Nos envoyés spéciaux : le Congo sans Lumumba

03 mars 1961
21m 44s
Réf. 00091

Notice

Résumé :

L'équipe de Cinq colonnes à la une revient au Congo pour faire le point sur la situation politique dans les différentes composantes du pays, depuis le gouvernement de Léopoldville jusqu'aux États sécessionnistes du Sud-Kasaï et du Katanga qui recourent aux mercenaires pour constituer leur armée.

Type de média :
Date de diffusion :
03 mars 1961
Source :

Éclairage

Le chef d'État-major de l'armée nationale congolaise (ANC), le colonel Mobutu, prend le pouvoir le 14 septembre 1960. Il écarte les autorités politiques et il nomme un collège de commissaires chargé de relancer une administration désorganisée par les crises qui se sont succédées depuis l'indépendance le 30 juin 1960. Le Premier ministre Lumumba est placé en résidence surveillée et isolé politiquement face à la coalition formée contre lui, depuis le président Kasavubu jusqu'à son ancien proche Mobutu. Lumumba est aussi écarté de la scène internationale lorsque l'Organisation des Nations-Unies (ONU) reconnaît fin novembre la délégation de Kasavubu comme la représentation légale du Congo. Il décide alors de rejoindre Stanleyville où l'ancien Vice-premier ministre Gizenga a rassemblé les forces nationalistes. Il est arrêté avec ses proches et renvoyé à Léopoldville. Mais Mobutu et Kasavubu craignent l'alliance des gardiens et des membres de l'ANC avec le Premier ministre déchu à la suite d'un soulèvement à Thysville où est enfermé Lumumba. Ils décident, en accord avec le président du Katanga, Tshombe, de le transférer vers cette ancienne province qui lui est violemment hostile. Cette décision de renvoi vers le Katanga ou le Sud-Kasaï qui revient à une élimination physique est également prise à l'égard de proches de l'ancien gouvernement légal. Lumumba et deux de ses proches sont assassinés à leur arrivée au Katanga le 17 janvier 1961. Mais la presse n'annonce que mi-février leur décès « dans la brousse » : évadés, ils auraient été l'objet de la vindicte de villageois. L'assassinat soulève l'indignation de la communauté internationale. Plusieurs pays communistes et du groupe afro-asiatique décident de reconnaître le gouvernement national de Gigenza comme seul gouvernement légal. L'ONU autorise le recours à la force par les casques bleus pour mettre fin au chaos et elle créée une commission d'enquête sur la mort des nationalistes. Parallèlement le président Kasavubu supprime le collège des commissaires et nomme un gouvernement dirigé par Joseph Ileo.

Le journaliste Roger Louis se rend au Congo pour comprendre la situation après la mort de Lumumba. Si à Léopoldville le Premier ministre Ileo regrette cet assassinat, de son côté le président Kasavubu le considère comme un non évènement. Il estime que l'entente politique est désormais possible et il s'oppose aux actions des casques bleus, considérés comme une force d'occupation. L'État autonome du Sud-Kasaï soutenu par la Forminière, une filiale de la société générale belge qui y contrôle l'extraction du diamant, rencontre de graves difficultés. La guerre qui a opposé l'ANC aux troupes du président Kalonji lors de la reconquête du Sud-Kasaï a fait de nombreuses victimes et entraîné la famine. Kalonji apparaît comme un dirigeant qui crée un royaume privé autour des Baluba, engagé dans un combat contre les Lulua. Il rejette les accusations portées contre lui d'avoir fait exécuter sommairement des lumumbistes en invoquant un jugement régulier. Il constitue une armée avec l'aide de conseillers militaires belges et de mercenaires, comme le Français Jean Gillet, qui recrute des enfants. Enfin, au Katanga, les opinions proférées contre l'ancien Premier ministre tout autant que les titres de presse reflètent l'hostilité contre Lumumba, tandis que Tshombe dénonce la commission d'enquête sur la mort de Lumumba comme une ingérence dans les affaires de son État. Le reportage présente les actions de l'armée katangaise contre la révolte des Baluba, avec un encadrement belge et le recours à des mercenaires, les « affreux », parmi lesquels des Belges, des Sud-Africains mais aussi des militaires français tels que le colonel Trinquier et le commandant Faulques envoyés officieusement pour accroître l'influence de la France dans la région en jouant la carte Tshombe.

