Parcours thématique

Les médias audiovisuels dans la guerre d'Algérie

Sébastien Denis

Avant de commencer à analyser la place des médias audiovisuels dans la guerre d'Algérie, il faut tout d'abord noter que cette fresque INA/ECPAD sur la décolonisation est basée d'une part sur des archives audiovisuelles uniquement (des films et émissions télévisées), et d'autre part sur deux fonds : l'INA et l'ECPAD, soit des archives publiques conservant des productions d'Etat véhiculant un discours toujours plus ou moins orienté par le projet politico-militaire sur l'Algérie en cours au moment de leur production. Aussi, un nombre important de médias ne sont pas représentés dans la sélection qui est faite ici, en particulier la presse (incluant la photographie) et la radio – et notamment les postes périphériques qui émergent à cette période et donnent une information différente de celle de l'Etat. Or ces médias, populaires et peu onéreux, sont en fait les plus importants à l'époque ; c'est souvent par leur biais que les Français et les Algériens ont appris l'évolution de la guerre et de l'état d'esprit des populations et des pays étrangers par rapport à l'Algérie. Le cinéma et la télévision, dont il sera ici question, ont bien entendu eu leur rôle à jouer dans une logique médiatique globale, mais il faut en relativiser la portée. Nous avons décidé toutefois d'évoquer dans ce texte la manière dont les Algériens ont employé à leur profit le cinéma dans la lutte pour l'indépendance, car les choix médiatiques du FLN ont eu des répercussions sur ceux de la France.

La question des publics

Comme dans toute analyse médiatique, la place des publics est centrale dans les images audiovisuelles véhiculées pendant et sur la guerre d'Algérie. La particularité de cette guerre est qu'elle mobilise des publics très différents, beaucoup moins homogènes que quand le seul public métropolitain est visé. De plus, des publics civils et militaires sont impactés. En Algérie, au moins quatre types de spectateurs peuvent être définis : « musulmans » citadins, « musulmans » ruraux, « Européens » et militaires (qu'ils soient métropolitains ou algériens). Au même moment, en France métropolitaine, différents publics existent aussi, mais il est difficile de définir des spectateurs-types pour les films relatifs à l'Algérie. Seules les actualités filmées et le journal télévisé pouvaient être vus par (presque) tout le monde lors des projections payantes ou par le biais de la télévision ; quant aux projections de courts métrages de propagande sur l'Algérie, elles étaient presque inexistantes dans le réseau commercial, et il faut donc noter l'importance prise, tout comme en Algérie, par les projections non commerciales. Si, comme le note Roger Odin, il faut prendre en compte les « usages du cinéma » et « tenir compte de ce qui se passe dans l'espace social » pour définir les éléments constitutifs du « champ cinématographique », la situation du cinéma « algérien » de la France et de ses publics éventuels est particulièrement complexe. Celle de la télévision l'est aussi, puisque l'Etat va développer, parallèlement à la France métropolitaine, des infrastructures pour la télévision en Algérie, même si les elles restent beaucoup moins étendues qu'en métropole, rendant nécessaire la poursuite des projections cinématographiques.

Surtout, il existe en Algérie même durant la guerre de nombreux publics captifs, qui ne viennent pas forcément de leur plein gré aux séances organisées, qu'il s'agisse des populations algériennes (notamment par le biais des Compagnies de haut-parleurs et tracts - auxquelles un film est dédié, voir ci-dessous - qui diffusent parfois des films centrés sur des régions très précises comme La vallée de la Mekarra) ou des soldats (pour des actualités filmées ou pour des films d'instruction qui leur sont réservés - voir ci-après le film Contre-guérilla).

Les Compagnies de hauts-parleurs et tracts

Les Compagnies de hauts-parleurs et tracts

Présentation des compagnies de hauts-parleurs et de tracts (CHPT), nouvellement créées pour rallier les populations et les rendre fidèle à la France. Cet outil d'information audiovisuelle de l'armée s'inscrit dans le cadre de la guerre psychologique et fait partie du 5e Bureau.

