Autour du drame algérien

décembre 1957
13m 57s
Réf. 00074

Éclairage

1957, qui voit la réalisation de ce film, est une année complexe pour l'armée française. D'un côté, c'est la grande année de mise en œuvre de la « contre-guérilla » et de la « pacification » à travers l'Algérie, avec la bataille d'Alger et d'autres succès réels basés sur la maîtrise du terrain par la violence ; d'un autre côté, c'est l'année de l'échec cuisant de l'épisode de Suez (initié fin 1956), dans lequel la France et la Grande-Bretagne sont humiliées. Les soldats d'active le vivent, après la perte de l'Indochine, comme un avant-goût de la perte de l'Algérie, d'autant plus que le Maroc et la Tunisie ont obtenu leur indépendance en 1956. Les militaires et les Européens d'Algérie sont tendus et donnent dans la dénonciation pour contrecarrer l'influence du FLN à l'ONU, soutenu par le bloc afro-asiatique.

Ce court métrage de 14 minutes commence et se termine par des cartons en arabe, signe de la volonté de le diffuser au sein des populations arabophones en Algérie même – mais aucune origine claire n'apparaît en termes de production. Il a pourtant été réalisé par les Actualités françaises dans le courant de l'année 1957 et a été projeté en décembre 1957 à Alger, selon le journal Filmafric, avec d'autres films « tous destinés à l'ONU ». C'est sans doute la raison pour laquelle ce film contient de nombreuses images choquantes : le réalisateur n'hésite pas à nous montrer à trois reprises des corps mutilés (y compris ceux d'enfants) par le FLN, ainsi que l'enterrement de masse de Philippeville. Le but est bien de faire basculer l'opinion quant à la barbarie du FLN, qui fait parler de lui à l'international et utilise l'ONU comme caisse de résonance. La structure du film est très classique pour un film de propagande, rappelant les aspects positifs de la colonisation de l'Algérie depuis 1830, montrant un visage humain de l'action militaire depuis 1954 (à travers la « pacification » : écoles, santé, chantiers...) et au contraire un visage inhumain de l'action des « rebelles » détruisant et tuant. Mais c'est bien la dimension internationale qui est la plus importante dans ce film, car si l'Egypte, la Tunisie et le Maroc ne sont pas cités nommément, non plus que d'autres pays du bloc soviétique, pour l'aide qu'ils apportent à la rébellion, ils sont implicitement dénoncés par le commentaire. De plus, le commentaire évoque de manière erronée le rôle du parti communiste algérien, et ce alors que la guerre froide bat son plein, afin de monter les opinions occidentales contre cette révolution qui serait d'inspiration communiste. Si la France est rejetée au niveau international pour son action violente en Algérie, elle entend par le biais de ce film (et de plusieurs autres) faire changer la haine de camp et repousser sur le FLN la cause de la guerre – sans succès.

