Autour d'"Une Semaine de vacances", rencontre avec l'équipe du film

18 mai 1980
11m 01s
Réf. 00212

Transcription

Michel Drucker
Eddie Mitchell, la chanson du film de Bertrand Tavernier. Il faut d'ailleurs ajouter qu'Eddie Mitchell, comme l'a dit Piccoli, est une encyclopédie du cinéma mais c'est également un bon acteur. Bertrand Tavernier, Nathalie Baye, Gérard Lanvin, Michel Galabru, qui forment presque la totalité de l'équipe de ce film, "Une semaine de vacances". D'abord, la parole au metteur en scène, à l'auteur, Bertrand Tavernier. Le cadre : la ville de Lyon. Les problèmes : ceux d'une jeune une enseignante jouée par Nathalie Baye qui se pose plein de questions sur son métier mais sur sa vie aussi.
Bertrand Tavernier
Exactement.
Michel Drucker
Elle décide de se mettre entre parenthèses pendant une semaine.
Bertrand Tavernier
C'est quelqu'un qui fait le point. Et c'est un métier, je crois, où on en a extraordinairement besoin, parce que c'est un métier très violent, je veux dire, le fait d'être enseignant. Parce que pour moi, la violence, ce n'est pas forcément une fusillade ou une poursuite de voitures. La violence, c'est une classe, c'est une petite fille qui vient vous dire : "Je ne suis pas intelligente". La violence, ce sont des rapports humains. Et ce prof éprouve, à un moment, le besoin de s'arrêter et de regarder autour d'elle. Voilà, c'est le sujet du film.
Michel Drucker
Nathalie Baye, l'enseignement, c'est un sujet qui vous intéressait, sans doute, avant de tourner ce film. Quel souvenir vous avez, vous de votre scolarité et de vos études secondaires ? Est-ce que vous avez rencontré des professeurs qui ressemblent un peu à Nathalie Baye dans le film ? Est-ce que vous auriez aimé en rencontrer ?
Nathalie Baye
J'aurais peut-être aimé en rencontrer. Mais j'ai quitté l'école à quatorze ans. J'étais une très mauvaise élève, malheureusement. J'ai été malheureuse à l'école. Et quand je suis retournée dans l'école où on a tourné, c'était une impression très forte. Et ce que dit Michel Galabru, à un momet dans le film, en disant : "Ca n'a pas changé", je lui dis : "Quoi ?", il me dit : "L'odeur", j'ai vraiment pensé à ça.
Michel Drucker
Gérard Lanvin, quel est votre rôle dans le film ? Vous partagez la vie de Nathalie, et vous êtes aussi au centre de cette crise, de ces doutes. Vous ne les comprenez pas toujours. Les questions que se pose ...
Gérard Lanvin
Le rôle, comme moi, je l'ai lu, comme moi, je l'ai compris, c'est un mec qui vit avec une fille, qui l'aime et c'est tout, et qui l'aide. C'est tout.
Michel Drucker
Qui l'aime mais qui aime beaucoup les enfants, car il aimerairait beaucoup avoir un enfant avec sa petite amie ?
Gérard Lanvin
C'est-à-dire qu'il aimerait beaucoup avoir un enfant.
Michel Drucker
Alors, Michel Galabru, restaurateur lyonnais, parent d'élève qui se souvient de sa scolarité et de la vie terrible qu'est celle d'un cancre ?
Michel Galabru
Oui.
Michel Drucker
Vous vous en souvenez de la vôtre ?
Michel Galabru
Oh oui. Ca m'a marqué, oui, énormément. Je pense même que ça marque organiquement, c'est-à-dire que j'ai des maux de ventre. J'ai des maux de ventre qui datent de l'enfance. Le trac donne des maux de ventre et je ne suis jamais rentré dans une école sans maux de ventre parce que j'étais sûr qu'on allait me demander une leçon que je ne savais pas.
Michel Drucker
Que ça allait tomber sur vous, quoi ?
