Le lendemain sanglant de Djibouti

28 mars 1967
02m 02s
Réf. 00148

Notice

Résumé :

L'émission Panorama présente le déroulement du référendum du 19 mars 1967, aux termes duquel les populations de la Côte française des Somalis se sont prononcées à 60 % en faveur de leur maintien dans la République française, avec un statut renouvelé. Le reportage met en avant les divisions entre les Afars et les Issas lors de ce vote ; il présente une lecture essentiellement ethnique des résultats et des manifestations qui suivent à Djibouti et sont réprimées par l'armée française.

Date de diffusion :
28 mars 1967
Source :

Éclairage

Après le référendum du 28 septembre 1958, les territoires africains qui ont voté oui ont majoritairement choisi de devenir des États de la communauté française. La Côte française des Somalis (CFS) fait alors exception, en préférant rester un territoire d'outre-mer pour maintenir son unité face aux visées expansionnistes de ses voisins éthiopien et somalien, mais avec un projet d'évolution de son statut. Deux ans plus tard, les États de la communauté et les territoires sous tutelle de l'ONU accèdent à l'indépendance tandis qu'est créée la République de Somalie par fusion des anciens Somaliland britannique et Somalia italienne. La CFS reste encore à l'écart du mouvement et la France manifeste sa volonté de se maintenir dans ce lieu stratégique sur la mer rouge. Mais l'entrée des pays indépendants à l'ONU et la création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en 1963 renforcent le processus d'émancipation. Les Nations-Unies inscrivent la CFS sur la liste des pays à décoloniser prioritairement en 1965. Parallèlement, la Somalie et l'Éthiopie manifestent clairement leurs revendications territoriales sur la CFS et soutiennent les mouvements de libération du territoire. Les oppositions entre les Issas ou Somalis, qui sont majoritaires dans le pays et à Djibouti, et les Afars se renforcent d'autant plus avec les modifications des règles électorales introduites pour favoriser la représentation des Afars après 1958. Mais les positions politiques se durcissent au-delà des clivages ethniques qui sont mis en avant dans les reportages français. En effet, le Parti du Mouvement Populaire des Issas, rejoint par l'Union démocratique Afar d'Ali Aref Bourhan puis par l'Union Démocratique Issa d'Hassan Gouled Aptidon, manifestent en faveur de l'indépendance lors du passage du général de Gaulle en août 1966 (Voir la vidéo Charles de Gaulle : voyage à Djibouti).

Lors de son discours devant l'assemblée territoriale de la CFS, le président français a envisagé la possibilité d'une évolution du statut de la CFS tout en mettant en garde contre les convoitises des pays voisins. Il entend en effet garder la main sur le processus de décolonisation et ne pas agir sous la supervision onusienne, mais dans le cadre d'un référendum organisé conformément à la Constitution. La décision du gouvernement français d'organiser le référendum début 1967 est annoncée le 21 septembre. La population de la CFS devra indiquer si elle souhaite demeurer au sein de la République française, avec un statut renouvelé, ou en être séparée.

L'émission Panorama présente le référendum du 19 mars 1967 et les protestations qui suivent les résultats, en mettant principalement en avant les clivages ethniques. La population se prononce à 60 % en faveur du maintien de la CFS dans la République française. Mais ce résultat donne lieu à Djibouti à des manifestations de la part des partisans du non, qui dégénèrent en émeutes sanglantes et donnent lieu à l'intervention des militaires français. Les communautés mais aussi les mouvements politiques se divisent en effet lors de ce vote. Le parti du mouvement populaire des Issas et le leader Hassan Gouled, que l'on voit parmi les manifestants, ont appelé à voter non et ont été largement suivis dans la capitale. À l'inverse, le leader de l'Union démocratique Afar, Ali Aref, qui avait soutenu les manifestations en faveur de l'indépendance en août 1966, appelle à voter pour le maintien du territoire dans la République française et la communauté Afar soutient ce choix. Ali Aref devient vice-président du gouvernement et mène avec le soutien de l'administration une politique de discrimination à l'égard des Somalis dans un pays désormais appelé Territoire des Afars et des Issas. Ce n'est qu'après dix ans de tensions sociales et politiques et sous la pression de l'ONU et de l'OUA que le gouvernement français se résout à négocier l'indépendance après le référendum du 8 mai 1977. La République de Djibouti proclame son indépendance le 27 juin 1977 sous la direction d'Hassan Gouled.

Bénédicte Brunet-La Ruche

Transcription

(Musique)
Journaliste
En Côte française des Somalis, le vote pour ou contre le maintien des liens avec la France a cristallisé le désaccord entre les deux communautés ethniques, entre la ville et la brousse. A Djibouti même, les mots d’ordre du parti du Mouvement Populaire ont été largement suivis par les Somalis, majoritaires dans la capitale ; de sorte que celle-ci est apparue comme le bastion du non. Douze bureaux de vote avaient été installés. Dès les premières heures du scrutin, électrices et électeurs se présentaient en foule, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Les résultats devaient faire ressortir que les deux tiers de la population de la ville avaient voté pour l’autonomie. Dans le bled, il en allait tout autrement. Si la participation électorale se révélait également très forte, c’était ici le oui qui dominait. Les électeurs qui avaient fait de longs trajets pour se rendre aux urnes suivaient généralement les mots d’ordre de leurs leaders Afars. Et en définitive, c’est par 60 % des suffrages que le oui l’emportait pour l’ensemble du territoire.
(Bruit)
Journaliste
Un résultat qui n’allait pas être accepté sans violence.
(Bruit)
Journaliste
A Djibouti, les partisans du non déclenchaient de graves incidents et se payaient de leur déception sur les biens et les personnes des Afars. L’émeute tournait au pogrom, la troupe était contrainte d’intervenir.
(Bruit)
Journaliste
La flambée ne dura que quelques heures, mais elle se solda par 11 morts et 25 blessés.
(Bruit)
Journaliste
Après le quadrillage de la vieille ville, Djibouti a retrouvé peu à peu son calme.