Référendum sur la Constitution : résultats en Afrique et à Madagascar, commentaires sur le "non" de la Guinée

29 septembre 1958
07m 43s
Réf. 00099

Notice

Résumé :

Le représentant du ministère de la France d'outre-mer, Émile Biasini, présente les résultats du référendum du 28 septembre 1958 sur la Communauté française en Afrique et à Madagascar et commente le « cas aberrant » de la Guinée qui a voté "non".

Type de média :
Date de diffusion :
29 septembre 1958

Éclairage

Les territoires d'outre-mer se prononcent le 28 septembre 1958 sur la constitution de la Ve République et la Communauté française.

Lors de son voyage africain en août, de Gaulle a posé l'alternative : les territoires qui voteront en faveur de la communauté pourront à terme accéder à une indépendance négociée ; s'ils votent contre, ce sera l'indépendance immédiate et la « sécession » avec la métropole. D'intenses débats secouent les partis politiques. Le rassemblement démocratique africain (RDA) et son chef de file, Houphouët-Boigny, enjoignent les sections à voter en faveur du projet constitutionnel. Mais après le conflit entre de Gaulle et le leader de la section guinéenne du RDA, Sékou Touré, poussé par les mouvements plus radicaux, engage son pays dans la voie du « non » tout en affirmant sa volonté de négocier avec la France.

Parallèlement, une campagne officielle en faveur du « oui » est activement menée en Afrique. L'intervention de l'administration est plus directe encore au Niger. Pour contrer l'influent parti de Djibo Bakary qui appelle à voter « non », un nouveau gouverneur est nommé pour soutenir par tout moyen les positions du RDA, en bloquant notamment les moyens de communication. Les résultats du référendum reflètent cette activité et le ralliement des principaux partis politiques, à l'exception de ceux de Sékou Touré en Guinée et de Djibo Bakary au Niger.

L'édition télévisée relative au référendum témoigne de l'importance accordée au scrutin outre-mer. Derrière Léon Zitrone est affichée la carte de la France métropolitaine et d'outre-mer. C'est ensuite à Émile Biasini, administrateur du ministère de la France d'outre-mer, qu'il revient de commenter les résultats transitoires. La victoire éclatante du « oui » est mise en évidence, à commencer par les territoires acquis aux positions du RDA. Pour l'Afrique Occidentale Française, le résultat de la Côte d'Ivoire, patrie d'Houphouët-Boigny, est qualifié de « remarquable », avec 99 % de votes positifs. Le même résultat est noté pour le Moyen Congo, en soulignant les 99,4 % de Brazzaville, dont le maire, l'abbé Youlou, bénéficie du soutien des nouveaux colons blancs et du RDA. Biasini insiste ensuite sur le résultat du Niger « dont on pouvait douter jusqu'au dernier moment », avec 76 % de « oui ». L'attention portée à ce territoire permet de connaître les résultats de 73 % des votants, alors que Biasini souligne les résultats encore très partiels des autres territoires sahéliens, en raison des difficultés de déplacement pendant la période des pluies. Le succès plus limité du « oui » au Niger est attribué à l'opposition entre partis africains, sans mentionner l'action de l'administration.

Le résultat de Madagascar, avec 80 % de oui, est aussi qualifié d'« extraordinaire ». En effet, seule la population d'Antananarivo a voté non, suivant la position de son maire qui estime que les vrais artisans de l'indépendance sont les parlementaires exilés en France à la suite de l'insurrection de 1947.

Surtout, la victoire du oui, y compris au Niger, permet à Biasini d'isoler le « cas aberrant » de la Guinée, où le non l'emporte à 98 %. Biasini présente « l'esprit » du communiqué remis à Sékou Touré le matin même par le Haut-commissaire. L'importance donnée à ce document souligne la solennité du moment. Le gouvernement français y « donne acte de la décision de la Guinée », dans le cadre de l'alternative fixée par de Gaulle. Le vote négatif est considéré par Paris comme une « sécession ». Le gouvernement français tire immédiatement les conséquences de ce « non » qui détonne par rapport aux autres territoires. Ces conséquences ne sont pas précisées aux téléspectateurs. Mais lorsque Biasini indique que c'est bien un « acte de divorce [qui] a été remis ce matin », il est évident que la France va rapidement prendre les mesures de représailles contre le pays qui ne s'est pas soumis à sa pression, avec notamment un arrêt brutal de l'aide et le départ des agents français.