Michel Galabru
Et puis, les maux de ventre pour rentrer à la maison, pour présenter ses notes, de telle sorte que j'ai fini par, mon principal travail, au long de la semaine, a été, avec des camardes, de changer le carnet de notes. Il y avait des agraphes. On enlevait les mauvaises notes. On allait voler des feuillets. On mettait des notes potables. Pas mirifiques parce que c'était invraisemblable. Juste la moyenne pour avoir enfin la paix. Voilà ce que demande un enfant, qu'on lui donne la paix. Et il semble que dans ces pensions, dans ces institutions (j'en ai fait sept), on m'a renvoyé de sept. Aucun ne m'a fait grâce. Aujourd'hui, je ne peux pas leur dire merci. Et ce que j'aurais voulu, c'est que dans une de ces sept institutions, on s'occupe enfin d'un cancre. On ne s'occupait que des premiers. Les premiers, il n'y a pas d'histoire. On doit s'occuper des derniers. Jésus l'a dit : "Les premiers seront les derniers". Et dans la vie, c'est comme ça que ça se termine, car enfin, me voilà.
Michel Drucker
Michel, je vais vous arrêter parce que mes maux de ventre, à moi, recommencent. On voit un extrait. Avant de lancer l'extrait, Rémi, il faut préciser que la présence de Philipe Noiret nous rappelle, bien entendu, "L'Horloger de Saint Paul", nous rappelle aussi, d'ailleurs, "Le Juge et l'assassin". Vous êtes resté fidèle. Et Noiret, c'est l'ami ? Oui, j'avais envie de retrouver le personnage de "L'Horloger".
Bertrand Tavernier
D'abord, Noiret, c'est l'ami, c'est l'homme qui m'a aidé à faire mon premier film, et puis aussi, c'est un personnage, "L'horloger". Moi, j'y suis très attaché sentimentalement, et j'avais envie de le revoir ne serait-ce que quelques minutes.
Michel Drucker
Alors, voilà cette scène dans ce restaurant tenu par Galabru. On retrouve ton ami Philippe Noiret. Et Nathalie vient rechercher un peu d'optimisme, à travers ce récit du passé de cancre du restaurateur Galabru. Ecoutez bien, ça va rappeler des souvenirs à de nombreux téléspectateurs.
Michel Galabru
C'est dur. Ca ne pardonne pas, ça.
Philippe Noiret
Complètement borné. Moi, c'était plus discret. C'était moins tonitruant, moi. Simplement, le prof de Maths, il avait écrit : "Je ne vois pas la nécessité de la présence de cet élève dans ma classe". Pas mal, non plus. Mais lui c'était un cas. Lui, il détestait tellement l'école qu'il ne se contentait pas de sécher ou bien de chahuter. Il en était arrivé à apprendre des fausses leçons pour tromper son père.
Michel Galabru
J'apprenais des textes de l'année précédente, et mon père, il ne comprenait plus rien quand j'avais zéro en récitation. Il me disait : "Tu le savais par coeur". Evidemment !
Philippe Noiret
Ce n'était pas la petite soeur ?
Nathalie Baye
C'était une sorte de révolte ?
Michel Galabru
Non. J'étais un cancre, simplement. Mais vous savez, c'est horrible, la vie d'un cancre. C'est un cauchemar. On ne s'en rend pas compte. On n'imagine pas les angoisses d'un cancre, les sueurs froides à la seule pensée d'être interrogé. C'est affreux. Mais c'est vrai. On rigole là-dessus mais c'est épouvantable. Je me souviens d'un professeur, pas méchant, le pauvre homme, mais qui nous interrogeait tous les matins. Avec ses petites lèvres, il faisait : "Récitez"... C'était : "Qui va choper ?" "Récitez", "Pourvu que ça soit le copain" "Récitez". Mais alors, le soir, l'affrontement avec les parents. Et puis, surtout, le regard mérpisant des professeurs.
Philippe Noiret
Moi, j'avais un prof de Géo, enfiin d'Histoire et de Géo. Quand il y avait un élève qui sommeillait, il venait et il lui foutait des coups de règle et il disait : "Je ne veux pas de cancre là". Ca te fait rire, toi.
Michel Galabru
Non, ce qui m'amuse, c'est [inaudible].
Philippe Noiret
On lui avait fait une blague horrible, terrible. J'avais payé un mendiant pour qu'il vienne chanter "Etoile des neiges" pendant le cours. Et le type a chanté pendant deux heures dans la rue, mon vieux. Ca s'arrêtait de temps en temps, silence, tout d'un coup, paf ! "Etoile des neiges...", c'était reparti. Terrible. On vous fait des trucs comme ça, non ?
Nathalie Baye
Non, j'ai des graffitis obscènes sur le tableau. Ils bougent, ils parlent pendant les cours, mais ce n'est pas vraiment du chahut. C'est l'influence de la télé. Ils n'arrivent pas à se concentrer longtemps.
Michel Galabru
La télé, ça, on a beaucoup à dire, sur la télé.