23 nov 1957
09m 40s
La vallée de la Mekarra

La vallée de la Mekarra

Au coeur de l'Oranie, dans la Vallée de la Mekarra à Sidi-Bel-Abbès, l'armée française met en place des activités médico-sociales : développement d'établissements sanitaires, formation professionnelle agricole des jeunes.

20 déc 1957
15m 22s
Contre-guérilla

Contre-guérilla

Film d'instruction. Entraînement : accrochage et et réduction de l'adversaire.

04 avr 1957
15m 20s

Ces publics, très différents on le voit, bénéficient tous de projections non-commerciales, mode de diffusion déjà noté, très important pour les films de propagande puisque les discours qu'ils diffusent servent à légitimer l'action des pouvoirs civils et militaires - les publics ne supporteraient donc pas de payer pour les entendre.

Le cinéma, des actualités à la propagande

Nous avons décidé ici de ne pas faire de différence fondamentale entre les films civils et militaires produits pendant et sur la guerre d'Algérie, en tout cas dans le domaine de la propagande. En effet, de nombreux films civils ont été réalisés avant la guerre d'Algérie sur l'Algérie coloniale (voir le document Askri - Anciens combattants algériens), et à partir de fin 1958 (après l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir) de nombreux films civils ont à nouveau été réalisés sur l'Algérie française.

 Askri - anciens combattants algériens

Askri - anciens combattants algériens

Ce film consacré aux anciens combattants algériens propose une rétrospective des combats les plus importants auxquels ils ont participé lors de la Seconde Guerre mondiale. Il expose ensuite, à travers l'exemple de quelques vétérans, les droits qu'ils ont acquis : licences spéciales pour ouvrir des cafés ; décorations militaires ; pensions de guerre ; dispensaires et centres pour invalides et mutilés ; école militaire pour leurs enfants.

1952
12m 25s

Seule la période 1956-1958 n'a été couverte que par des productions militaires issues du Service cinématographique des armées (SCA), avec une dépendance directe au bureau d'action psychologique d'Alger qui prendra fin à l'arrivée du général de Gaulle (le SCA dépendra alors aussi de la Délégation du gouvernement en Algérie). Pourtant, même ces productions spécifiquement militaires doivent en fait beaucoup à l'imaginaire colonial précédent ; sous de Gaulle elles restent essentiellement tributaires de la ligne politique du général. Deux types de documents sont employés durant la guerre d'Algérie : les actualités cinématographiques (civiles et militaires) et les films de propagande (voir par exemple Autour du drame algérien  ; Képi bleu  ; ou L'armée et le drame algérien).

 Autour du drame algérien

Autour du drame algérien

Ce film à charge relate les "événements algériens" du point de vue des autorités françaises. Contient des images de cadavres pouvant être choquantes.

déc 1957
13m 57s
Képi bleu

Képi bleu

Le képi bleu : surnom donné aux officiers SAS (Section administrative spécialisée) engagés dans l'opération de "pacification" menée par l'armée française en Algérie. Présentation de sa mission : le rôle du képi bleu est d'établir le contact, de "fraterniser" avec la population en difficulté. Il effectue une tournée dans divers villages, accompagné d'un harki et si besoin d'infirmières.

09 mar 1957
24m 06s
L'armée et le drame algérien

L'armée et le drame algérien

Film sur l'action anti-subversive et les activités de l'armée au profit des populations en Algérie.

04 fév 1957
14m 49s

Dans les faits, cette distinction est quelque peu inopérante, puisque les actualités cinématographiques peuvent être elles-mêmes considérées comme des outils de propagande, que ce soient les Actualités françaises, société d'Etat (voir par exemple les sujets En Algérie, scènes de la pacification ; Arrestation de dirigeants du FLN ; ou L'opération "Jumelles" continue), les actualités militaires dédiées aux soldats, ou les actualités Pathé, Gaumont, Eclair..., qui acceptent régulièrement que l'Etat leur achète des sujets sur l'Algérie, jetant ainsi la suspicion sur ce type de production.

 En Algérie, scènes de la pacification

En Algérie, scènes de la pacification

L'action de l'armée dans les régions isolées administrées par les sections administratives spécialisées, les SAS.

