20 ans de Festival

05 mai 1966
05m 58s
Réf. 00410

Notice

Résumé :

A l'occasion du 20ème anniversaire du Festival de Cannes, le délégué général Robert Favre le Bret se remémore la première édition en 1946, au sortir de la guerre, avec la découverte des cinémas du monde entier et du néoréalisme italien.

Date de diffusion :
05 mai 1966
Source :

Transcription

(Musique)
François Chalais
Vingt ans déjà. Vingt ans pour un festival, c'est l'âge où il convient de se remettre un peu de fard, sinon, pour se rajeunir, du moins pour conserver sa meilleure apparence. Ce premier âge du festival, Robert Favre Le Bret, délégué général, l'a bien connu. Il était là, en 1946, lorsque tout a commencé. Il est là aujourd'hui que tout recommence. Robert Favre Le Bret, il y a vingt ans, avant que le rideau ne se lève sur le jour numéro 1, quel était votre état d'esprit ?
Favre le Bret Robert
Nous étions dans la situation d'un maître de maison qui attend cinquante invités et qui en reçoit quatre cent. Je me souviens toujours de mon ami Philippe Erlanger qui était, à cette époque, délégué général, et qui m'avait demandé de l'aider me disant : " Vous savez, ça sera un petit galop d'essai. Le grand festival sera en 1947 ". Et en fin de compte, c'était en 1946. Nous avons renoué avec le cinéma étranger que nous ne connaissions plus depuis plusieurs années.
François Chalais
On était coupé de tout.
Favre le Bret Robert
On était coupé de tout ! Et tout d'un coup, nous avons vu vraiment une série de chefs-d'oeuvre et de films absolument remarquables. C'était la découverte du cinéma italien, du cinéma mexicain. Nous avons eu "La Symphonie pastorale", et cette admirable "Brève rencontre", et d'autres films de cette sorte.
François Chalais
Bref, il y avait tellement de choses, à ce moment-là, qu'on en montrait presque trop. On ne savait pas non plus quelle était la limite de la résistance humaine. Moi, je me souviens qu'on voyait un nombre de longs métrages, dans la journée, qu'on ne pourrait plus supporter maintenant.
Favre le Bret Robert
Absolument. Seulement, tous plus ou moins intéressants. Il n'y avait vraiment pas de film... Vous vous souvenez ? La critique, les spectateurs étaient absolument émerveillés par ces découvertes, de véritables découvertes ! Entre autres, je me répète, "Rome, Ville ouverte", par exemple, n'est-ce pas, "Maria Candelaria", ont offert une sensation assez étonnante.
François Chalais
Oui, ça, certainement, ça a été une charnière dans une certaine vie cinématographique. Et vous croyez que de tels événements ne sont plus possibles, aujourd'hui ? Vous avez l'air de regretter le passé.
Favre le Bret Robert
Non, je ne regrette pas le passé. Je dis seulement que maintenant, ce n'est plus possible parce que maintenant, naturellement, on suit l'évolution cinématographique de beaucoup plus près. On n'est plus coupés avec les pays étrangers.
François Chalais
En quoi est-ce que le festival de Cannes est différent des festivals des autres pays ? Vous les avez tous connus, tous les festivals, que ce soit à Mexico, à Venise, enfin, un peu partout. Vous êtes un homme de festival.
Favre le Bret Robert
Quelle est la différence essentielle que vous voyez entre Cannes et les autres ? Et bien, Cannes, si vous voulez, est devenu un grand rendez-vous du monde du cinéma, un rendez-vous annuel. L'américain sait qu'il retrouvera tel suédois, l'argentin, tel japonais. Et ça, c'est très important pour Cannes, voyez-vous ? Ce sont les assises les plus solides du festival.
François Chalais
Ca n'existe pas ailleurs, ça ?
Favre le Bret Robert
Dans de moindres proportions.
François Chalais
