Allocution télévisée de Guy Mollet et Robert Lacoste sur les pouvoirs spéciaux en Algérie

17 mars 1956
05m 20s
Réf. 00065

Notice

Résumé :

Guy Mollet (président du Conseil) et Robert Lacoste (ministre résident en Algérie) reviennent sur le contexte qui a prévalu à la loi sur les pouvoirs spéciaux en Algérie, adoptée récemment par les parlementaires. Ils expliquent les deux volets de cette loi : la répression par l'action militaire et les réformes économiques et sociales.

Date de diffusion :
17 mars 1956
Personnalité(s) :

Éclairage

Le socialiste Guy Mollet est devenu Président du Conseil suite aux élections législatives du 2 janvier 1956. Sur la suggestion de Robert Lacoste, nommé ministre résident en Algérie le 9 février, et pour faire face à l'amplification de la « rébellion » et du terrorisme en Algérie, le gouvernement dépose un projet de loi lui conférant des « pouvoirs spéciaux » afin de renforcer son action répressive. Lors de l'élaboration du projet en Conseil des ministres, Pierre Mendès-France alors ministre d'Etat sans portefeuille et Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer, mettent en garde contre cette option qui consacrerait la primauté du militaire. Ils sont néanmoins minoritaires au sein du gouvernement, notamment face à Lacoste ou Bourgès-Maunoury, ministre de la Guerre. Le projet prévoit dans les faits un vaste dessaisissement du pouvoir législatif au profit du gouvernement, habilité à prendre en Algérie, par décrets et sur la base d'un illusoire contrôle parlementaire, toute mesure jugée nécessaire dans les domaines administratif, économique, social et militaire. L'article 5 précise en outre que « le gouvernement disposera des pouvoirs les plus étendus pour prendre toute mesure exceptionnelle en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ». Le ministre résident en Algérie détiendra des pouvoirs très étendus, concentrés entre ses mains, et de fait contradictoires avec les principes démocratiques.

Le débat qui s'ouvre le 8 mars à l'Assemblée nationale est tendu, mais sans passion. Le discours musclé de Robert Lacoste, celui plus nuancé de Guy Mollet sont accueillis par une large approbation, des socialistes jusqu'aux rangs des indépendants. Le ralliement du parti communiste étonne davantage dans la mesure où son porte-parole, Jacques Duclos, se montre favorable à la négociation avec le FLN. Les dissensions internes ne sont pas prises en compte par la direction du parti qui favorise le maintien du Front républicain. Mais le président du Conseil a engagé la confiance de son gouvernement. Si la loi est rejetée, les députés auront à assumer une nouvelle crise ministérielle, laissant la France sans direction politique.

Le 12 mars 1956, le projet de loi est adopté massivement par 455 voix contre 76, les opposants étant essentiellement les poujadistes et quelques modérés.

La loi sur les pouvoirs spéciaux ouvre la voie à des mesures de deux types : réformatrices et répressives. Sur le premier volet, la loi engage le gouvernement « à mettre en œuvre en Algérie un programme d'expansion économique, de progrès social et de réforme administrative » : équipement scolaire, aménagement sanitaire, réforme agraire... Un décret réserve également aux « Français musulmans d'Algérie » 10% des postes aux concours de la fonction publique. Sur le second plan, Guy Mollet amplifiera en effet la répression en faisant appel au contingent et aux réservistes. Les effectifs de l'armée montent à plus de 400 000 hommes durant l'été 1956. L'armée se voit confier des pouvoirs de police et s'éloigne d'une gestion du conflit par le maintien de l'ordre tel que généralement présenté. Lacoste, convaincu d'une victoire imminente sur le FLN parle de « dernier quart d'heure ».

Peggy Derder

Transcription

Guy Mollet
J’en viens, maintenant, à celui des problèmes, qui est le plus important pour la France. Disons-le : la France joue aujourd’hui son destin, en Afrique du Nord en général, en Algérie en particulier. C’est parce que dès les premières heures de la constitution du gouvernement, j’en ai eu conscience, que j’ai voulu donner, à ce gouvernement, une structure particulière. J’ai souhaité que, tout en gardant les pouvoirs du gouverneur général, un homme soit en même temps chargé de prendre, à l’intérieur de l’équipe gouvernementale, toutes les décisions voulues. C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu que l’Assemblée, le parlement nous donnent les pouvoirs spéciaux dont nous avons besoin. Cet homme, c’est monsieur Robert Lacoste. Les pouvoirs spéciaux, le parlement nous les a donnés. Et je demande maintenant à Monsieur le Ministre, résidant en Algérie, de vouloir bien vous dire ce qu’il nous a dit lors des derniers Conseils des ministres sur ce qui est à faire là-bas.
Robert Lacoste
Il est utile de dire que la situation en Algérie est dure, et très dure. Les entreprises des rebelles, les attentats, ne cessent de se multiplier. Le pourrissement se développe, la température monte dans les villes, et l’élément européen a une tendance à se laisser aller à l’irritation et à la colère, dans bien des cas très compréhensibles. Mais tout de même, vous le savez, la colère est toujours mauvaise conseillère. Voilà la situation. Voilà la vérité en face de laquelle nous nous trouvons. Mais voici une note optimiste. Le parlement a émis un vote, massif, et sans aucune hésitation, qui donne au gouvernement des pouvoirs spéciaux pour faire face à la situation algérienne. C’est un vote hautement significatif, parce qu’il montre, il traduit la détermination de la nation de travailler au règlement des problèmes algériens par tous les moyens. Quels moyens ? Eh bien, des moyens de force et des moyens légaux, d’abord, pour résister à l’attaque forcenée dont nous sommes l’objet, pour sauvegarder les vies humaines et aussi pour maintenir l’ordre. L’ordre, sans lequel il n’y aura ni réconciliation ni pacification. Parce qu’en même temps que nous faisons face à l’attaque, nous avons une mission indispensable à remplir. C’est une mission de réconciliation. Si l’on ne réconcilie pas les éléments français d’origine et français d’origine musulmane, nous allons aux pires catastrophes. Et c’est pour cela que le gouvernement a demandé des pouvoirs spéciaux spécialement destinés à promouvoir immédiatement des réformes sur le plan économique et sur le plan social. Que faut-il faire ? Il faut que le musulman qui, en fait, bien souvent, est placé dans une condition diminuée et dépendante, il faut qu’on lui donne le sentiment de la dignité humaine. Il faut que disparaisse son complexe d’inégalité, de frustration. Et c’est ainsi que nous arriverons à réconcilier les deux éléments fondamentaux de la population. Et c’est pourquoi, nous allons prendre des mesures. Nous les déciderons cet après-midi, au Conseil des ministres. Des mesures qui permettront d’élever la condition morale du musulman, de lui permettre d’être un fonctionnaire comme les Français d’origine, de participer à l’administration de l’Algérie. On pourra lui donner des terres. On l’aidera à développer son activité. En bref, on en fera un citoyen comme les autres citoyens. Donc, nos mesures, nous devons les prendre d’une façon simultanée. Elles sont interdépendantes. Nous allons résister, sur le plan militaire, à l’attaque. Nous allons, par des moyens légaux, défendre l’ordre. Mais en même temps, nous allons faire du progrès et de la justice. Et nous allons bâtir, dès maintenant, une Algérie meilleure, preuve que nous voulons que l’Algérie demeure française.