Jean-Luc Godard à Cannes sur "A bout de souffle"

19 mai 1960
03m 56s
Réf. 00065

Notice

Résumé :

Entretien avec Jean-Luc Godard sur ses films, "A bout de souffle" et "Le petit soldat", sur la réception de ceux-ci par le public et la critique, sur ses envies de cinéaste, sur la relation qu'il entretient avec le "métier".

Type de média :
Date de diffusion :
19 mai 1960
Source :

Transcription

François Chalais
Il y a eu aussi, un peu plus tard, Jean-Luc Godard et son étonnant "A bout de souffle". En compagnie des interprètes de son nouveau film, "Le Petit Soldat", il est venu nous rendre visite. Jean-Luc Godard, vous voici à Cannes avec votre film "A bout de souffle", mais peut-être pas exactement comme cela aurait dû se passer. "A bout de souffle" était, en principe, on nous l'a annoncé, sélectionné pour représenter la France, mais en fait vous le présentez dans un coquet cinéma de la rue d'Antibes, ce qui n'est pas exactement ce qu'attendait votre producteur sinon vous. Qu'est ce qu'il s'est passé exactement ?
Jean-Luc Godard
Moi, je ne sais pas du tout. Je crois qu'il n'était pas du tout sélectionné, il était invité et je crois que c'est le droit du Festival de Cannes d'inviter qui bon lui semble.
François Chalais
Est-ce que ça vous faisait plaisir à vous ?
Jean-Luc Godard
Ça me faisait plaisir parce que ça m'aurait fait une chambre à l'oeil, c'est tout. Non mais, finalement je suis content qu'il n'y soit pas. Enfin, je veux dire, je trouve normal qu'un film qui était terminé depuis cinq ou six mois, qui est déjà sorti, n'y soit pas, ne soit pas au Festival.
François Chalais
Jean-Luc Godard, on a dit beaucoup de choses sur vous, on a écrit des articles, vous allez à des interviews. Je ne sais pas si ce qu'on a dit est exact ou faux, personnellement, votre vie privée ou passée ne m'intéresse pas dans la mesure où nous avons à discuter ensemble amicalement, mais pas devant une caméra et pas devant un micro. Nous ne vendons pas ce genre de marchandise. Je voudrais savoir comment vous êtes maintenant ? Est-ce que les erreurs, si erreur il y a, qu'on vous a attribuées autrefois, vous les referiez maintenant ? Vous ne voyez pas à quoi je fais allusion ?
Jean-Luc Godard
Non. Enfin si, je vois... je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je ferai demain.
François Chalais
Est-ce que le fait d'avoir réussi un film, car "A bout de souffle" est un des meilleurs films, en effet, depuis de nombreuses années, vous a amendé en quelque sorte ? Est-ce que vous vous sentez plus sage ?
Jean-Luc Godard
Oh oui, certainement.
François Chalais
C'est vrai ? Vous me décevez. A ce point là ?
Jean-Luc Godard
Mais enfin sage, ça dépend à quel point de vue.
François Chalais
Mais à votre point de vue à vous. C'est-à-dire que maintenant vous vous sentez un monsieur sérieux ?
Jean-Luc Godard
Oui, mais je considère que c'est important d'être sérieux.
François Chalais
Depuis quand ?
Jean-Luc Godard
Mais enfin, il y a sérieux et sérieux.
François Chalais
Quelles sont les choses contre lesquelles vous vous rebellez particulièrement ?
Jean-Luc Godard
Se rebeller non. C'est-à-dire se trouver... c'est embêtant de ne pas pouvoir faire exactement ce qu'on a envie de faire. Là, pour "Le Petit Soldat", c'est ennuyeux d'être obligé d'aller tourner à l'étranger un film que j'aurais voulu tourner en France. Ce qui n'était pas possible de tourner en France dans les conditions actuelles.
François Chalais
Vous avez tourné à l'étranger dans votre propre pays, si j'ai bien compris, car vous êtes suisse ?
Jean-Luc Godard
Non, maintenant je suis franco-suisse.
François Chalais
Sur la frontière ?
Jean-Luc Godard
Sur la frontière, c'est ça, un pied dans chaque pays. Non. Enfin, je ne sais pas ce qu'il faut dire. Moi, je ne crois pas, du reste, que le cinéma influence la jeunesse. Ce qu'il faut essayer, c'est que ce soit plutôt la jeunesse qui influence le cinéma, c'est-à-dire de rester plein d'envies. Enfin, ce qui me surprend, par exemple, dans mon second film, par rapport au premier, c'est que, enfin je suis déjà plus fatigué. Enfin fatigué, je veux dire, déjà il y a beaucoup de choses que... c'est difficile, je ne sais pas comment dire. Mais enfin je veux dire que j'ai l'impression d'aimer moins le cinéma qu'il y a un an uniquement parce que j'ai fait un film et que ce film a plu et comme ça, alors, je souhaite que mon second déplaise énormément et que ça me donne envie de faire du cinéma de nouveau. Parce que, c'est ça l'esprit de contradiction dont je vous parlais, si vous voulez. Là, les gens me font totalement confiance alors...
François Chalais
Ça vous gêne ?
Jean-Luc Godard
J'espère que je vais les décevoir. Comme ça ils ne me feront plus confiance et j'aime mieux travailler avec des gens contre lesquels il faut lutter.