Bénédicte Brunet-La Ruche

Transcription

Roger Louis
?
(Musique)
Roger Louis
C’est probablement ainsi qu’est mort Patrice Lumumba, ou, tout au moins, c’est ce qui lui est arrivé avant de mourir. Son pouvoir de fascination, qui lui avait permis de transformer en lumumbiste tous les gardiens de prison du territoire de Léopoldville, n’a pas joué au Katanga. Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo ex-belge, est mort donc officiellement quelque part en brousse, comme l’affirme son acte de décès. Qu’y a-t-il de changé au Congo après cette mort ? C’est ce que nous avons tenté d’éclaircir. En guise d’oraison funèbre, voici tout d’abord le jugement de l’homme de la rue du Katanga. Que pensez-vous de la mort de Patrice Lumumba ?
Inconnu 1
Lumumba est mort, comme tout le monde. C’est un criminel.
Inconnu 2
Ah, c’est une mauvaise chose, parce que tout le monde regrette hein.
Inconnu 3
Pour la mort de Lumumba, moi, ça ne me fait rien. Parce que ce Lumumba, là, il a fait beaucoup de morts partout au Congo. Pour moi, je ne regrette pas.
Inconnu 4
Je m’attendais à cette question-là, mais vous comprenez bien que je ne vais pas y répondre.
Roger Louis
Oui, mais à votre avis, c’est une bonne, mauvaise chose, regrettable ou non ?
Inconnu 4
Je ne peux pas, je ne peux pas rien dire, je suis étranger ici.
Roger Louis
Comment ça ? Vous êtes étranger ici.
Inconnu 4
Oui, je suis Belge, enfin, je suis tout de même étranger dans ce pays.
Inconnu 5
De la mort de Patrice Lumumba, je ne pense rien du tout. C’est une crapule de première catégorie.
Roger Louis
Il était intéressant aussi de connaître l’opinion de Monsieur Tshombe, président de l’Etat autonome du Katanga, où Lumumba était assassiné. La voici recueillie par nos confrères de la télévision belge.
Journaliste Belge
Quelles sont les raisons, Monsieur le Président, de votre opposition à une commission internationale d’enquête au sujet de la mort de Patrice Lumumba ?
Maurice Tshombé
Le Katanga, c’est un pays indépendant, il est souverain. Donc, jamais, dans les Nations unies, ils n’ont fait l’enquête dans aucun cas pour la mort d’un leader.
Journaliste Belge
Aux Nations unies, la délégation soviétique a présenté un projet très dur, très dur à la fois pour la Belgique et aussi pour le Katanga, et singulièrement pour votre personne. On a même parlé de votre arrestation, votre avis ?
Maurice Tshombé
Moi, j’attends ça de pied fermé.
Roger Louis
Voilà pour le Katanga. Deux mille kilomètres séparent Elisabethville de Léopoldville, capitale officielle de la République du Congo. Une équipe de 5 Colonnes s’y est rendue pour la troisième fois en moins de six mois. La dernière fois que j’étais venu ici, c’était en octobre. Les grues du port étaient déjà immobiles, elles le sont toujours. Par contre, l’atmosphère de la ville a changé. Une activité règne superficiellement. Le calme et la tranquillité sont apparents. Les Européens n’ont plus peur, mais ils ont définitivement renoncé à comprendre et même à critiquer. Ils ont découvert le fatalisme avec une surprenante facilité. Les Belges sont revenus, les femmes sont rentrées, les enfants jouent dans les parcs. Si la mort de Lumumba a laissé la population blanche apparemment indifférente, la population noire, elle, vit dans l’anxiété. Un Français habitant à Léopoldville nous donne, à ce sujet, son explication.
Inconnu 6
