Jacques Rivette talks about his film The Nun

09 mai 1966
05m 52s
Ref. 00411

Information

Summary :

Photo session with Anna Karina, then interview with Jacques Rivette, who explains the basis of his film The Nun, according to Diderot, and defends himself for making a "despicably anti-clerical" work.

Media type :
Broadcast date :
09 mai 1966
Source :

Transcription

François Chalais
Sophia Loren, naturellement, présidente du jury, ce à quoi elle ne s'attendait sûrement pas il y a dix ans, lors de sa première et timide apparition à Cannes. Tout ce rassemblement, bien sûr, pour aller voir des films. Le premier à avoir réellement frappé l'opinion a pour titre "La Religieuse". Plus exactement, car on n'est jamais assez précis, " Suzanne Simonin, La Religieuse de Denis Diderot ", point, à la ligne. Pensionnat de jeune fille, s'abstenir. Son réalisateur : Jacques Rivette. Sa vedette : Anna Karina. Anna Karina est cet étrange petit animal made in Danemark, au teint de caviar blanc, à l'oeil d'Aquavit bleu si longtemps considérée comme une animatrice de films d'amateurs favorisée par le hasard, et qui vient, d'un seul coup, de prouver quelle avait sa place parmi les meilleures actrices de sa génération. Mais ne nous laissons pas égarer sur des chemins profanes. Rencontrons Jacques Rivette, séminariste de l'athéisme et confesseur doué d'une religieuse qui n'a pas fini de faire couler de l'encre, bénite ou non. En somme, "La Religieuse", si on peut dire, c'est votre première vraie chance ?
Jacques Rivette
Sur le plan du contact avec le public, oui.
François Chalais
C'est tiré, comme chacun sait, d'un roman de Diderot. Mais tout le monde n'a pas lu Diderot, notamment "La Religieuse". Que raconte Diderot, dans ce livre ?
Jacques Rivette
En deux mots, c'est l'histoire d'une jeune fille et ça se passe au XVIIIème siècle, c'est-à-dire exactement au moment où Diderot avait écrit le livre, c'est-à-dire en 1760. C'est l'histoire d'une jeune fille que ses parents forcent à entrer en religion, forcent à devenir religieuse contre son gré. Non pas que cette jeune fille n'ait pas la foi mais simplement parce qu'elle n'a pas envie de passer sa vie dans un couvent. Et le film, le roman, plutôt, et le film, par la suite, c'est donc l'histoire de cette jeune fille. On expose d'abord pourquoi, comment elle est obligée, finalement, d'accepter d'entrer au couvent. Et ensuite, l'histoire est surtout faite des rapports successifs de Suzanne Simonin avec les trois supérieures qui représentent, chacune, une forme différente de la vie monastique, d'une des directions extrêmes que peut prendre la vie monastique. Ces sont trois " postulations ", pour employer un mot un peu prétentieux, trois des " postulations " que peut prendre la vie du couvent.
François Chalais
Est-ce que sincèrement, vous pouvez vous considérer comme un homme à scandale qui aime pas forcément le scandale mais le canular qui va loin, le besoin de choquer l'opinion ? Est-ce que vous êtes un homme de cette sorte ?
Jacques Rivette
Non, moi, je ne le pense pas du tout. Enfin, évidemment, il est évident que quand on fait un film, on ne le fait jamais dans l'intention de faire quelque chose de complètement innocent. Toute oeuvre d'art a toujours... enfin, " oeuvre d'art "... Toute oeuvre qui essaye d'être une oeuvre d'art essaye aussi d'être une oeuvre qui provoquera plus ou moins le spectateur ou le lecteur, qui le heurtera, qui entrera en contact avec lui en essayant d'aller le chercher dans ses retranchements... Mais enfin, ce n'est pas... Je crois que ça peut être fait sans, pour cela, susciter des scandales gigantesques. Et là, nous n'avons pas du tout cherché le scandale. On a simplement cherché à mettre sur pellicule un sujet qui posait un certain nombre de questions assez passionnantes et un peu brûlantes, mais enfin, en même temps, très sereinement.
François Chalais
Que pensez-vous des religieuses qui ne sont pas celles de Diderot ?
Jacques Rivette
Ecoutez, moi, je connais très peu de religieux et de religieuses. J'en ai davantage rencontrés depuis que j'ai fait le film qu'auparavant.
François Chalais
Vos rapports avec elles ont été de quel ordre ?
Jacques Rivette
Ca a, à chaque fois, été des rapports de discussions au sujet du film, et ils ont été extrêmement courtois et même assez agréables. J'ai eu, justement, l'occasion de rencontrer, par exemple au cours d'un débat qui avait été fait par un hebdomadaire, une religieuse avec laquelle nous avons parlé de ce sujet en termes très sereins. Et ce qu'elle m'a dit m'a semblé tout à fait passionnant.
François Chalais
Vous savez quand même qu'il y a des religieuses qui sont des personnages admirables et qui...
Jacques Rivette
Je n'en ai jamais douté, de toute façon. Je film, je crois, n'attaque absolument pas les religieuses, contrairement aux bruits que l'on peut faire courir. Il n'attaque même pas la religion. Il attaque une certaine société qui est celle du XVIIIème siècle. Il attaque un certain état de fait qui, en principe, est, aujourd'hui, complètement dépassé. Et il est évident qu'il met en cause, au-delà de cette société, au-delà de cet état de fait, il met en cause les fondements mêmes de la vie monastique. Mais il les met en cause dans des termes qui, me semble-t-il, sont des termes extrêmement nobles. Ce sont des termes de réflexion et non pas des termes de satire ou de critique bassement anti cléricale. Après tout, on est en droit de se demander quelle est la justification profonde de la vie claustrale. C'est une question que n'importe quel homme est en droit de se poser, que le chrétien, lui-même, est en droit de se poser.
François Chalais
Est-ce que je peux vous demander si vous croyez en Dieu ?
Jacques Rivette
Pour le moment, non.