Michel Drucker
Alors, Bertrand Tavernier, est-ce qu'on peut dire que l'enseignante que joue Nathalie Baye, dans votre film, est une ancienne soixante-huitarde ?
Bertrand Tavernier
D'une certaine manière, oui. Et ce sont les gens, maintenant, qui se posent un certain nombre de questions. Parce qu'il y a d'abord eu le système et puis l'anti-système. Et puis, l'anti-système étant devenu un système, maintenant, on en est revenu à se reposer un certain nombre de questions que les gosses se posent aussi. Les gosses, ils ont envie d'avoir des gens, en face d'eux, en même temps, d'une certaine manière.
Michel Drucker
Alors, c'est un film que les lyonnais iront voir, sans doute, avec passion, par millions, parce que c'est votre ville. Et puis, comme vous l'avez très justement dit, hier soir, à notre confrère Chapier, sur FR3, la citation d'Henri Béraud, je l'ai sous les yeux : "La ville des sentiments secrets, des amours fidèles". J'ajouterais la ville des gastromones et des fins palais.
Bertrand Tavernier
Ca a été formidable. Le tournage, formidable. Ca a vraiment été six semaines de vacances. On les a tous faits, les restaurants. Tous.
Michel Drucker
Voilà. "Une Semaine de vacances". Maintenant, Gérard Lanvin, je voudrais dire un mot d'un film qui vous concerne et qui a ouvert Perspective. Perspective, c'est une section importante, à Cannes. C'est un film de Jacques Bral, "Extérieur Nuit". On vous retrouve auprès de Christine Boisson et d'André Dussolier et Jean Pierre Sentier, devant la caméra de Pierre William Glenn. Là, c'est un film à trois personnages. Est-ce que les deux garçons sont amoureux de la même fille ?
Gérard Lanvin
Oui. Ils ont intérêt à être amoureux de la même fille. Elle est bien, la fille.
Michel Drucker
Elle est bien, la fille ?
Gérard Lanvin
Oui. C'est trois portraits, c'est trois rencontres qui sont faciles à comprendre. Enfin, il faut voir le film.
Michel Drucker
On va en voir un extrait qui donne bien, d'ailleurs, l'atmosphère. Je suis content que Bertrand Tavernier ait aimé ce film, car Perspective, c'est important. Beaucoup de cinéastes devenus célèbres sont venus, il y a quelques années, à Cannes, présenter leurs films en Perspective. Voici donc un extrait d'"Extérieur Nuit" de Jacques Bral. Et ensuite, nous allons changer de sujet et parler du film de Resnais.
André Dussolier
Qu'est-ce que je fous là ?
Gérard Lanvin
Tu bois un verre avec moi.
André Dussolier
Ecoutes, je ne suis pas aussi idiot que j'en ai l'air. Visiblement, tu attends quelqu'un, alors, si tu as un rencard, je sers à quoi, moi ? A boucher les trous ?
Gérard Lanvin
Je n'ai pas de rencard.
André Dussolier
Alors, qu'est-ce que tu fais là ?
Gérard Lanvin
Je bois un verre avec toi.
André Dussolier
Bon, ça commence à bien faire. Alors, tu vois, des comme ça, tu n'en auras jamais.
Gérard Lanvin
Bonsoir. Tu me reconnais ?
Michel Drucker
Voilà. Michel Galabru, il y a trois ans, je vous avais rencontré devant le Carlton. Vous étiez absolument cerné par les photographes. Vous étiez venu présenter le film de monsieur Petrovic, tiré du roman de Heinrich Boll, "Portait de groupe avec dames", avec Romy Schneider. Vous aviez été fasciné par tout ce que vous avez vu. Est-ce que Cannes a changé depuis que vous êtes venu ? Est-ce que les producteurs se pressent toujours autour de vous ?
Michel Galabru
Non. Je dois dire qu'ils se font plus discrets. Mais est-ce que c'est dû à la crise pétrolière ? Je n'en sais rien. Il n'y a que deux jours que je suis là. Peut-être que demain... C'est le cri du comédien, "Demain".
Michel Drucker
Je vous remercie beaucoup. Merci beaucoup Bernard Tavernier. Bonne chance pour votre film qui sort sur les écrans parisiens ?
Bertrand Tavernier
Qui sort, en principe, le 4 juin, sur les écrans parisiens.
Michel Drucker
Qui sort le 4 juin. Nous en redirons un mot au moment de la sortie. Merci.