Sébastien Denis

Transcription

(Musique)
Journaliste
Il n’est sans doute pas mauvais d’entrer dans le drame algérien par l’Algérie elle-même. Un coup d’œil sur Alger qui n’était, voici cent trente ans, qu’une bourgade moyenâgeuse, donne tout de suite le ton des transformations accomplies. Alger est devenu, aujourd’hui, une de ces grandes cités modernes où s’alignent des bâtiments dignes de n’importe quelle capitale. Ses constructions majestueuses voisinent avec les créations des temps passés qu’une sagesse prévoyante a tenu à conserver intactes. Près de 400 000 habitants y vivent. Et Alger, aussi bien par sa situation que par son activité, se classe au premier plan de l’avenir méditerranéen. Cet Alger s’ouvre sur une Algérie transformée par cent trente ans d’aménagement. Un outillage moderne, où les grands barrages et les travaux d’irrigation tiennent la première place, ont fertilisé d’immenses espaces où, naguère, s’étendait le désert.
(Musique)
Journaliste
La vigne et le blé conjuguent leurs productions à de hauts quotients de rendement pendant que le cheptel s’est décuplé. On parle aujourd’hui de pétrole en certains endroits où les forages se sont révélés prometteurs d’un nouvel avenir. et l’animation de ses ports manifeste que l’Algérie n’occupa pas une mauvaise place dans le système économique méditerranéen. Tout cela est l'œuvre d’un siècle français. Depuis deux ans, certains essaient de compromettre les fruits de cet effort et son avenir-même. La fièvre s’est emparée de l’Algérie. Depuis deux ans, les attentats ne cessent à un endroit que pour reprendre à un autre, alimentés par les propagandes mensongères et les méthodes de terreur. Les ruptures de communication ne se comptent pas plus que les poteaux arrachés et les sabotages de voies ferrées.
(Musique)
Journaliste
Chaque mois qui passe apporte la nouvelle d’un déraillement, souvent meurtrier. Dégâts et victimes, victimes et dégâts, trafics interrompus, difficultés de transport, insécurité des liaisons.
(Musique)
Journaliste
Sur les grandes routes aussi l’insécurité règne. Il n’est pas rare de trouver les arbres abattus en travers du chemin. Mais la terreur a des formes plus sombres. La nuit, des bandes armées attaquent les fermes isolées. Au matin, on découvre des murs noircis, des toitures effondrées. Sur l’aire de la cour, les animaux de l’étable gisent égorgés. Les terroristes n’ont pas voulu qu’une seule vie, même animale, subsistât de ce qui avait été un foyer heureux et une entreprise prospère. On se souvient encore de cette nuit tragique où plusieurs fermes des environs de Palestro furent assaillies, leurs habitants martyrisés. Les survivants ne purent que mimer les gestes de l’attaque. L’incendie avait complété le crime. Ce jour-là, on avait dénombré plusieurs cadavres pour chaque attentat. Parmi eux, il y avait des femmes et il y avait des enfants. Les bandits avaient tout tué sans distinction, et parfois avec des raffinements qui pouvaient s’appeler sauvagerie ou sadisme. Chaque jour, depuis deux ans, les drames de ce genre se succèdent. C’est, sur la route, un autocar attaqué, ses passagers abattus.
(Musique)
Journaliste
C’est l’attentat dans un village ; c’est l’attaque d’une maison isolée.
(Musique)
Journaliste
C’est toujours des morts et des blessés. L’hélicoptère emporte vers l’hôpital ceux qui respirent encore ; et l’on retrouve, à quelques distances, les cadavres de ceux qu’emmenèrent les fellagas.
(Musique)
Journaliste
Il faut plonger jusqu’au fond de l’horreur, jeter un regard sur ces restes effroyables qu’on n’ose pas découvrir tout à fait, sur ces chairs arrachées à coups de serpe ou à coups de rasoir, sur ces cadavres dépecés comme de la viande de boucherie. L’horreur, ici, arrête les mots dans la gorge.
(Musique)
Journaliste
Mieux vaut refermer les cercueils sur leur contenu qui n’a plus de nom ; accompagner ces convois qui, tout le long de deux années, n’ont pas cessé de suivre la route des cimetières. En 1956 seulement, on n’a pas compté moins de 1 700 victimes, musulmans ou Européens, hommes et femmes et enfants. Regardons passer ces convois, celui du caïd [El Assar Laid], du douar [Asail] en Euranie, tué dans une embuscade. Peut-on dire que son douar faisait cause commune avec ses assassins ? Et cet autre convoi, celui d’un Français. Il était maire de sa ville. Une vie de travail et de dévouement consacrée aux deux communautés, européenne et musulmane. Il paie de sa vie son attachement à la chose publique. Regardons surtout les cinquante-quatre cercueils de Philippeville. La tuerie du 20 août 1955 a endeuillé toute la ville. Cinquante-quatre corps côte à côte. Une population en deuil. Comment fermer les yeux sur ces visages usés par les larmes, ces silhouettes brisées de sanglots ? Et cependant, en dépit de ces drames, la vie algérienne ne s’est pas arrêtée comme elle l’aurait pu, comme certains l’auraient voulu. Les marchés de l’intérieur ont gardé leur animation pittoresque, les villes et les bourgs ont conservé leurs allées et venues habituelles. Ce qu’une armée est venue faire ici, ce n’est pas la reconquête, comme une habile propagande veut le faire croire. Elle est venue pour assurer la continuation de la vie algérienne et la sauvegarde de groupes humains qui vivent ensemble sur cette terre depuis cinq générations. En dépit de toutes les menaces et de tous les attentats, les terres ont été cultivées. Et la récolte de l’année, avec ses 25 millions de quintaux, dépasse même en importance celle des années précédentes. L’armée, cette fameuse armée qu’on dit occupée à des représailles sans scrupules, a continué les travaux entrepris. On la voit jouant le rôle d’ingénieur et d’architecte, diriger ou accomplir les travaux qui ouvrent une route, créer un barrage de retenue, un déversoir.
(Musique)
Journaliste