Ils sont 350 000, ici, à Léopoldville. Sur 350 000, il y a au maximum, à mon avis, c’est une bonne proportion, 500 tueurs. Autrement dit, des hommes capables de lancer un poignard dans le dos de quelqu’un. Mais ces 500 personnes suffisent à terroriser complètement toute la population.
Roger Louis
Et j’ai retrouvé Manuel, ce manifestant anti-lumumbiste rencontré précédemment. Mais cette fois-ci, il n’a accepté de se laisser interviewer qu’à la condition de sortir de la ville. Il avait peur. Alors Manuel, vous êtes content maintenant ?
Manuel
Oh, et pourtant, je suis tellement content, normal. Mais je suis tellement content !
Roger Louis
Pourquoi vous êtes content ? Parce que Lumumba est mort ?
Manuel
Oui, sûrement, c’est tout à fait comme je vous ai dit la fois passée dans la télévision, que si cet homme n’est pas mort, alors là, on ne serait pas en paix sérieusement. Comme il est mort, je suis tellement content. Vous me voyez rigoler même, parce que je suis tellement content.
Roger Louis
Et ça ne vous embête pas qu’il ait été assassiné comme ça ?
Manuel
Oui, sûrement, comme il est assassiné. A mon avis, si c’était moi, je devrais même le manger. Si c’était chez moi, mais je devrais même le manger, comme qu’on mange les chikwangues.
Roger Louis
Qu’est-ce que vous croyez qu’il faut faire avec les lumumbistes ?
Manuel
Avec les lumumbistes, à mon avis, si on les arrête… Si j’étais à la place du chef de l’Etat ou si j’étais l’autorité, je devrais les foutre tous à Bakwanga. On devrait leur couper les oreilles. Aujourd’hui, on coupe l’oreille, demain, on coupe les bras, le lendemain, on coupe les jambes. On les laisse comme ça, jusqu’à ce qu’ils meurent. Alors, on le prend, on les met comme les statues, les squelettes.
Roger Louis
Dans cette maison, j’avais interviewé, la dernière fois, Patrice Lumumba. C’est dans la propriété voisine que nous avons rencontré Monsieur Ileo, Premier ministre, son successeur. Que pense-t-il, lui, de l’assassinat de celui qu’il remplace ?
Joseph Ileo
Comme j’ai déclaré dans une allocution que j’ai faite à la fin de la pré-conférence, j’ai bien dit que mon gouvernement réprouve tous les actes de barbarisme, réprouve la violence. Et il faut absolument que les gens dans ce pays sachent que le respect de la personne humaine est un élément important pour l’ordre et la prospérité d’un peuple. Et je crois que la plupart, la grande majorité des gens ont regretté cette mort tragique, car on aurait pu l’éviter. Et je pense que ça aurait été la meilleure chose à faire.
Roger Louis
Un autre élément nouveau à Léopoldville : les chantiers que le gouvernement a créés pour tenter de lutter contre le chômage. Mais le chômage n’est que la conséquence du chaos. Il cessera avec lui. C’est ce qu’on tente d’expliquer au peuple qui s’énerve. Alors, il faut trouver un responsable. C’est fait. Pour tout le monde, c’est l’ONU. Ecoutez, monsieur Kasa-Vubu, président de la République.
Kasa-Vubu
Nous n’attaquons pas l’ONU en soi, parce que si vraiment il voulait être respecté comme l’ONU, il aurait pu suivre la ligne de conduite de l’ONU. Du moment qu’il ne suit plus la ligne de conduite de l’ONU, dans ce principe, nous ne le considérons plus comme l’ONU. Nous voyons seulement qu’une puissance étrangère est venue chez nous pour nous attaquer. Alors là, nous répondrons par la force. Il n’y a rien à faire.
