Une interview de David Dacko, président de la république centrafricaine

08 février 1961
03m 35s
Réf. 00105

Notice

Résumé :

David Dacko, président de la République centrafricaine, évoque ses projets, la question du Congo, la future communauté économique des États africains, etc.

Date de diffusion :
08 février 1961
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Une courte interview de David Dacko, premier président de la République centrafricaine, est diffusée à la télévision française en février 1961. Cet ancien instituteur a accédé au pouvoir en Centrafrique après avoir occupé divers postes dans le gouvernement de Barthélemy Boganda, institué par la loi Defferre de 1956. Dans le cadre de la Communauté instituée en 1958 (voir le parcours Les chemins politiques, de Brazzaville à la Communauté), il a également eu des fonctions ministérielles au sein du gouvernement de la République centrafricaine autonome. Le décès de Barthélémy Boganda dans un accident d'avion en 1959 lui ouvre la voie vers le pouvoir : faisant valoir un lien familial avec le chef du gouvernement défunt, David Dacko s'impose à la tête de l'Etat. Modéré pro-occidental, il apparaît comme un partenaire politique fiable aux yeux de l'ex-métropole lorsqu'il négocie, en 1960, l'indépendance de la République centrafricaine et qu'il en devient le premier président.

Le discours tenu ici contribue à affirmer les liens d'amitié unissant la France et la RCA. Il a aussi pour objectif de clarifier la position centrafricaine face aux troubles qui ont éclaté au Congo voisin (Voir le parcours Un cheminement toujours pacifique vers les indépendances ?, et les diverses notices qui y sont consacrées à la crise du « Congo-Kinshasa »). Les luttes ouvertes pour le pouvoir entre différents protagonistes (Kasavubu, Mobutu, Tschombe, etc.), l'intervention de la Belgique pour protéger ses ressortissants en violation de la souveraineté du territoire désormais indépendant, la sécession de la province du Katanga en août 1960, puis l'éviction et l'assassinat du Premier ministre Patrice Lumumba en janvier 1961 ont fait basculer l'ancien Congo belge dans les convulsions de la guerre civile. L'ONU intervient à partir du 14 juillet 1960 pour rétablir l'ordre, mais la « crise congolaise » semble bien difficile à juguler.

On comprend les inquiétudes exprimées par David Dacko, dans la mesure où la République centrafricaine partage sa frontière méridionale avec la République du Congo sur plus de 2 000 kilomètres – frontière poreuse, comme beaucoup des frontières issues de la colonisation, et à travers laquelle peuvent transiter sans grande difficulté populations, combattants et armes en tous genres. La RCA a d'ailleurs signé, en 1960, des accords de coopération militaire avec la France, qui garantissent la formation de son armée par des instructeurs français et la protection de son territoire. On peut imaginer, sans extrapoler outre mesure, que les discussions entre David Dacko et de Gaulle, évoquées en début d'interview, ont dû rouler notamment sur ces questions de sécurité...

Sophie Dulucq

Transcription

Journaliste
Monsieur le Président, vous venez d’être reçu par le général de Gaulle. Sur quoi a porté cet entretien ?
David Dacko
L’entretien a porté, tout d’abord, sur les relations d’amitié qui lient la République centrafricaine à la République française. Depuis la proclamation de l’indépendance, je n’ai pas eu l’occasion de confirmer cette amitié. Et j’ai profité de mon passage privé à Paris pour rencontrer le Général et lui dire que la République centrafricaine, de cœur avec la France, constitue une ramification de l’idéal commun qui nous lie et qu’on appelle l’idéal humain. J’en ai profité également pour lui exposer la situation au Congo, pays voisin de la République centrafricaine...
Journaliste
… qui a, je crois, pas mal de frontières communes avec vous ?
David Dacko
Oui, nous comptons près de 2 000 kilomètres de frontières. Les mêmes tribus se rencontrent en République centrafricaine et au Congo, puisque le fleuve n’a jamais servi de frontière. Et la crise congolaise nous inquiète un peu, car nous ne pouvons pas demeurer passifs devant la misère de nos frères. Puisqu’en Afrique, le fait de parler le même dialecte constitue la grande famille africaine.
Journaliste
Est-ce que vous êtes d’accord avec le plan élaboré actuellement par l’ONU pour rétablir une situation normale au Congo ?
David Dacko
Si je crois aux déclarations des leaders politiques du Congo, la présence de l’ONU ne constitue qu’un pourrissement de la situation. Et il serait temps que l’ONU se retire afin que les autorités congolaises fassent appel à une assistance de leur choix.
Journaliste
Selon vous, qu’est-ce qui serait souhaitable ?
David Dacko
Il serait souhaitable que les institutions légalement reconnues du Congo puissent fonctionner régulièrement.
Journaliste
Est-ce que vous pensez que les contingents africains envoyés par l’ONU ont permis de rétablir, en certains endroits, une situation normale ?
David Dacko
Absolument pas, puisque l’ONU est là depuis plusieurs mois, et le Congo ne fait que de plus en plus se noyer dans une situation difficile à expliquer et difficile à rétablir.
Journaliste
Mais vous avez dit que vous voyez une solution dans le cadre africain. Pouvez-vous préciser ?
David Dacko
J’entends, par cadre africain, la consultation préalable, avant de proposer de solutions aux problèmes congolais, la consultation préalable des états voisins intéressés directement par le problème congolais.
Journaliste
Car vous pensez qu’ils peuvent jouer un rôle modérateur ?
David Dacko
Je le pense bien. Et là, je ne fais qu’exprimer le désir du président Kasa-Vubu que j’ai eu l’occasion de rencontrer dimanche passé, ainsi que de Mobutu et de l’un de leurs collaborateurs, le président du collège des commissaires généraux, Bomboko.
Journaliste
Monsieur le Président, sur le plan économique, je crois que vous avez des projets très vastes. Est-ce exact ?
David Dacko
Oui, nous avons des projets assez vastes. Nous voulons d’abord constituer des groupes d’Etats ayant des intérêts économiques complémentaires, tels que les Etats de l’Afrique occidentale, les états de l’Afrique équatoriale. Mais au-dessus de cela s’imposera, un jour ou l’autre, une communauté économique de tous les Etats africains, quelle que soit leur expression.