Mel Ferrer évoque les tâches difficiles d'un juré au Festival de Cannes

16 mai 1962
05m 06s
Réf. 00077

Notice

Résumé :

Mel Ferrer parle du rôle difficile de juré, qui doit juger les films et assumer ses choix. Avec une extrême courtoisie, il évoque ensuite les réalisateurs qu'il admire.

Type de média :
Date de diffusion :
16 mai 1962
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Transcription

François Chalais
Vous savez Jean Cocteau, qui s'y connaît, a dit qu'il préférait être accusé que juge. Ça ne l'a pas empêché de juger bien des fois, d'ailleurs. Et vous, quelle est votre position là-dessus ?
Mel Ferrer
Et bien c'est vrai, nous sommes tous un peu accusés dans notre métier. Mais je ne sais pas si j'aime être juge. C'est difficile de juger. On voit toujours quelque chose de bien dans le travail. Moi je cherche toujours à trouver quelque chose de bon, de promettant, disons. Parce qu'on sent l'effort qu'on a fait, on sent l'effort qui est énorme pour tourner un film ces jours-ci, avec tous les ennuis qui existent dans le monde du cinéma. Alors, c'est très, très difficile de juger.
François Chalais
Mais vous, par exemple, vous avez passé votre vie à être jugé justement.
Mel Ferrer
Pas toujours.
François Chalais
Ah non ?
Mel Ferrer
Pas toujours. Non.
François Chalais
Mais d'une façon générale, on a ou critiqué votre travail ou on l'a loué ou au contraire, on a fait des réserves etc. Vous, vous allez juger de quelle manière ? Est-ce que vous allez juger en tant qu'acteur ? En tant que en metteur en scène ? C'est la part de l'acteur qui va dominer chez vous ?
Mel Ferrer
Mais vous savez, si je peux vous couper la parole, quand il faut faire la mise en scène par exemple, il faut juger parce qu'il faut juger le travail qui se présente. Alors c'est déjà un commencement. Quand il faut faire la production c'est la même chose, il faut juger des pièces, il faut juger le travail d'un écrivain, le travail, disons, des techniciens, tout ça. Alors, il faut prendre des décisions. C'est aussi une façon de juger. On n'est pas toujours critiqué, on peut juger aussi. Mais je répète c'est plus difficile de juger que d'être critiqué.
François Chalais
Mais qu'est-ce qui compte le plus pour vous dans un film ? C'est le sujet ? C'est le travail des acteurs ? C'est le travail du metteur en scène ?
Mel Ferrer
Ce qui me passionne dans le cinéma, ce qui compte, c'est l'ensemble. On ne peut pas dire que c'est le travail des comédiens, c'est le travail du metteur en scène, c'est le travail de l'écrivain. Il faut trouver une ambiance qui existe et cette ambiance est créée par un tas de gens.
François Chalais
Quelles sont, pour vous, les qualités principales d'un juré ?
Mel Ferrer
Et bien, surtout, de la fantaisie. Et il faut être tolérant.
François Chalais
Est-ce que vous pensez qu'on peut avoir raison quand on juge ?
Mel Ferrer
Il faut penser qu'on a raison parce que sinon on ne peut pas juger. Je ne crois pas qu'on peut juger d'une façon molle. Je crois qu'il faut prendre une décision et y tenir.
François Chalais
Dans le cas des films du festival, par exemple, certains de ces films seront présentés dans une langue que vous ne comprenez pas. Est-ce que vous ne croyez pas que vous défavorisez, à ce moment-là, ce film parce qu'en fait, le dialogue, ça compte quand même, quelquefois ?
Mel Ferrer
Moi, je trouve qu'il faut faire un plus grand effort. C'est un grand effort de comprendre une langue qu'on ne comprend pas, qu'on ne peut pas parler. Mais, il faut faire un effort de comprendre. Et surtout, au cinéma, c'est une question d'image. Et selon mes goûts, moi je suis un fanatique, un amateur des muets. Alors je trouve que le cinéma ne peut pas se raconter si on ne comprend pas les images.
François Chalais
Je voulais justement vous poser la question, étant donné que je ne peux pas vous interroger sur les films que vous voyez parce que vous êtes tenu par le secret professionnel, (nous sommes des gens bien élevés ici), quel genre de film est-ce que vous aimez ? Peut-être que par là, j'arriverai à connaître un petit peu votre façon de juger cette année. A part le cinéma muet, vous avez quand même vu d'autres films ? Et quels sont ceux qui vous plaisent ? Quel genre ?
Mel Ferrer
Eh bien, ça c'est très difficile à répondre par exemple, si vous voulez que je vous donne un exemple, je peux citer "Les 400 coups" de Truffaut qui est avec nous au jury. Il y a un tas de film que j'ai vus dans ma vie, qui m'ont beaucoup impressionnés. Les films, disons, de René Clair, de Clouzot, les films d'Eisenstein, les films italiens, surtout les grand films de De Sica, de Rosselini, de Fellini. Tout ça me plaît beaucoup.
François Chalais
Et qu'est-ce qui vous n'aimez pas au cinéma ?
Mel Ferrer
Moi, je n'aime pas le toc.
François Chalais
Est-ce que vous pensez qu'on peut faire un film avec des êtres qu'on n'aime pas, un sujet qui ne vous plaît qu'à moitié et que le talent, en revanche, peut tout compenser ?
Mel Ferrer
Non.
François Chalais
Dernière question en ce qui concerne le jury du festival de Cannes, est-ce que vous croyez que l'on peut être impartial ?
Mel Ferrer
Impartial ? Non je ne crois pas qu'on peut juger et être impartial. Je crois qu'il faut sentir ce que vous voulez dire, ce que vous voulez exprimer par votre vote. Mais ça ne ma paraît pas impartial.