Roger Louis
Est-ce que vous croyez que l’émotion qui s’est emparée à l’extérieur, disons, de l’opinion publique à la mort de Monsieur Lumumba était heu… déplacée ?
Kasa-Vubu
Complètement déplacée. La preuve en est qu’il y a eu des agitations en France. Partout en fait dans le monde, n’est-ce pas, ceux qui se sont intéressés, n’est-ce pas, à la question. Mais à l’intérieur du Congo, heureusement, rien à ce sujet. Heureusement, rien. C’est la preuve que c’est l’influence extérieure qui fait du tort au Congo et non pas le Congo lui-même. On l’avait constaté.
Roger Louis
Voilà pour Léopoldville, siège de ceux qu’on appelle, au Congo, « les mous ». « Les durs » se trouvent à Bakwanga, capitale de l’Etat autonome du Sud Kasaï, où vit la tribu des Balubas avec son chef, monsieur Kalonji. Nous y sommes allés. Ici ont été massacrés sept émissaires du gouvernement central accusés de lumumbisme. Ici, on se remet à peine d’une famine effroyable qui décima récemment les Balubas. Malgré l’aide de l’ONU, aujourd’hui encore, il suffit de s’aventurer à trente kilomètres de Bakwanga pour rapporter des images de cauchemar.
(Musique)
Roger Louis
Spectacle saisissant. A quelques centaines de mètres de cet enfer, derrière les barbelés qui l’isolent comme un monde à part, la fore minière continue imperturbablement à produire ses diamants comme si de rien n’était. La fore minière, c’est-à-dire 60 % de la production mondiale. Pourquoi voulez-vous qu’elle s’arrête ? Monsieur Kalonji, l’homme dur du Congo, utilise cette richesse pour asseoir son autorité qu’il veut absolue. Il n’aime pas qu’on lui parle des exécutions sommaires qui ont lieu dans son Etat.
Albert Kalonji
Nous avons pris les précautions pour nous montrer civilisés dans nos actes. C’est ainsi que le Tribunal des chefs coutumiers, que j’ai institué depuis le 10 septembre 1960, a été convoqué en séance extraordinaire, et a condamné de la manière la plus régulière possible tous ces messieurs. Et du reste, notre substitut de procureur d’Etat a produit un constat de mort de ces condamnés à mort, et un jugement avec référence au Code pénal que les Belges nous ont laissé et que nous appliquons dans mon Etat en attendant son abrogation progressive. Monsieur Dayal, qui avait cru me posséder, a été rassis et remis à sa petite place directement par mon ministre de la Justice, qui lui a fait transmettre d’urgence, par l’intermédiaire de Monsieur Lavallée, que j’ai convoqué [d’abord], et qui est le représentant de l’ONU au Kasaï. Je lui ai donné toutes les copies de jugement et le Monsieur a eu tout de suite sa bouche fermée.
Roger Louis
Dans le parc de monsieur Kalonji, des Balubas dansent et chantent. Leur chant explique après coup ce qu’ils auraient aimé faire à Lumumba, l’ennemi de leur chef. D’autres s’en sont chargés avant eux.
(Musique)
Roger Louis
Mais c’est dans la salle à manger qu’on trouve, sous la forme d’un tableau, l’expression de la préoccupation essentielle de Kalonji. Prendre sa revanche sur les Luluas, tribu voisine, ennemie traditionnelle, qui attaqua sauvagement son peuple l’an dernier. Il a besoin, pour cela, d’une armée. Elle existe maintenant. A la tête de cette armée, un Français, monsieur Gillet, devenu colonel. Mon colonel, vous êtes Français, je crois
Colonel Gillet
Oui, je suis Français.
Roger Louis
Mais comment, diable, vous retrouvez-vous dans le Sud Kasaï ?