23 mai 1956
01m 21s
 Arrestation de dirigeants du FLN

Arrestation de dirigeants du FLN

Arrestations par les parachutistes du général Massu de deux membres du FLN pendant l'opération de démantèlement du réseau algérois du FLN dite "bataille d'Alger".

06 mar 1957
32s
 L'opération "Jumelles" continue

L'opération "Jumelles" continue

Le premier ministre Michel Debré visite la casbah d'Alger, puis il se rend en Kabylie où le général Challe mène l'opération "Jumelles" contre le FLN.

12 aoû 1959
01m 20s

La fiction n'est par ailleurs pas rare dans cette production « documentaire », mais elle ne s'affiche pas comme telle : à l'intérieur des « documentaires » ou des actualités, il est très fréquent que des séquences entières soient scénarisées et jouées par des soldats ou des villageois, mais sans répondre directement à un scénario fictionnel (sauf cas exceptionnel comme le film Histoire d'un village ou le film d'instruction Contre-guérilla, par exemple).

Histoire d'un village

Histoire d'un village

Après l'enlèvement d'un villageois, les habitants de ce village décident de s'organiser en autodéfense avec l'aide de l'Armée. Distribution des fusils, entraînement.

03 mar 1961
18m 22s
Contre-guérilla

Contre-guérilla

Film d'instruction. Entraînement : accrochage et et réduction de l'adversaire.

04 avr 1957
15m 20s

Par contre, il est vrai que les films de long métrage de fiction portant sur l'Algérie pendant la guerre ont été très rares, et souvent censurés ; même des projets dont les scénarios étaient favorables à l'armée et à l'Algérie française n'ont pu voir le jour faute d'une précensure de la part des militaires ou des pouvoirs civils. Quant à la propagande, elle va rapidement évoluer grâce à la télévision de manière à donner une image moins empesée et plus réactive de l'action de la France en Algérie.

La télévision et le pouvoir

Ce n'est pas le général de Gaulle qui a initié l'emploi de la télévision pendant la guerre d'Algérie. Guy Mollet, bien avant lui, avait initié un usage politique de ce nouvel outil de communication, et plusieurs émissions intéressantes existent donc avant 1958 qui évoquent les « événements d'Algérie ». Toutefois, il est vrai que le général de Gaulle a su faire de la télévision, comme avec la radio lors de la Seconde Guerre mondiale, une arme de combat au service de ses propres convictions (voir la fresque Ina consacrée aux paroles publiques du général ).

La télévision est très surveillée par le pouvoir politique, et en plus des discours nombreux du général de Gaulle à la télévision en différentes occasions, parfois dramatiques (comme le putsch des militaires d'avril 1961), d'autres émissions rendent compte d'un traitement de la guerre d'Algérie et de ses retombées en métropole. Il y a bien sûr le journal télévisé, dont les conducteurs et les textes sont vérifiés ; mais il existe aussi des émissions spéciales, des débats par exemple, qui permettent de donner au spectateur des informations (toujours « autorisées ») sur l'Algérie. Il y a enfin cette émission toute nouvelle qu'est Cinq colonnes à la Une, qui s'ouvre en janvier 1959 par un sujet sur le Sergent Robert [1] et contiendra de nombreux autres sujets sur l'Algérie, permettant de donner aux spectateurs la position du général de Gaulle (plus encore que de son gouvernement) sur le plan Challe puis sur la fin de l'Algérie française.

[1] Voir le sujet sur le sergent Robert sur Lumni Enseignement

 Que pense l'armée d'Algérie ?

Que pense l'armée d'Algérie ?

Après la semaine des barricades à Alger en janvier 1960 réclamant une Algérie française, et alors que le général de Gaulle, chef de l'État, vient d'achever sa "tournée des popotes" en Algérie, reportage auprès des troupes françaises cantonnées en Kabylie dans la région de Bejaïa (Bougie) du 24 au 29 février 1960.

11 mar 1960
23m 59s
 Algérie : qu'en pense le bled ?