Bénédicte Brunet-La Ruche

Transcription

Léon Zitrone
Merci, Jacques Sallebert. Nous interrompons, pour un instant, ce tour des capitales européennes. Il nous reste, d’ailleurs, à aller à Milan et à Bruxelles. Nous allons rester un petit moment à Paris, et nous donnons l’antenne au ministère de la France d’Outre-mer. Attention, ministère de la France d’Outre-mer, à vous.
Journaliste
Oui, nous voici une fois de plus, et pour la dernière fois, au ministère de la France d’Outre-mer où continuent d’arriver des résultats, des résultats qui, hormis pour quatre territoires, ne sont pas encore définitifs. Mais sur le tableau que vous allez voir dans un instant, que nous avons montré déjà ce matin, à 8 heures, des changements importants sont intervenus. Les résultats continuent d’arriver, et continueront d’arriver toute la nuit. Et nous allons pouvoir jeter un coup d’œil sur ces résultats. Et surtout, je vais demander à Monsieur Biasini de bien vouloir nous donner les pourcentages et des résultats connus, et des oui et des non à partir de ces résultats connus. Eh ben, si vous voulez bien, nous allons, Monsieur Biasini, commencer par l’AOF, la Côte d’Ivoire, où nous trouvons, là, d’ailleurs, un fait assez curieux. Nombre d’inscrits : 1 520 965. Inscrits : 1 585 582, c’est-à-dire un peu plus. Comment ça se fait-il ?
Emile Biasini
Il y a plus d’inscrits qui se sont présentés dans les bureaux de vote qu’il y avait d’inscrits initiaux. Ça peut tenir à deux raisons, la première qui peut être une erreur matérielle dans les totalisations, qui est la plus vraisemblable. Et la seconde qui est l’inscription, en dernière heure, d’un certain nombre d’électeurs qui n’avaient pu se faire inscrire. Les juges de paix ont la possibilité d’inscrire des électeurs jusqu’à la clôture du scrutin, mais enfin, dans des quantités limitées. Je pense que la raison essentielle doit être une erreur de totalisation dans nos chiffres à nous, qui étaient des chiffres anciens.
Journaliste
Dans le premier chiffre, c’est ça. Et sur tous ces inscrits, nous trouvons alors votants : 1 554 462, oui : 1 553 705, non : 197, c’est un pourcentage…
Emile Biasini
C’est un résultat assez étonnant et qui est tout à fait remarquable, qui… Le résultat est pratiquement et naturellement acquis pour la Côte d’Ivoire, puisqu’il porte maintenant sur 98 % des électeurs inscrits. Et les oui ressortissent à 99 %.
Journaliste
C’est l’un des pourcentages les plus élevés.
Emile Biasini
C’est l’un des pourcentages les plus élevés, puisqu’en AOF, nous retrouvons un pourcentage identique au Moyen Congo.
Journaliste
Nous allons continuer territoire par territoire sans donner les chiffres d’ailleurs, mais simplement en donnant les pourcentages que vous avez.
Emile Biasini
Le Dahomey est connu à 98 %, et les oui sont 96 %. La Guinée est connue à 46 %. Alors là, c’est le territoire dont les résultats ne sont pas conformes à son territoire, puisque c’est les non qui l’emportent avec une majorité écrasante de 98 %.
Journaliste
Bon, je vous demanderai tout à l’heure, d’ailleurs, quelques mots au sujet du problème que pose maintenant la Guinée à la suite de ce vote. Continuons, si vous le voulez bien, la Haute-Volta.
Emile Biasini
La Haute-Volta est connue à 54 %. Les oui y sont, pour ce résultat partiel, à 99 %. La faiblesse du pourcentage de Haute-Volta se retrouve dans les autres territoires sahéliens. Je vous disais ce matin que les conditions de vote sont extrêmement difficiles dans ces régions, surtout en cette saison qui est la saison des pluies. Les pluies battent leur plein. Et les électeurs ont eu beaucoup de mal pour rejoindre les bureaux de vote, et les résultats, de la même façon, pour rejoindre le chef-lieu.
Journaliste
Je crois qu’on peut dire tout de suite d’ailleurs que dans les territoires où le pourcentage de votants est assez faible, dans les résultats qui interviendront par la suite, le pourcentage de oui par rapport au non restera vraisemblablement sensiblement le même.
Emile Biasini
Restera vraisemblablement sensiblement le même, oui, car les résultats ne vont plus être modifiés dans leur contexture maintenant. Nous avons, ensuite, la Mauritanie, où pour les mêmes raisons, le pourcentage connu n’est que de 57 %. Les oui, ressortissant pour 93 % dans ce total. Le Niger est connu à 73 %, et les oui y sont 76 %, ce qui est un résultat non pas inattendu, mais dont on pouvait douter jusqu’au dernier moment, puisque le Niger était un des territoires où les partis s’étaient opposés sur le oui et sur le non. Donc, les oui l’emportent nettement. Les résultats qui parviendront par la suite ne devraient plus modifier ce pourcentage. Le Sénégal est connu à 78 %, les oui y sont 97 %. Le Soudan est connu à 51 %, avec 97 % de oui.