Colonel Gillet
Eh bien, voyez-vous, je m’étais installé en province orientale sur les bords du lac Albert où je faisais la chasse, à titre professionnel – organisation de safaris et guide de chasse, si vous voulez – qui est un métier passionnant. Et comme tout ça a été fichu en l’air en quelques heures par les soldats révoltés de Lumumba, je n’ai trouvé mon salut que dans une fuite éperdue après pas mal d’avatars. Je suis arrivé en Ouganda. Et en Ouganda, j’ai considéré que mon devoir n’était pas de rester inactif, mais d’essayer d’aider un de ces Etats qui cherchait son indépendance. Et j’ai été me mettre au service du président Kalonji.
Roger Louis
Mais dans ce Sud Kassaï, qui ne pense qu’au combat et s’organise en conséquence, voici le pire. Ces gosses qui ont évolué devant nous pendant des heures ont entre huit et douze ans. De la civilisation blanche, ils n’ont retenu que cela.
(Bruit)
Inconnu 7
Chargé, arme !
(Bruit)
Inconnu 7
Attention ! Attention ! En avant ! En place !
(Bruit)
Inconnu 7
Ici, c’est le colonel.
Roger Louis
Ah bon, tu es le colonel ?
Inconnu 7
Oui, moi, c’est le capitaine.
Roger Louis
C’est toi le capitaine. C’est vous qui lui aviez appris à faire les manoeuvres ?
Inconnu 8
Oui, c’est moi.
Roger Louis
Et qui vous l’a appris, à vous ?
Inconnu 8
C’est moi-même, oui, c’est moi-même.
Roger Louis
Et ce fusil que vous avez là, qui est-ce qui l’a fait ?
Inconnu 7
C’est moi qui l’ai fait.
Roger Louis
Et les fusils qu’ont tous les autres enfants ?
Inconnu 7
C’est moi encore.
Roger Louis
Et vous avez fait ça tout seul ?
Inconnu 7
Oui, Monsieur.
Roger Louis
C’est dangereux ou ce n’est pas dangereux ?
Inconnu 7
C’est dangereux. Si vous tirez, tu seras mort.
Roger Louis
On peut tuer quelqu’un avec ça ?
Inconnu 7
Ah oui ! [INAUDIBLE]
Roger Louis
Vous avez tué déjà trois hommes de Lumumba ?
Inconnu 8
Oui, nous étions présents avec ça.
Roger Louis
Avec ça ?
Inconnu 8
Oui !
Roger Louis
Et les enfants aussi ? Non, pas les enfants quand même !
Inconnu 7
Non, pas les enfants, c’est nous six.
Roger Louis
Mais vous avez quel âge, vous ?
Inconnu 7
J’ai 17 ans maintenant.
Inconnu 8
Moi j’ai 15 ans maintenant.
Roger Louis
15 ans, vous ?
Inconnu 8
Oui !
(Bruit)
(Musique)
Roger Louis
Dans l’autre Etat dur du Congo, le Katanga, une autre armée s’organise qui a déjà fait parler d’elle. C’est celle-là même que devait rejoindre ces jours-ci le colonel Trinquier. Il y a 1quinze jours, nos amis Goulard et Félix de la télévision belge ont pu filmer l’extraordinaire document que vous allez voir maintenant. La bataille de Luena qui a fait l’objet d’un rapport spécial aux Nations unies. Raoul Goulard, témoin et reporter, commente ces images.
Raoul Goulard
Objectif, d’abord Luena, et 30 kilomètres plus loin, Bukama. 200 guerriers sont prêts à partir pour la première phase de l’offensive. Un groupe mobile de volontaires katangais part tout d’abord en reconnaissance.
(Bruit)
Raoul Goulard
Vous dirigez cette seconde colonne qui se dirige vers Luena. Quel est le but de l’opération ?
Colonel Trinquier
Le but de l’opération est tout simplement de dégager le rail. Les Balubas se sont emparés de localités autour du rail. Le but de l’opération n’est pas offensif, tout simplement de dégager le rail et la route.
Raoul Goulard
Vous avez de gros moyens mis en œuvre ?
Colonel Trinquier
De très gros moyens, un gros paquet.