Algérie : qu'en pense le bled ?

Reportage en Kabylie à la veille du referendum sur l'autodétermination et depuis la disparition du principal dirigeant des maquis, Amirouche, en mars 1959.

06 jan 1961
14m

La télévision a pour elle, du fait de la supposée neutralité des journalistes, de donner à voir une propagande « allégée » en effets de mise en scène mais néanmoins toujours porteuse des travers de la propagande : l'argumentation orientée au service du pouvoir. Les images du réel issues de la télévision semblent plus « directes », moins médiées que celles du cinéma de propagande, même si dans les faits il n'en est rien. Les « relations publiques » qui sous-tendent cette nouvelle manière de faire sont toujours une forme de propagande politique. Dans le cas de la guerre d'Algérie la télévision est un bon moyen d'éviter d'utiliser les moyens audiovisuels contrôlés par les militaires d'Alger, même s'ils dépendent à partir de fin 1958 du pouvoir civil autant que du pouvoir militaire. C'est aussi un bon moyen de réagir plus rapidement à la propagande du FLN.

Les Algériens et la politique des images

Nous rappelons ici pour mémoire l'existence de films qui, s'ils ne peuvent pas intégrer cette fresque, ont néanmoins été importants dans la construction d'un imaginaire de guerre de plus en plus favorable aux Algériens. Si ces derniers ont perdu la guerre d'Algérie militairement, ils l'ont gagnée sur le plan diplomatique et médiatique, ces deux éléments étant indubitablement liés. En effet, le FLN, dès 1956, crée une représentation à l'ONU qui va prendre une importance de plus en plus grande, surtout après la création du GPRA en 1958, dans la marginalisation de la France au niveau international. Deux archives issues des Actualités françaises (La question algérienne à l'ONU, discours de M. Pineau) et du journal télévisé (Discours de M. Couve de Murville à l'ONU) permettent de voir deux ministres des Affaires étrangères défendre la position de la France sur l'Algérie contre l'ensemble de l'ONU, position défensive sans efficacité après les accords de Bandoeng et la valorisation par l'ONU du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

 La question algérienne à l'Onu : discours de M. Pineau

La question algérienne à l'Onu : discours de M. Pineau

A l'ONU, le ministre des Affaires étrangères Christian Pineau répond aux délégués des pays socialistes - soutiens du FLN - sur la question de la décolonisation en Algérie.

13 fév 1957
48s
 Discours de M. Couve de Murville à l'Onu

Discours de M. Couve de Murville à l'Onu

Déclaration du Ministre des Affaires Etrangères Maurice Couve de Murville devant l'Assemblée Générale de l'ONU, qui a inscrit la question du conflit algérien à son ordre du jour.

01 oct 1959
02m 24s

Le FLN a également bénéficié de l'appui des pays proches, à commencer par la Tunisie et le Maroc, rendus indépendants en 1956, et de l'Egypte qui diffuse alors à travers Nasser une forme puissante de panarabisme contre lequel tente de lutter la propagande française (voir Le monde libre et l'Egypte).

Le monde libre et l'Egypte

Le monde libre et l'Egypte

Film à charge contre Nasser et sa politique, après l'échec de l'expédition franco-britannique de Suez.

02 jan 1957
16m 54s

Les émissions du poste « La voix des Arabes » sont suivies avec ferveur en Algérie, malgré les brouillages radio des Français. Il existe également un cinéma de propagande en faveur du FLN, et plus généralement du peuple algérien, à travers des films de courts métrages réalisés par des militants français comme René Vautier, Cécile Decugis ou Yann Le Masson, ou des films de long métrage produits en Egypte ou en Allemagne de l'Est pour défendre la cause du FLN. C'est justement l'usage particulièrement efficace des médias (presse, photographie, cinéma, radio...) par le FLN au niveau international qui a poussé le général de Gaulle, après son arrivée au pouvoir, à développer des contre-attaques médiatiques de grande ampleur (notamment aux Etats-Unis) grâce à des spécialistes français formés aux Etats-Unis et conscients de la qualité de la propagande du FLN.