Journaliste
Donc, pour la majorité de l’AOF, sauf, hormis la Guinée naturellement, pourcentage très, très élevé en faveur du oui.
Emile Biasini
Le plus faible étant de 76 % au Niger, et le plus fort de 99 % à Côte d’Ivoire. La Guinée étant évidemment le cas aberrant.
Journaliste
Passons-en en AEF, à Gabon.
Emile Biasini
En AEF, le Gabon est connu à 80 % avec 92 % de oui. Le Moyen Congo à 90 % avec à 99 % de oui. Et je cite à nouveau le cas de Brazzaville, qui est à 99,4 % de oui. L’Oubangui Chari est connu à 90 % et 98 % de oui. Et le Tchad n’est connu qu’à 40 %. C’est certainement le territoire où les conditions matérielles de vote sont difficiles, avec 97,8 % de oui.
Journaliste
Dans d’autres territoires.
Emile Biasini
Pour Madagascar, Madagascar est connue à 80 %, avec 80 % de oui.
Journaliste
C’est extraordinaire.
Emile Biasini
Là aussi, le résultat [acquis] ne sera plus modifié dans son pourcentage. Pour les autres territoires qui sont de petits territoires, dont les résultats sont définitifs pour certains, les pourcentages à noter les plus intéressants sont ceux du Pacifique. Nous avons les résultats à 87,8 % avec une majorité de oui de 64 %. En Calédonie, nous avons les résultats définitifs qui font sortir une majorité de oui de 98 %.
Journaliste
Bon, et pour l’ensemble des territoires, au total, je ne pense pas que vous ayez le chiffre en pourcentage, mais enfin il doit avoisiner vraisemblablement les 85 ou les 87 % à peu près ?
Emile Biasini
Il doit avoisiner 90 %, oui, je pense. On pourra le calculer. Je m’excuse de ne pas l’avoir fait. Mais a priori, il ne doit pas être loin de 90 %.
Journaliste
Bon alors, les résultats vont continuer d’arriver cette nuit. Ils continueront vraisemblablement d’arriver demain matin. Quand pensez-vous avoir les résultats totaux définitifs ?
Emile Biasini
Eh bien, nous aurons des résultats prochains, le total définitif à très peu de choses après, mais avec un pourcentage qui nous manquera à des jours… pendant encore un certain temps pour les résultats éloignés, ce qui nous interdira de proclamer le résultat définitif avant mercredi soir ou jeudi matin. Car nous craignons d’avoir des retards dans certaines transmissions. Il faut penser qu’en AEF, au Tchad notamment, il y a eu des relations télégraphiques qui ont été faites par l’intermédiaire d’un avion qui prenait des relais en survolant les postes de brousse. Toutes conditions qui ont exigé beaucoup de moyens…
Journaliste
Dans nombre de Territoires d’Outre-Mer, en somme, ces élections ont été un tour de force de la part des services administratifs français ?
Emile Biasini
Elles ont posé des problèmes extrêmement complexes, mais qui ont été résolus me semble-t-il de façon heureuse.
Journaliste
Je regarde l’heure, je vois qu’il nous reste encore une minute. Je voudrais terminer par la Guinée. Ce matin, un communiqué a été remis à monsieur Sékou Touré, le président du Conseil du gouvernement de Guinée, un communiqué émis à la suite du vote de la Guinée. Nous n’allons pas lire ce communiqué. Pourriez-vous nous en donner l’esprit rapidement ? Je pense d’ailleurs qu’il est connu de quelques-uns de nos téléspectateurs déjà.
Emile Biasini
La Guinée a voté non, donc elle a fait part, d’une façon formelle, de sa volonté de quitter la Communauté qui lui était proposée par la constitution. Et le représentant du haut commissaire de la république en AEF, qui était envoyé spécial à cette occasion à Conakry, a remis au président du Conseil du gouvernement guinéen un communiqué dans lequel il donne acte de la décision de la Guinée et met le point sur un certain nombre de conséquences de cette décision qui ressortissent toutes de….
Journaliste
Et qui je crois, entreront en vigueur très rapidement, enfin dans un délai…
Emile Biasini
Rapidement avec des mesures transitoires, évidemment, pour ne pas créer des perturbations immédiates qui troubleraient profondément le fonctionnement de l’administration de la Guinée. Mais enfin, l’acte de divorce a été remis ce matin.
Journaliste
Le voici. Je vous remercie, monsieur Biasini, merci ! Et je rends maintenant l’antenne à Léon Zitrone, à Cognacq-Jay.