de vie. Et on ne peut pas, on ne peut pas sortir de cette pièce sans y penser pendant des jours et des jours et des jours. Comment est-ce que vous avez abordé ce personnage, et comment est-ce que finalement on peut incarner l'horreur, personnifier l'horreur ?
Agathe Molière
Ça, je pense que c'est différent quand on est de l'intérieur, puisqu'on comme les personnages, on vit dans leurs conditions et leur vie, c'est plus difficile pour le spectateur en fait que pour, je pense que pour nous, à l'intérieur quoi.
Philippe Lefait
Oui.
Agathe Molière
Voilà. Et ça parle de survie, en fait. Un peu quand même, donc...
Philippe Lefait
Oui, mais survie à quelle condition ? Tout le monde est handicapé dans cette pièce. C'est-à-dire que vous, vous avez un bras paralysé, que votre soeur est prostituée, que la mère a connu, a refait sa vie, si l'on peut dire avec son beau-frère, et l'homme qui revient, l'homme qui revient de la guerre revient aveugle. Donc, il y a aucune échappatoire, on est cerné par l'horreur.
Agathe Molière
C'est vrai.
Philippe Lefait
Comment, vous parliez de votre intérieur tout à l'heure, comment est-ce que vous avez abordé votre personnage ? On va vous voir dans une seconde, et si on ne connaît pas votre âge, on imagine que vous avez 15 ans. Comment est-ce qu'on réussit cette performance, parce que, il s'agit véritablement d'une... Alors pour le coup et on laisse la pièce et son horreur de côté mais, d'une performance extraordinaire de comédien, de comédienne.
(Silence)
Agathe Molière
En fait, c'est une question d'énergie quoi, c'est pour, moi pour interpréter comme ça une enfant, j'ai été cherché une autre énergie que celle que j'ai, et après j'ai, Lars Noren nous a dirigé d'une façon à ne pas jouer et à être. C'est-à-dire que, on devait rien jouer, mais on, il nous disait toujours de ne pas jouer l'enfant mais d'être une enfant, que j'étais une enfant. Que je pouvais avoir confiance, que j'étais une enfant, et dès que je commençais à jouer l'enfant, on n'y croyait plus en fait, donc c'est un état d'énergie, d'éveil et de curiosité de l'enfance et de réaction. C'est juste la réaction et pas de..
Philippe Lefait
Pas de jeu.
Agathe Molière
Pas de jeu, pas de construction, pas de...
Philippe Lefait
Mais vous trouvez où cette enfance en vous ? C'est du souvenir d'avant, c'est...
Agathe Molière
Elle est là, elle est là en nous quoi.
Philippe Lefait
Regardons un extrait de la pièce, donc vous êtes, vous êtes Semira, vous avez 12 ans, vous parlez à votre père de ce que vous avez lu et le livre, c'est, j'ai oublié le titre
Agathe Molière
C'est Anne Franck.
Philippe Lefait
Voilà, le journal d'Anne Franck, c'est ça ? Alors on regarde ce moment où ce père aveugle est en discussion avec sa petite fille qui a grandi.
Agathe Molière
Maman et Belina elles disaient que t'étais mort. Mais moi, je savais que t'étais vivant, je savais que t'allais rentrer à la maison. On va déménager ?
Comédien
Qui t'a dit ça ?
Agathe Molière
Maman, elle a dit qu'on va peut-être déménager, on va payer de quoi manger, s'habiller, où je peux aller à l'école.
Comédien
On déménagera nulle part.
Agathe Molière
Non, je veux pas déménager. C'est pas grave que tu puisses pas voir. Bien sûr, c'est ennuyeux pour toi, mais ça aurait été pire si t'avais pas pu marcher. Il y a un garçon dans ma classe, il n'a plus de bras. Et puis, il y en un, il n'a qu'une seule jambe. Mais il joue au foot quand même ! Il veut devenir une star du foot ! Pff ! Ils font que jouer au foot. [incompris] elle va pas à l'école alors ça fait rien. Maman a dit que je pourrais aller à l'hôpital parce que j'ai eu tellement peur. Puis je tremblais sans arrêt, je pouvais pas manger et dormir. Mais maintenant j'ai plus peur ! Maintenant on va tous les tuer, et après ils pourront plus rien faire, et puis tout ira bien de nouveau, je pourrais aller à l'école, et quand je rentrerais, je pourrais lire le journal, ou aller chercher les choses dont tu as besoin. Belina, elle veut déménager, mais je sais pas où elle veut déménager. Elle est en train de faire des économies, pour que ça soit possible. Mais moi, j'ai l'intention de rester et de m'occuper de toi et de maman. Elle viendra peut-être nous rendre visite après un certain temps, et elle apportera des beaux cadeaux, et elle m'emmènera peut-être à Disneyland, elle a promis de le faire avant que j'aie 18 ans. Extrait du film
Philippe Lefait
Vous êtes l'enfant. Comment est-ce que vous avez lu la pièce au départ ? Alors là, sans penser que vous alliez la jouer ou pas la jouer d'ailleurs, vous alliez y être l'enfant ? Mais comment est-ce qu'on reçoit cette pièce ?
Agathe Molière
En fait, quand on l'a lue la première fois, il n'avait pas écrit la fin, donc ... C'est une création, donc on a, on l'a découverte qu'au fur et à mesure. La première fois qu'on l'a lue, il y avait les trois quart seulement, et donc on pouvait pas, on était, c'était un petit bout qu'on prenait mais qu'on pouvait pas s'en faire une idée ou quoi que ce soit, sur l'ensemble. On avançait en même temps que l'écriture avançait aussi, en même temps que le projet avançait, donc on était au même, on pouvait pas, c'est pas psychologique, on pouvait pas y penser avant quoi.
Philippe Lefait
Alors la fin de la pièce, on va la dévoiler ici, mais la fin de la pièce donc, finalement le frère finit, enfin l'homme qui rentre de la guerre, qui rentre aveugle de la guerre finit par se rendre compte que son frère dont on lui a, dont sa femme lui a dit qu'il avait disparu, est en fait là. Il se retrouvent tous les deux, et ils n'ont pas vécu la guerre de la même manière puisque l'un était plutôt planqué, en tout cas, et l'autre a fait la guerre, et cette pièce se termine avec le frère qui évoque son fils, et qui évoque les bourreaux, ses bourreaux et les bourreaux de son fils, et qui dit : mais alors qu'est-ce que tu as fait ? Et ils m'ont ordonné de le frapper, de le frapper, de le frapper, de le frapper, de le frapper..., et la pièce se termine comme ça. Et je trouve, c'est une pièce formidable qui dit 10 fois mieux que n'importe quel journaliste ou n'importe quel reportage de télévision sur la guerre ou de presse écrite, qui dit la guerre et les sentiments qu'on peut en avoir. Mais il y a aussi des choses qui ont été remarquablement faites par le théâtre dans ce domaine, c'est Requiem pour Sebrenica d'Olivier Py ou encore par le groupe Off, qui est une compagnie, qui est une compagnie belge, Rwanda 94. Je trouve qu'on est dans le même registre théâtral qui dit, enfin prodigieusement, et profondément. Merci Agathe Molière d'être, vous sortez de scène donc, vous avez, vous avez un peu, un peu couru pour être parmi nous, c'est très aimable à vous