Georges Simenon

17 mars 1967
03m 29s
Réf. 00044

Notice

Résumé :

Georges Simenon est de passage à Paris à l'occasion de la publication de toute son oeuvre aux éditions Rencontres et pour la sortie de son dernier roman, Le Chat. Après avoir raconté l'intrigue de ce dernier roman, il explique que pour lui, l'écriture est toujours une vocation, mais qu'il n'est jamais satisfait de lui-même. Pour terminer, il avoue avoir toujours un véritable besoin d'écrire pour entrer dans la peau de ses personnages.

Type de média :
Date de diffusion :
17 mars 1967
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :
Thèmes :

Éclairage

C'est à 17 ans que Georges Simenon (1903-1989) écrit Au pont des arches, le premier de ses 200 romans. A cette époque, obligé d'abandonner ses études à cause de la maladie de son père, il entre comme reporter de faits divers à La Gazette de Liège, un journal conservateur où s'affirme son attrait pour les enquêtes policières. En 1922, il choisit de vivre la bohème à Paris, publiant alors, sous divers pseudonymes, des romans feuilletons à un rythme qui lui vaut le surnom de "feuilletoniste-vapeur". Voyageant à partir de 1928, sur une péniche en France puis en Afrique et en Asie pour des reportages, il finit par s'installer en 1932 dans la région de La Rochelle, à laquelle il consacre plusieurs romans.

C'est dans une série de nouvelles pour le magazine Détectives qu'apparaît en 1930 le personnage du commissaire Maigret, auquel Simenon consacre un premier roman l'année suivante : Pietr le Letton. 18 suivront, avant que le personnage ne prenne une première fois sa retraite en 1934.

Après la guerre - où son attitude passive lui valut certains soupçons - il s'installe en Californie, ne revenant définitivement en Europe qu'en 1955. Entre temps, en 1945, il signe avec les Presses de la cité un contrat pour reprendre sa série à succès avec des romans comportant toujours le nom de Maigret dans le titre, jusqu'à Maigret et monsieur Charles, en 1972, son dernier roman. Affecté par le suicide de sa fille Marie-Jo, il ne se consacre dès lors plus qu'à dicter ses mémoires, publiées en vingt volumes.

Aurélia Caton

Transcription

(Silence)
Christian Durieux
Cette pile de livres représente toute l'oeuvre de Georges Simenon. L'auteur des célèbres Maigret est, en ce moment, à Paris. Motif de ce séjour : la publication, précisément, de ses oeuvres complètes et la sortie de son 191e roman : Le Chat. Est-ce que vous pouvez nous définir ce qu'est Le Chat, en deux mots ?
Georges Simenon
Et bien oui, si vous voulez, mais ce n'est pas très drôle. Ce sont deux vieillards, très vieux, un couple qui ont, d'ailleurs, été tous les deux mariés avant, tous les deux veufs, et qui vivent dans une petite maison, ici, à Paris et qui se haïssent, à la suite, d'ailleurs, de la mort d'un chat. Et ils se méfient l'un de l'autre aussi. Ils croient chacun que l'autre cherche à l'empoisonner. Chacun fait sa cuisine. Ils ne se parlent pas. Ils communiquent uniquement par des petits billets qu'ils s'envoient l'un à l'autre. Enfin, il y a d'autres épisodes, bien entendu. Ça semble finir mal mais malgré toute cette charge de haine, je crois, en fin de compte, avoir écrit un roman d'amour.
Christian Durieux
J'ai lu deux définitions de Georges Simenon. La première, c'est... On a dit de vous « un avocat des hommes ». Et la seconde, elle est de vous, d'ailleurs, c'est « un raccommodeur de destinées ». Laquelle préférez-vous ? Celle que vous avez trouvée ?
Georges Simenon
Et bien, j'aurais mieux aimé être un raccommodeur de destinées mais ce n'est pas en parlant de moi que j'ai dit cela, c'est en parlant de Maigret. Je voudrais être raccommodeur de destinées et être capable de réconcilier les hommes entre eux ou avec eux-mêmes, mais malheureusement, je ne le suis pas. Tout ce que je peux peut-être faire quelquefois par mes romans, c'est leur montrer qu'ils sont moins mauvais qu'ils ne croient eux-mêmes et qu'ils sont aussi moins des cas uniques, que tout le monde, plus ou moins, a les mêmes problèmes, les mêmes drames sur une échelle différente, mais qu'en fin de compte, le destin humain s'égalise à peu près, se ressemble à peu près.
Christian Durieux
Lorsque vous avez écrit Au pont des Arches, vous aviez 16 ans.
Georges Simenon
Exactement.
Christian Durieux
Et vous pensiez, à cette époque, que le fait d'écrire n'était pas une profession mais une vocation. Vous le pensez encore aujourd'hui ?
Georges Simenon
Je le pense encore aujourd'hui. D'abord parce qu'il y en a 1 sur 100... Sur 100, au départ, il y en a 1 qui réussit. Et deuxièmement, parce que même pour ceux qui réussissent, c'est une vie assez pénible. On n'est jamais satisfait de soi. Je vous ai dit, tout à l'heure, que je poussais des cris de joie quand je finis un roman, mais 24 heures après, je suis inquiet, je me dis qu'il ne vaut rien, etc. et que j'ai raté complètement. On n'est jamais sûr de soi.
Christian Durieux
Qu'est-ce que ça vous fait, aujourd'hui, d'avoir vos oeuvres complètes ? Parce qu'elles vont paraître aux éditions Rencontre.
Georges Simenon
Ça me fait très peur, n'est-ce pas ? Je me demande comment le public va pouvoir absorber tout cela sans s'ennuyer. J'ai toujours un petit peu peur plutôt que de la joie.
Christian Durieux
Et pourquoi continuez-vous à écrire ? Parce que vous pourriez vous dispenser d'écrire, aujourd'hui.
Georges Simenon
Mais j'aurais pu me dispenser d'écrire et faire autre chose, seulement c'est parce que j'ai besoin d'écrire. Lorsque je reste un certain temps sans écrire, je me sens tellement mal à l'aise, je me sens tellement mal que je vais voir mon médecin et que je deviens un malade imaginaire.
Christian Durieux
Vous vous sentez mal dans votre peau quatre fois par an ?
Georges Simenon
Oh oui. D'ailleurs, déjà maintenant, par exemple, il y a deux mois que je n'écris pas, et bien j'ai hâte, de nouveau, d'être dans mon bureau et devant ma machine à écrire à me sentir dans la peau de mes personnages au lieu d'être dans la mienne.