Ici, peut-être, c'est plus concentré, c'est-à-dire qu'on ne risque pas de se perdre.
Favre le Bret Robert
D'abord. Et puis, aussi, je me suis toujours employé à faciliter cet échange, n'est-ce pas ? Parce que j'estime, évidemment, que le cinéma est un art. Il faut bien reconnaître que c'est aussi une industrie. Alors, il ne faut pas mépriser ce côté industriel. Au contraire, il faut le faciliter. Alors, nous avons constitué, ici, à Cannes, vous le savez, un marché du film très important, n'est-ce pas, qui étaye le festival, qui lui donne ses bases vraiment.
François Chalais
Quel est votre plus mauvais souvenir des festivals de Cannes ?
Favre le Bret Robert
J'essaye de ne garder que les bons souvenirs et d'oublier les mauvais.
François Chalais
Il y en a quand même eus dont vous n'étiez pas responsable et qui s'imposent : certains personnages.
Favre le Bret Robert
Non, il y a eu évidemment des festivals qui se sont déroulés dans un climat un peu aigu, un climat politique, à un certain moment, enfin. Evidemment, qui ne prêtaient à des manifestations festivaliennes. Mais je me souviens surtout de certaines présences qui m'ont vraiment réconforté, de grands acteurs, par exemple. Parce que comme vous le savez, certains artistes ont tendance à se défier eux-mêmes. Et ce qui fait qu'ils ont des caprices, des exigences de vieux. Ceci dit, il faut avoir beaucoup d'indulgence. Parce que pour les artistes, comme vous le savez, le succès est très difficile à obtenir et puis aussi assez difficile pour s'y maintenir. Mais j'ai reçu, ici, par exemple Gary Cooper. Je pense à Gary Cooper souvent. Parce que Gary Cooper a été, pour moi, sa présence était, pour moi, une sorte d'oasis de simplicité, d'intelligence, d'humour, dans cette sécheresse de coeur qu'ont beaucoup de festivaliers. Aussi à Sophia Loren, Sophia Loren, je l'ai vue pour la première fois il y a quelques années.
François Chalais
Complètement inconnue ?
Favre le Bret Robert
Complètement inconnue. Elle faisait un petit rôle, d'ailleurs, dans ce charmant film, "Carrousel Napolitain". Elle était venue avec sa mama émerveillée de voir un festival. Et elle est restée, depuis, une très fidèle amie.
François Chalais
C'est un personnage assez merveilleux.
Favre le Bret Robert
Oui. Le succès ne... Elle a très bien assimilé le succès.
François Chalais
Qui voyez-vous encore, dans votre galerie de portraits ?
Favre le Bret Robert
Michèle Morgan aussi, une grande dame du cinéma français, Edwige Feuillère, Jeanne Moreau et d 'autres encore.
François Chalais
Parce que dans le fond, ici, c'est un baromètre de popularité. Et on est toujours en train de regarder : "Tiens ? Aujourd'hui, telle vedette fait 37°5 de température populaire", après ça descend, ça monte. C'est quand même assez instructif par certains côtés. Si vous deviez donner un conseil à un acteur ou à une actrice qui viendrait pour la première fois au festival, et qui, peut-être, deviendra célèbre ou peut-être pas, qu'est-ce que vous lui diriez ?
Favre le Bret Robert
Et bien, je lui dirais (ce que font, d'ailleurs, la plupart) de maintenir leur simplicité et leur gentillesse qu'ils ont au départ, n'est-ce pas ? Car le festival a servi de tremplin a beaucoup de jeunes comédiennes qui ont fait un bond dans le succès. Et malheureusement, ils se sont modifiés, leur caractère, leur nature. Comme je vous le disais tout à l'heure, n'est-ce pas ?, peut-être que ça fait partie d'un certain standing. Enfin, ils estiment que c'est une publicité nécessaire. Et puis, vous savez, en fin de compte, on ne peut pas demander aux artistes qui sont nerveux ou hypernerveux l'équilibre d'un notaire.