Kenneth White

10 février 1980
04m 40s
Réf. 00099

Notice

Résumé :

Entretien avec Kenneth White, dans sa maison dans la campagne française. Il évoque son oeuvre de poète, son dernier livre, son choix de venir vivre en France.

Type de média :
Date de diffusion :
10 février 1980
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Thèmes :

Éclairage

Kenneth White, penseur et poète né en 1936, commença à s'ouvrir à la beauté du monde naturel lors de son enfance, dans un décor écossais face à la mer et à ses étendues sauvages. Il suit des études de littérature, de philosophie et de latin à Glasgow, puis s'installe en France. C'est là qu'il découvre les surréalistes, la pensée orientale et les cultures primitives. Lecteur d'anglais à la Sorbonne, il publie ses premiers poèmes dans le recueil Wild Coal.

Nommé à la chaire de poétique du XXe siècle de l'université de la Sorbonne, il publie des récits philosophiques et des poésies, très marqués par le rapport aux éléments et par ses nombreux voyages tout autour de la terre. En 1989, Kenneth White fonde l'Institut international de géopoétique. Son idée est de mêler poésie, biologie, écologie, philosophie et auto-analyse. Une poétique nouvelle serait alors possible, mêlant littérature et sciences. Il publie en 1994 Le Plateau de l'albatros, qui dresse la première cartographie de la géopoétique.

Auteur prolifique, il publie entre autres en 2005 Le Passage extérieur (un recueil de poèmes), La Maison des marées (de la prose narrative) et L'Ermitage des brumes (des entretiens sur son rapport à l'Orient). Aujourd'hui, il multiplie les conférences universitaires pour exposer ses idées sur "l'intelligence poétique". En 2006, il a publié Le Rôdeur des confins, ouvrage qui évoque la découverte de territoires du monde entier.

Aurélia Caton

Transcription

Léon Zitrone
Kenneth White, un nom, un visage encore peu connu du grand public. Kenneth White est un écrivain, un jeune poète écossais, l'un des plus brillants de sa génération. Depuis 12 ans, il vit en France et il écrit directement en français comme Ionesco, Troyat ou Julien Green. Les Lettres de Gourgounel, son dernier livre, en est le témoignage. Il y raconte les paysans de l'Ardèche. Nous l'avons rencontré à Pau durant l'une de ses promenades dans les vallées pyrénéennes.
(Musique)
Monique Atlan
Kenneth White est écossais, un écossais voyageur. Quand il parle de lui, Kenneth White se définit comme piéton, passager, passant. Vagabond toujours en mouvement, il franchit toutes les frontières de l'Irlande aux déserts d'Afrique, de la Norvège à l'Espagne, de la Chine aux rives du Saint Laurent. Exilé volontaire, il saute d'une culture à l'autre pour éviter l'enfermement. Il raconte ses parcours dans un langage de poète, même s'il refuse ce nom.
Kenneth White
Je n'aime pas l'étiquette poète à cause de toutes les connotations, toutes les connotations qui sont attachées à ce mot, n'est-ce pas ? Qu'est-ce... Quand on dit le mot « poète », qu'est-ce qu'on entend ? On entend de la rhétorique creuse, on voit un type dans les nuages, enfin, toutes sortes de choses, donc je voudrais me débarrasser mes activités de toutes ces connotations-là. Donc je dis : si quelqu'un peut débarrasser le mot de ces connotations, d'accord, je veux bien accepter le mot « poète » mais je préfère utiliser d'autres mots et je change de nom de temps en temps. Je m'appelle « Un Ecossais errant », je m'appelle « Un nomade intellectuel », je m'appelle « un Surnihiliste », je m'appelle « Un Ecossais extravagant », « Un clochard transcendental », toutes sortes de choses. Parce que l'activité qui m'intéresse n'est pas qu'écrire des poèmes. J'écris des poèmes, c'est un peu la tête de flèche de mon activité. Mais j'écris aussi des livres de prose, j'écris des livres de pensées, j'écris des thèses. N'est-ce pas, c'est une activité multiple, polymorphe, qui implique aussi une certaine vie.
Monique Atlan
Même si son inspiration ne prend jamais sa source dans l'actualité, même s'il se veut inactuel, s'il aime la solitude qu'il trouve dans les montagnes cévenoles, au lieu-dit Gourgounel, son besoin de communiquer avec les gens, avec la nature reste total.
Kenneth White
J'ai aussi un grand amour de la réalité, la réalité la plus immédiate, et Gourgounel, le livre que j'ai écrit là-bas, est un livre de la réalité immédiate. Il s'agit d'un livre des cinq sens, il s'agit de l'odeur d'un champignon dans les bois, le fracas du tonnerre, les éclairs sur le Mont Tanargue. Un livre de sensualité ou d'impressions sensorielles. Aussi de rencontres avec des gens, les paysans de l'Ardèche. Rencontres de gens qui vivent une existence, justement, très près de l'essentiel.
Monique Atlan
Finalement, il n'est pas nécessaire d'aller très loin.
Kenneth White
Absolument pas. Absolument pas. Et justement, j'allais faire un certain travail. Dans ce travail, il s'agissait, pour moi, essentiellement de me nettoyer la conscience afin de voir les choses plus clairement, afin de me laver les yeux en quelque sorte.
Monique Atlan
Quand il ne voyage pas, Kenneth White habite à Pau, face aux Pyrénées. En ce moment, il prépare deux livres sur ses dérives en Chine et au Canada, deux horizons toujours complémentaires dont il organise les retrouvailles. Justement, vous êtes un Occidental et vous vous passionnez pour tout ce qui vient de l'Orient. Comment est-ce qu'on peut organiser une telle rencontre ? A quoi servent-elles, ces rencontres ?
Kenneth White
Je crois que c'est une chose qui travaille l'Occident d'une manière souterraine depuis au moins le XVIIIe siècle. Un homme comme Nietzsche disait, au XIXème, que si on pouvait allier l'énergie occidentale - et je tiens à la garder -, l'énergie occidentale à une certaine contemplation orientale, on aurait, disait-il, la solution de l'énigme du monde. C'est peut-être encore plus complexe que ça. Disons que c'est un travail que je fais. Je ne crois qu'on ne peut comprendre la nécessité d'une pensée... d'une certaine pensée orientale. Il ne s'agit pas, chez moi, d'exotisme absolu. Donc on ne peut comprendre la nécessité d'une certaine pensée orientale que si on a fait une analyse approfondie de la culture occidentale. Et il ne s'agit pas, pour moi, d'une asiatisation de l'Europe, il s'agit d'une complémentarité, de se rendre compte qu'un trait d'union peut se faire entre nous, maintenant, et une certaine pensée orientale. Pourquoi avez-vous choisi la France pour vous arrêter ? Bon, je disais bien que je suis Ecossais, et ça c'est un vieux truc. Ça remonte à des siècles. Déjà, au XIIIe siècle, il y avait ce qu'on appelait, entre l'Ecosse et la France, la « Vieille alliance ». C'étaient deux pays très liés, très liés intellectuellement et culturellement. Au Moyen-Age, par exemple, les étudiants venaient... Il n'allaient pas à Londres ou à Oxford, ils allaient à Paris. Donc il y a ce vieux lien. Et moi, bon, en tant qu'étudiant, je faisais des études de Français et d'Allemand. Il y avait un mouvement vers la France, et puis, je me suis marié à une Française, ce qui n'a fait que consolider les images entre moi et ce pays.