On la voit quitter ses armes pour bâtir, à la place d’un assemblage de cahutes, un ilot d’habitations saines et commodes.
(Musique)
Journaliste
Cette armée, dite de répression, partout où elle est, a ouvert ses ambulances et ses pharmacies à tout venant. Combien de villages et de douars épars dans les campagnes ont pu être soignés et secourus grâce aux dévouements des médecins et des infirmiers militaires ? L’armée a continué le programme de santé suivi depuis un siècle, et qui a fait, en jugulant la maladie et la mortalité, tripler la population de l’Algérie. En un siècle, le trachome, la tuberculose, le paludisme ont perdu leur virulence. La mortalité infantile a baissé de 70 %.
(Musique)
Journaliste
Et l’armée continue de maintenir ce qui a été dans ce pays un bulletin de santé, tel que n’en connaissent aucun des peuples orientaux qui s’arrogent le droit de juger la France à travers le drame algérien.
(Musique)
Journaliste
Comme il s’est fait architecte, ingénieur, infirmier, le soldat s’est fait instituteur. Dans les écoles désertées, il a pris la place du maître, victime de la persécution. Il a rouvert aux enfants les portes de l’école. On les a vus, ces garçons, reprendre sous l’uniforme la classe abandonnée. Et dans ces pays où la première forme de la civilisation, l’école, était menacée de disparaître, l’école a pu se maintenir grâce à ces farouches guerriers. Puisque la présence de cette armée supprimait toute possibilité d’une révolte ouverte, le terrorisme prit une forme méthodique. Il fallait continuer à assurer le désordre en Algérie. De nouveaux cadavres marquent ce changement d’orientation, où, cette fois, le parti communiste algérien, inféodé à l’étranger, a pris la place d’organisateur. La bombe de l’usine à gaz d’Alger devait en être la preuve directe. Le 16 novembre 1956, la police découvrait une bombe à retardement dans un local de l’usine à gaz du Hamma. Son explosion aurait dû causer de gros dégâts.
(Musique)
Journaliste
On arrêta un militant communiste, Fernand Iveton, qui avait été chargé de la placer. Il apparaissait que le Parti Communiste Algérien semblait prendre maintenant une part majeure dans l’organisation du terrorisme. Un contrôle sévère de la navigation aérienne au-dessus du territoire avait permis de se saisir de cinq chefs rebelles, dont Ben Bella. Ben Bella, Mohamed Khider, Aït Ahmed, Boudiaf et Lacheraf avaient été pris alors qu’ils partaient pour Tunis avec la suite d’une haute personnalité. Il est inutile d’épiloguer. Ainsi s’affirme l’immixtion étrangère. Elle s’affirme surtout par l’aide apportée par les pays voisins. A la frontière tunisienne, on a fait prisonnier, dans un commando, un ouvrier musulman de Lyon, cueilli à son arrivée à Tunis par la police et remis par elle à une organisation de hors-la-loi. On a saisi, à plusieurs reprises, des convois d’armes de toutes sortes.
(Musique)
Journaliste
Dans le Sud, aux lisières du désert, les patrouilles méharistes sont chargées d’exercer une surveillance de tous les instants sur cette frontière éminemment perméable où tous les trafics peuvent se donner libre cours.
(Musique)
Journaliste
A la frontière algéro-marocaine, même problème. Grâce à des complaisances vraiment trop excessives, des convois d’armes passent. On a même dû protéger la frontière par une surveillance très spéciale, avec réseau de barbelés et patrouilles aériennes. L’importation d’armes se fait, là, sur une grande échelle. Un exemple suffira. A la date du 20 décembre 1956, une caravane était interceptée dans la région d’Oujda Marnia. Un convoi transportant une grosse quantité d’armes de toutes sortes, où les mitrailleuses et les mortiers étaient nombreux. Ces armes, de nationalités diverses, empruntaient, pour parvenir en Algérie, la route d’une région voisine, dont l’assistance aux hors-la-loi s’avère ainsi notoire et déclarée.
(Musique)
Journaliste
Sur mer également, l’utilité des patrouilles s’est révélée efficace. C’est ainsi qu’en octobre, on a saisi et arraisonné à la limite des eaux algéro-marocaines un bateau pirate qui, sous des noms différents, Atos ou Saint Briavels, apportait aux hors-la-loi une cargaison considérable. Et son équipage a parlé.
(Musique)
Journaliste
Ses 70 tonnes d’armes, d’une valeur de plus de 2 milliards de francs, étaient destinées aux rebelles. Cette cargaison, composée d’armes du dernier modèle, comportait plus de 2 000 fusils, des mitrailleuses lourdes et 75 mortiers. Elle avait été chargée dans un port égyptien, Alexandrie, par des militaires égyptiens. Cargaison et aveux mettent directement en cause le gouvernement du colonel Nasser, dont la parole de soldat donnée à monsieur Christian Pineau sur la non-ingérence de l’Egypte en Algérie reçoit, là, un violent démenti. Car il éclate, aujourd’hui, à tous les yeux, même les plus aveuglés ou les moins avertis, que l’Egypte, en dépit de tous les engagements et de toutes les déclarations, alimente la révolte algérienne. Une page secrète de la rébellion algérienne s’est ainsi ouverte au grand jour. Elle manifeste hautement, aussi bien que les convois venus par la Tunisie et le Maroc, aussi bien que l’attention marquée à Ben Bella, la participation de l’étranger à une affaire purement française. Mais il faut aussi, dans ce regard circulaire, faire allusion à d’autres faits. C’en est un qu’un de ces rebelles, Adjoul, chef d’une bande de L'Aurès, se soit rendu de son propre mouvement et ait lancé un appel à la reddition. Adjoul a compris. Il ne faut pas oublier ces foules, qui viennent chercher auprès des Français, une sauvegarde qui leur assurera la liberté du travail, dans un pays qui menacerait d’être la proie des factions et du désordre continuel comme il l’était autrefois le jour où la France n’y remplirait pas sa mission. L’Algérie est un problème aujourd’hui, mais un problème français. Un problème français qui exige une solution française.
(Musique)