Allocution du général de Gaulle du 16 septembre 1959 en faveur de l'autodétermination

16 septembre 1959
07m 36s
Réf. 00232

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle, dans un discours radiotélévisé, énonce le principe fondamental de sa politique à l'égard de l'Algérie : l'autodétermination.

Date de diffusion :
16 septembre 1959
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Ramené au pouvoir par l'émeute algéroise du 13 mai, le général de Gaulle a pour mission de mettre fin au conflit. Dans un premier temps, le Général semble donner raison aux partisans d'un maintien de l'Algérie sous souveraineté française. "Je vous ai compris" lance-t-il dès le lendemain de son investiture, le 4 juin 1958, aux colons d'Algérie. Une orientation que semble confirmer la conférence de presse du 23 octobre 1958 dans laquelle le Général n'offre d'autre perspective au FLN qu'une reddition honorable, la "paix des braves".

1959 constitue un tournant. Prenant acte de son échec de 1958, le FLN ayant refusé son offre, de Gaulle proclame solennellement le 16 septembre le droit de l'Algérie à l'autodétermination. Une fois le cessez-le-feu obtenu, les Algériens se verront offrir le choix entre trois solutions : la sécession, la francisation complète, "de Dunkerque à Tamanrasset", ou la constitution d'une Algérie gouvernée par les Algériens, mais "en union étroite avec la France".

A ce stade, de Gaulle n'accepte pas encore une Algérie indépendante, il reste favorable à un maintien de la présence française. En effet, s'il propose la "sécession" - signe d'une incontestable ouverture politique -, c'est pour mieux disqualifier une solution à ses yeux "invraisemblable et désastreuse". "Les conséquences de la sécession seraient une misère épouvantable, un affreux chaos politique, un égorgement généralisé et bientôt la dictature belliqueuse des communistes", met-il en garde tandis qu'il s'engage à protéger les Algériens qui resteraient fidèles à la France.

Celui que l'on surnomme le "général Micro" a très vite su se faire de la télévision une alliée. Pierre Sudreau a rapporté l'un de ses propos : "Pendant la guerre, j'ai gagné avec le micro, maintenant je gagne avec la télévision". Prenant acte de l'essor de la télévision dans le pays, il écrit dans ses Mémoires d'espoir : "Voici que la combinaison du micro et de l'écran s'offre à moi au moment même où l'innovation commence son foudroyant développement".

Pour ne pas ennuyer son auditoire, il récite le texte de ses allocutions, en un temps où on n'a pas encore inventé le téléprompteur. On voit bien sur sa table une liasse de notes, mais le Général ne leur accorde pas un seul regard. Il s'agit, comme il l'écrit dans ses Mémoires, de paraître "assez animé et spontané pour saisir et retenir l'attention, sans se commettre en gestes excessifs et en mimiques déplacées" [cité par Jean-Noël Jeanneney, "Charles de Gaulle", in L'Echo du siècle, Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Hachette, Coll. Pluriel, 2001].

L'équipement, un seul micro fixé à la table, pas de caméra visible, est volontairement discret, créant l'impression qu'un lien direct, quasi magique, unit les Français au Général.

Eve Bonnivard

Transcription

Charles (de) Gaulle
Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant discerner le moment où les femmes et les hommes qui habitent l'Algérie seront en mesure de décider de leur destin une fois pour toutes, librement, en connaissance de cause. Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales, internationales du problème, je considère comme nécessaire que ce recours à l'autodétermination soit proclamé aujourd'hui. Je poserai la question aux Algériens, en tant qu'ils sont des individus. Car, depuis que le monde est le monde, il n'y a jamais eu d'unité, ni à plus forte raison de souveraineté algérienne : Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes de Syrie, Arabes de Cordoue, Turcs, Français ont tour à tour pénétré le pays sans qu'à aucun moment et d'aucune façon il y ait eu un Etat algérien. Quant à la date du vote, je la fixerai le moment venu, mais au plus tard 4 années après la paix revenue : j'entends par là une situation telle qu'embuscades et attentats ne coûteront pas la vie de plus de 200 personnes en un an. Ce critérium permettra de commencer la période où tout devrait être remis en place, où les libertés publiques et individuelles seront rétablies, où la vie normale reprendra, où les prisons et les camps seront vidés, où les exilés pourront rentrer et où la population sera en mesure de prendre conscience de l'enjeu. Je déclare d'avance que j'invite à cette consultation, à assister à cet aboutissement décisif, j'invite les informateurs du monde entier et je leur garantis qu'ils pourront faire leur office sans entrave. Mais, ce destin politique que les Algériennes et les Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ? Comme il est de l'intérêt de tout le monde et comme il est de l'intérêt de la France que la question soit tranchée sans aucune ambiguïté, nous regardons les choses comme elles sont. En fait de destin politique, chacun sait qu'on peut en imaginer trois. Eh bien, les trois solutions concevables seront l'objet de la consultation. Ou bien la sécession où certains croient trouver l'indépendance. Alors la France quitterait les Algériens qui auraient manifesté la volonté de se séparer d'elle ; ils organiseraient sans elle le territoire où ils habitent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement qu'ils souhaitent. Pour ma part, je considère qu'un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux. L'Algérie étant actuellement ce qu'elle est, et le monde ce que nous savons, la conséquence de la sécession serait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, un égorgement généralisé et bientôt la dictature belliqueuse des communistes. Mais il faut que le démon soit exorcisé et qu'il le soit par les Algériens. Car, si par un extraordinaire malheur il devait arriver que telle fut leur volonté, la France cesserait à coup sûr de consacrer tant de valeurs et tant de milliards à une cause sans espérance. Dans cette triste hypothèse, il va de soi que ceux des Algériens de toute origine qui voudraient rester Français le resteraient ; que la France réaliserait, si c'était nécessaire, leur regroupement et leur établissement ; et que toute disposition serait prise pour que l'exploitation, l'acheminement, l'embarquement du pétrole saharien, qui sont l'oeuvre de la France et qui intéressent tout l'Occident, soient assurés, quoiqu'il arrive. Ou bien la francisation complète, telle qu'elle est d'ailleurs impliquée dans l'égalité des droits. Les Algériens pouvant accéder à toutes les fonctions politiques, administratives, judiciaires, entrer dans tous les services publics, bénéficiant en fait de traitement, de salaire, d'assurance sociale, d'instruction, de formation professionnelle, de toutes les dispositions prévues pour la Métropole ; résidant et travaillant où bon leur semble, sur toute l'étendue du territoire de la République ; bref, vivant en moyenne sur le même pied, au même niveau que les autres citoyens et faisant partie intégrante du peuple français qui dès lors s'étendrait effectivement depuis Dunkerque jusqu'à Tamanrasset. Ou bien, le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l'aide de la France et en union étroite avec elle pour l'économie, l'enseignement, la défense, les relations extérieures. Dans ce cas il faudrait que le régime intérieur de l'Algérie fut du type fédéral pour que les communautés diverses : Française, Arabe, Kabyle, Mozabite, etc., qui cohabitent dans le pays y trouvent des garanties de leur vie propre et un cadre pour leur coopération.