Raoul Goulard
Hier, je crois que dans la première colonne, il y avait ce que l’on appelle communément, les Affreux. Qu’est-ce donc que ces Affreux ?
Colonel Trinquier
Les Affreux, c’est un terme qu’eux-mêmes ont inventé. Ça leur plaît très bien. Dans les Affreux, il y a des gens très bien, comme partout, il y en a des mauvais. Les mauvais ont été renvoyés.
Raoul Goulard
Y a-t-il beaucoup d’Affreux ?
Colonel Trinquier
Il en reste très peu.
Raoul Goulard
Départ vers Luena. La première étape sera Moukoula Koulou, en pleine région baluba. Nous sommes partis avec un colonel katangais pressé d’arriver avant la nuit. Nous étions quatre, deux militaires armés de mitraillettes, Félix, d’une caméra, et votre serviteur, d’un crayon à bille. Nous étions les premiers civils à prendre la route de Luena depuis quatre mois. Nous avons foncé à du 80 km/h dans la brousse hostile. Rencontre avec des policiers katangais qui gardaient un pont.
(Musique)
Raoul Goulard
Au-delà du pont, pas de secours possible. 20 kilomètres pendant lesquels nous n’avons pas dit un mot, le regard braqué sur la brousse, à gauche et à droite de la route. 20 kilomètres qui en faisaient bien 100.
(Musique)
Raoul Goulard
Nous sommes arrivés sains et saufs à Moukoula Koulou vers 18 heures. Le soir tombait. Les soldats étaient en train de mettre le feu aux cases. C’est un spectacle que nous retrouverons à Luena et à Bukana. En incendiant les villages, on oblige les rebelles à demander grâce. Car dans la brousse sans abri, sans vivres, la vie est impossible plus de quelques jours. Quant au butin, y compris les rares femmes restées dans le village, il appartient aux vainqueurs.
(Musique)
Raoul Goulard
Nous sommes repartis en hélicoptère en direction de Luena. La garnison que nous trouvions au cours d’une brève étape à Kabondo-Dianda était sur le qui-vive. Une vingtaine d’Européens ont abandonné le village depuis plus de trois mois, et les quelques rares habitants indigènes logent dans un curieux bidonville fait de tôles ondulées et de balles de coton.
(Musique)
Raoul Goulard
Nous reprenons une nouvelle fois le chemin de Luena. Et en route, nous croisons d’importantes colonnes de ravitaillement.
(Bruit)
Raoul Goulard
Dans cette région, le groupe mobile, venu de Kamina progressant vers Bukama, a pu faire la jonction avec l’armée katangaise venant de Lubudi.
(Bruit)
Raoul Goulard
A l’arrivée à Luena, nous comptons près d’un millier d’hommes, Blancs et Noirs, et un important matériel blindé.
(Musique)
Raoul Goulard
Un hélicoptère a ramené, d’un poste baluba avancé, une vielle femme qui a eu la mâchoire emportée par une rafale de mitraillette. Mais l’heure de l’offensive finale a sonné.
(Bruit)
Raoul Goulard
Guidé par radio, un important détachement katangais, armé de canon de 75 sans recul, de mortiers et de mitrailleuses lourdes, va procéder à l’attaque du réseau retranché de Bukama.
(Bruit)
Raoul Goulard
Au-delà de Bukama, c’est le pont de chemin de fer sur le fleuve Lualaba qu’il faut libérer.
(Bruit)
Raoul Goulard
A l’issue de la bataille, on découvre d’atroces souvenirs de cruauté récente. Dans certains cas, on a coupé les pieds et les jambes et enfoncé des sticks. On a obligé les victimes à marcher ainsi. Certains cadavres portent des traces de cannibalisme.
(Musique)
Raoul Goulard
La route de Kamina est de nouveau ouverte.
(Silence)