Prisonniers français [muet]

1954
46s
Réf. 01058

Notice

Résumé :

[Document muet] Film vietnamien sans titre, qui est davantage une mise bout à bout de plusieurs bobines de films qu'un montage étudié. Il porte sur le conflit indochinois mené par le Viêt-minh contre les Français de 1946 à 1954, et sur l'affrontement opposant le Viêt-cong aux Américains entre 1954 et 1975.

Type de média :
Date d'événement :
1954
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

Ce document appartient à une série de bobines acquises par Jérôme Kanapa pour l'ECPA (actuels ECPAD) en 1986.

La spécificité de ce document est qu'il associe des films de nature différente.

Tout d'abord, les vues authentiques. Il y en a très peu dans ce document presque exclusivement composé de reconstitutions vietminh. Les trois plans montrant la captivité du général de Castries s'illustrent donc comme une exception. Ces plans sont légérement flous et s'attardent longuement sur le visage du commandant en chef de Diên Biên Phu (il est au milieu de ses hommes, les mains jointes, puis en plan rapproché pour un portrait dans lequel son regard semble s'égarer après avoir fixé la caméra, enfin il apparaît au premier plan d'un plan de demi-ensemble).

Second type de vues présentes dans ce document : les reconstitutions. Elles se subdivisent elles-mêmes en deux catégories : les vues tournées par des opérateurs vietminh dans l'immédiat après-combat et le tournage du cinéaste soviétique Roman Karmen. Les vues tournées par les opérateurs vietminh sont reconnaissables par des effets de mise en scène simplistes et extrêmement stylisés. Comme pour le film La victoire de Diên Biên Phu, on remarque au tout début du document l'utilisation massive de la fumée pour recréer l'ambiance de la défaite. La reddition des prisonniers bénéficie d'un traitement à la symbolique lourde : les prisonniers, utilisés comme figuration réaliste, s'avancent, mains en l'air, lentement, et semblent émerger du brouillard, de l'opacité, comme s'ils regagnaient enfin le monde des vivants, de la lumière. Toute cette mise en scène témoigne d'une reconstitution de l'action. Les visages des prisonniers sont indistincts, mais à leur stature et leur coiffure, on peut relever qu'il s'agit d'Européens, de Maghrébins et de Vietnamiens, diversité conforme (proportions mises à part) à la composition du Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient. De la même manière le panoramique gauche-droite, qui succède aux plans sur de Castries (le désordre du montage prouve qu'il s'agit d'un bout-à-bout de rushes et non d'un document finalisé) et inscrit une colonne de prisonniers à drapeaux blancs à l'écran, est tremblé ce qui prouve que l'opérateur a tourné en caméra-épaule dans des conditions assez rudimentaires qui contrastent avec le mouvement d'appareil parfait que l'histoire du cinéma retient sous le nom de « S » de Roman Karmen. Les plans tournés par le cinéaste soviétique se distinguent de ceux de ces disciples (les opérateurs vietminh qu'il a contribué à former à quelques techniques de prises de vue), dans la mesure où il cadre en plongée et non à hauteur d'hommes. Il y a donc plusieurs « S » dans cette séquence, mais un seul est signé Roman Karmen, les autres sont des répliques réalisées par le Vietminh. Roman Karmen a choisi de tourner depuis une position élevée, un portique qu'il fait construire tout spécialement et sous lequel doivent défiler les prisonniers français. Le cadre se compose selon une trajectoire en zigzag (le fameux « S ») allant du bas gauche de l'écran jusqu'au haut droit, l'ensemble étant progressivement dévoilé par un panoramique vertical. Inlassablement les prisonniers français reprennent leur cortège jusqu'à ce que le documentariste obtienne la fluidité de mouvement et l'esthétique recherchées. Certains mourront d'épuisement à force de répéter ce macabre défilé censé immortaliser la défaite.

Delphine Robic-Diaz