Vers la Communauté française, voyage du général de Gaulle à Madagascar et en Afrique

31 août 1958
09m 13s
Réf. 01038

Éclairage

En 1958, la IVe République est paralysée et engluée dans la guerre d'Algérie. Dans le climat de confusion du printemps, le général de Gaulle s'impose comme dernier recours. Face à la situation critique en Algérie, de Gaulle entend accroître sa crédibilité sur le plan international grâce à une décolonisation « maîtrisée » en Afrique, qui permette de maintenir l'influence de la France au sein d'un grand ensemble. C'est en ce sens qu'est élaboré le projet constitutionnel soumis à référendum qui prévoit la création de la Communauté. Mais son contenu suscite des débats. Alors que les leaders des grands partis politiques africains, le Rassemblement démocratique africain (RDA) et le Parti du Regroupement Africain (PRA), militent pour inscrire le droit à l'indépendance, l'avant-projet n'y fait pas référence. Le congrès du PRA s'achève alors le 27 juillet à Cotonou par une revendication d'indépendance immédiate. Le ministre Houphouët-Boigny et chef de file du RDA convainc de son côté de Gaulle de faire droit à l'auto-détermination. Accompagné de Foccart et des ministres Pfimlim et Cornut-Gentille, le Général entreprend alors son voyage entre le 20 et le 29 août afin de clarifier sa position sur l'avenir des territoires africains.

Le reportage des Actualités françaises accompagne les étapes du voyage, avec des séquences similaires destinées à mettre en valeur le triomphe gaulliste en Afrique et le succès attendu au référendum. Chaque escale suit le même enchaînement, depuis l'accueil jusqu'au discours du Général qui précise au fur et à mesure le cadre de la Communauté. Mais les commentaires divergent selon le contexte politique de chaque territoire, tandis que les leaders africains sont plus ou moins mis en évidence selon leur position par rapport au référendum. L'accueil à Tananarive est qualifié de « fiévreux », soulignant en creux les incertitudes quant à la Communauté. L'arrivée du Général soulève en revanche un « enthousiasme débordant » à Brazzaville. Cette étape est l'occasion de réactiver la mythologie gaulliste du redressement national depuis 1940, en convoquant les souvenirs du gouverneur Eboué ou de Radio-Brazzaville. C'est aussi dans cette ville que de Gaulle lève les ambiguïtés du projet. Il mentionne expressément le droit des membres de la Communauté d'accéder à terme à une indépendance négociée ; il ajoute que les territoires qui refuseront la Communauté seront immédiatement indépendants, ce qui signifie la rupture. Enfin, il précise la nécessité de grands ensembles politiques et économiques, ce qui lui permet de rallier les défenseurs des thèses confédéralistes du PRA, notamment Senghor. Si le reportage se focalise lors de ces deux étapes, puis celle d'Abidjan, sur le « glorieux messager », il laisse entrevoir les politiques africains qui se sont déjà positionnés en faveur du projet communautaire, comme Tsiranana, Youlou ou Houphouët-Boigny. Tel n'est plus le cas pour l'étape guinéenne, présentée dans les actualités, mais qui est supprimée dans la version conservée aux archives de la défense, effaçant ainsi le souvenir de la rupture avec Sékou Touré. Lorsque de Gaulle arrive à Dakar, le député Senghor et le vice-président du gouvernement Mamadou Dia sont absents. Ce sont le sénateur-maire Lamine Guèye et le ministre de l'Intérieur Valdodio Ndiaye qui l'accueillent. Le PRA se divise alors entre la coalition menée par Senghor et Lamine Guèye, qui se rallie au oui, et un courant qui refuse l'alternative gaulliste. Face au discours de Ndiaye qui milite pour l'indépendance, l'unité africaine et la confédération et aux revendications d'indépendance immédiate de certains politiques et syndicalistes, qui sont qualifiées de « mots d'ordre extrémistes », de Gaulle réaffirme le choix référendaire : la sécession ou l'association dans la communauté, avec un droit à terme à une indépendance accompagnée.

Bénédicte Brunet-La Ruche