Les manifestations musulmanes du 17 octobre 1961

25 octobre 1961
01m 12s
Réf. 00227

Notice

Résumé :

Le 17 octobre 1961, une manifestation de musulmans de Paris organisée par le FLN subit une violente répression.

Date de diffusion :
25 octobre 1961
Date d'événement :
17 octobre 1961

Éclairage

Le 5 octobre 1961, le préfet de police Maurice Papon décrète la fermeture dès 19 heures des débits de boisson fréquentés par les Algériens : c'est un couvre-feu déguisé. Cette décision intervient dans le contexte de la "bataille de Paris", menée depuis 1958 par le préfet de police contre la Fédération de France du FLN, responsable de nombreux attentats contre des objectifs économiques, militaires et politiques en France. Pour protester contre cette mesure discriminatoire, la Fédération de France du FLN appelle à une manifestation pacifique pour le 17 octobre.

Cette manifestation donne lieu de la part des services de police, sous la responsabilité de Maurice Papon, à une "ratonnade" dont on a su, depuis, qu'elle a fait plus de 200 morts et près de 2300 blessés. La police tire sur la foule boulevard Bonne-Nouvelle et jette des manifestants à la Seine, avant d'en parquer des centaines dans des camps d'internements provisoires où ils sont parfois battus à mort. La polarisation des polémiques sur les crimes du FLN et des extrémistes européens d'Algérie explique en partie le très faible impact sur l'opinion de cette monstrueuse "ratonnade" par ailleurs largement escamotée par la presse. Le 17 octobre au soir, le journal de la RTF ne dit pas un mot de la manifestation. Elle "nous avait été présentée comme un simple fait divers", raconte aujourd'hui Joseph Pasteur, qui présentait à l'époque le journal télévisé. "Pour expliquer l'absence de reportages, il faut se rappeler que nous étions en pleine guerre d'Algérie et que la télévision était placée sous la férule personnelle du général de Gaulle, qui en avait fait son porte-voix".

A la Chambre des députés pourtant, Claudius-Petit s'élève dès le 30 octobre contre la répression policière : "La bête hideuse du racisme est lâchée", tonne-t-il. Le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, répond qu'"il n'a pas le moindre commencement d'une ombre de preuve des accusations portées contre la police". Le préfet de police, Maurice Papon, déclare devant le conseil municipal : "La police parisienne a fait ce qu'elle devait faire". Gaston Defferre demande au Sénat une commission d'enquête, à laquelle aucune suite n'est donnée.

Les Actualités Françaises passent sous silence les violences subies par les "Français musulmans d'Algérie". Seules sont évoquées les méthodes policières "avouables", arrestations et reconduites à la frontière. Ce reportage ne se contente pas de fermer les yeux sur la ratonnade, il distille un climat de peur, légitimant de manière indirecte la répression policière.

En effet, la musique est inquiétante, la voix du commentateur grave et l'accent est mis sur l'importance du dispositif policier, laissant accroire le caractère dangereux de la manifestation, alors que son pacifisme était manifeste : des femmes et des enfants ne défilaient-ils pas en nombre ? En outre, il n'est nullement fait mention du motif de la manifestation. Ces omissions volontaires posent la question de l'indépendance de la télévision ? Oui et non. Les Actualités Françaises constituent un moyen de communication de masse en temps de guerre. La presse dans son ensemble a accepté le bilan de la police (2 morts algériens et 78 blessés).

Seuls certains journaux et périodiques, bravant les saisies, font état de la vérité. Le Monde reste prudent, mais Libération, France-Observateur, L'Express, Témoignages et documents, Vérité-Liberté et Le Monde libertaire donnent une relation assez précise des faits. Cependant, alors que la Seine n'en finit pas de rejeter des corps et que le bilan est de plus en plus ouvertement contesté, le souvenir du 17 octobre 1961 est de toute façon vite occulté par l'action de l'OAS et le drame du métro Charonne. Il faudra attendre le 17 octobre 1985 pour que cette manifestation soit à nouveau évoquée à la télévision à l'occasion d'une commémoration de ce drame par SOS-Racisme. Après la publication, en 1991, du livre de Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 (Points Seuil) et de celui d'Anne Tristan, Le Silence du fleuve (EMAF), la télévision française fait œuvre de mémoire. Depuis dix ans, de nombreux documentaires ont été réalisés sur le sujet.

A lire aussi :

Ratonnades à Paris, de Paulette Péju, préface de Pierre Vidal-Naquet et postface de François Maspéro, La Découverte, coll. Poche essais.

17 octobre 1961, un crime d'Etat, Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), La Dispute Editeurs.

Eve Bonnivard

Transcription

Commentateur
Plusieurs nuits durant, les forces de police sont restées en état d'alerte à Paris à la suite des manifestations auxquelles avaient pris part 20.000 musulmans algériens. A Ménilmontant comme à la Goutte d'Or, le rideau de fer était tiré devant les boutiques et les cinémas.
(Silence)
Commentateur
Journée de manifestation silencieuse : la grève des commerçants algériens, assez généralement suivie. En dépit du dispositif de surveillance de la police, les musulmans algériens n'avaient pas renoncé à continuer leur manifestation. Mais cette fois ce furent des groupes de femmes et d'enfants qui tentèrent de se former ; groupes qui devaient être rapidement canalisés vers les centres sociaux de la préfecture de la Seine. En tout, un millier de femmes furent ainsi appréhendées pour être reconduites chez elles. Tous les manifestants arrêtés le premier soir - et il y en eut 11.500 - ne devaient pas connaître le même sort : 1.500 en effet ont été refoulés vers l'Algérie dans leurs douars d'origine. C'est ainsi qu'à Orly, 144 d'entre eux ont été embarqués à destination de Constantine.