Une déclaration de Félix Houphouët-Boigny

08 juin 1961
04m 11s
Réf. 00110

Notice

Résumé :

A Versailles, Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny prononce un discours sur la coopération avec la France.

Date de diffusion :
08 juin 1961
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

Les voyages réguliers des chefs d'État africains à Paris, les déclarations officielles et les protestations d'amitié n'ont cessé de ponctuer le processus de « bilatéralisation » des relations entre Paris et ses ex-territoires d'outre-mer. Le contexte de la guerre froide exige que l'on choisisse son camp ; des personnalités de premier plan font ainsi le choix explicite du bloc occidental et contribuent à maintenir des liens très étroits avec la France – tant sur le plan politique qu'économique. Nous en avons ici une bonne illustration, avec un extrait de quatre minutes environ d'un discours de Félix Houphouët-Boigny, diffusé le 8 juin 1961 à l'occasion d'une visite officielle en France du président ivoirien.

Félix Houphouët-Boigny (1905-1993) est l'une des figures politiques majeures de l'histoire de l'Afrique occidentale française du XXe siècle et un acteur de premier ordre dans l'histoire des relations franco-africaines d'après les indépendances. Co-fondateur du Rassemblement Démocratique africain (RDA) en 1946, – mouvement politique qui joua un grand rôle dans l'évolution politique de l'AOF après 1945 (voir Les chemins politiques, de Brazzaville à la Communauté) –, il est à maintes reprises élu député. Il fait également partie du gouvernement Guy Mollet en 1956, avec un poste de ministre délégué à la Présidence du Conseil. Pour la première fois, un élu africain occupait dans un gouvernement français un poste d'envergure. La loi-cadre Defferre – qui accorde l'autonomie aux territoires d'outre-mer – porte d'ailleurs sa marque. Il est ensuite nommé ministre d'État au sein du cabinet Bourgès-Maunoury, puis ministre de la Santé publique et de la Population dans le gouvernement Gaillard. En mai 1958 enfin, il est ministre d'État dans l'éphémère gouvernement dirigé par Pierre Pflimlin.

Bref, Félix Houphouët-Boigny a déjà une longue carrière politique derrière lui quand il proclame l'indépendance de la Côte d'Ivoire le 7 août 1960 et en devient président de la République. Tour à tour opposant nationaliste et anticolonialiste à la présence française, puis homme de gouvernement en France même, il défend une position intéressante dans le processus de décolonisation de la fin des années 1950. Depuis 1958 en effet, il plaide pour le maintien prolongé des républiques africaines autonomes dans la structure de la Communauté française. Il n'est donc pas un chaud partisan de l'indépendance pour l'indépendance mais apparaît, au contraire, comme un défenseur du rapprochement étroit avec l'ancien colonisateur. C'est ce qui ressort d'ailleurs de son discours, où il prône également la mise en place d'une politique de coopération bilatérale pour son pays. Dans le cadre de la politique de développement que lance la France après 1960, la Côte d'Ivoire devient un des partenaires privilégiés – quand bien même le « miracle ivoirien » des années 1960-70 n'en fait pas le pays le plus pauvre de l'ancienne Afrique occidentale française.

Sophie Dulucq

Transcription

Intervenant 1
Comment concilier l’indépendance, si chèrement acquise, avec la nécessité de concours extérieurs, quand ceux-ci peuvent ne pas être désintéressés, dans la mesure où la préoccupation de ceux qui le peuvent consentir est la domination du monde ? Malgré toutes ces difficultés, les états africains nouvellement indépendants, ou, du moins la Côte d’Ivoire, puisque c’est d’elle qu’il s’agit. Car je ne voudrais pas tomber dans l’erreur que commettent parfois certains leaders qui, sans aucun mandat, veulent parler au nom de toute l’Afrique. La Côte d’Ivoire, dis-je, est décidée à bâtir son devenir dans un cadre de paix, à l’intérieur comme à l’extérieur, et dans une coopération confiante avec tous les Etats qui veulent l’aider dans tous les domaines, sans pour autant chercher à peser sur sa vie politique. De ce qui précède découle la position de la Côte d’Ivoire face au problème posé, à la fois par sa construction, et par ses rapports, d’abord, avec les états africains, avec l’esprit colonisateur la France, et les autres pays du monde entier ensuite. Nous voulons la paix, indispensable à la construction harmonieuse de notre pays. Et nous voulons vivre en paix avec tous nos voisins, quel que soit le régime politique choisi par eux. Nous voulons parvenir à une coopération durable, non seulement avec les états frères du Conseil de l’entente, mais encore avec ceux de l’Union Africaine et Malgache. Et aussi, je le dis très sincèrement, avec tous les autres états africains, dans le respect de la personnalité de chacun. L’interdépendance des peuples – il y a au moins unanimité sur ce point – est la réalité du siècle. Nous ne pouvons ne pas en tenir compte. Aussi, la Côte d’Ivoire, qui a accédé à l’indépendance sans heurts, sans effusion de sang, dans l’amitié avec l’ancien colonisateur, tourne-t-elle, naturellement, ses regards vers la France, en vue d’organiser une coopération basée sur la confiance réciproque et l’égalité, dans l’amour partagé de la paix, de l’amitié, de la fraternité entre les peuples. Nous ne nous dissimulons pas les difficultés que nous rencontrerons dans la réalisation d’une telle politique, dans un monde divisé, où les forces du mal risquent, si par malheur, elles viennent à s’affronter, d’entraîner le monde dans l’abîme. Aussi, souhaitons-nous ardemment voir tous les Etats qui, comme le nôtre, sont conscients de ce danger, de se compter et de se rassembler pour faire entendre leurs voix, la voix de la paix, de la liberté et de la concorde entre les Etats. La France, qui bientôt va tourner une page définitive sur la colonisation par la paix en Algérie, que nous souhaitons proche de tout notre cœur, la France qui n’ambitionne aucune hégémonie mondiale, doit pouvoir s’engager dans la politique esquissée plus haut, politique qui sera bénéfique pour elle, pour ses amis et pour le monde entier. En tout cas, pour la réalisation d’une telle politique, elle trouvera la Côte d’Ivoire à ses côtés. Et cette politique et cette action commune ne sauraient porter ombrage à aucun pays défenseur de la paix et de la liberté. Car notre vocation, je n’ai cessé de le dire, la vocation de l’Afrique, force morale, est une vocation de paix, d’amitié, de fraternité.
(Bruit)