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Patrice Chéreau présente Lulu d'Alban Berg

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 15 avr. 1979

Interviewé par le journaliste Jean-Michel Damian suite à la retransmission en direct d'une représentation de Lulu d'Alban Berg, le metteur en scène Patrice Chéreau justifie ses choix scénographiques et explique sa méthode de travail.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
15 avr. 1979
Production :
INA
Page publiée le :
23 sept. 2008
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001235

Contexte historique

Par Stéphane Ollivier

Avec Arnold Schoenberg (1874-1951) et Anton Webern (1883-1945), Alban Berg est le troisième grand représentant de la fameuse École de Vienne qui au début du XXe siècle révolutionna le discours musical en rompant avec le système tonal pour imposer progressivement les concepts de musique atonale, de dodécaphonisme et de musique sérielle. Ces langages complexes aux confins de l'abstraction pure eurent une influence considérable sur l'évolution de la musique savante occidentale contemporaine.

Né à Vienne le 9 février 1885, Alban Berg, passionné de musique et de poésie depuis l'adolescence, rencontre Arnold Schoenberg en 1904 qui devient rapidement son professeur, son mentor et son ami. Les premières œuvres du jeune compositeur, résolument atonales (la Sonate pour piano en 1908 ; le Quatuor Op.3 ), portent la marque de l'influence de son aîné mais Berg dés 1914 en composant les Trois pièces pour orchestre Op.6 révèle une sensibilité personnelle, ouvrant les structures formelles les plus rigoureuses de la nouvelle école à un lyrisme ancré dans la tradition romantique. Son opéra Wozzeck, composé la même année d'après l'œuvre de Georg Büchner, cristallise magistralement cette synthèse en mettant en œuvre toutes les techniques de chant (du bel canto au parler pur en passant par le sprechgesang mis au point par Schoenberg dans son Pierrot lunaire ).

Cette œuvre lyrique et dramatique, résolument moderne et d'une grande complexité structurelle, s'impose d'emblée comme un classique du répertoire allemand et ouvre une période faste dans la carrière du compositeur. Le Concerto de chambre pour piano, violon et instruments à vents (1925), œuvre hybride mêlant langage tonal, séquences atonales et épisodes dodécaphoniques, et la Suite lyrique créée en 1927, pièce pour quatuor à cordes obéissant aux lois sérielles tout en mettant en œuvre une grande variété de timbres et de modes de jeu, sont les grands chef-d'œuvres de ces années d'expérimentation formelle.

A partir de 1928 Alban Berg composera encore quelques œuvres majeures comme son Concerto de violon "A la mémoire d'un ange" mais l'essentiel de son temps est alors consacré à l'élaboration de son second opéra Lulu, œuvre ambitieuse et syncrétique cherchant à réaliser la synthèse définitive entre langage tonal et techniques sérielles. Berg n'aura malheureusement pas l'occasion d'assister à la création de cette oeuvre dramatique de vaste dimension aux structures entièrement sérielles (tous les épisodes musicaux sont dérivés d'une série de 12 sons représentant le personnage de Lulu, femme fatale et ambiguë, à la fois bourreau et victime) mais profondément marquée par l'expressionnisme viennois contemporain : il meurt d'une septicémie le 24 décembre 1935 avant d'avoir pu mettre un terme à l'orchestration du 3e acte.

Éclairage média

Par Stéphane Ollivier

Opéra de fait inachevé (seules les 268 premières mesures sur les 1326 composant l'Acte 3 sont orchestrées à la disparition du compositeur), Lulu fut créé en 1937 tel qu'Alban Berg l'avait laissé. Pendant plus de 40 ans, cette "version originale", certes historique mais tronquée et n'offrant au public qu'une intelligibilité réduite de l'oeuvre, fut la seule autorisée par la veuve du compositeur. Pourtant le compositeur et chef d'orchestre autrichien Friedrich Cerha (1926), fasciné par Lulu et convaincu que l'œuvre était "un organisme vivant autonome" ne prenant toute son envergure que perçue dans sa totalité, entreprend dès 1962 d'orchestrer les parties inachevées par Berg.

L'existence de cette version "complétée" ne fut révélée qu'en 1976, à la mort d'Helen Berg, et très vite, la décision fut prise d'en donner une représentation. C'est le couple Pierre Boulez-Patrice Chéreau, alors tout auréolé de son triomphe à Bayreuth pour sa version révolutionnaire de la Tétralogie de Wagner (1976-1980), qui fut choisi pour cette restauration. En fait de restauration ou de "renaissance", c'est bien plutôt à la véritable "création" de Lulu d'Alban Berg qu'assistèrent le 24 février 1979 les spectateurs privilégiés de l'Opéra de Paris. Rendue à sa structure initiale par le génie de Cehra et l'extraordinaire acuité d'interprétation de Boulez, l'œuvre pour la première fois se déployait dans toute sa richesse, tant musicale que dramatique, prenant place parmi les grandes pièces lyriques du siècle. Mais c'est peut-être le travail innovant du metteur en scène Patrice Chéreau, persistant dans son entreprise de déconstruction des codes de représentations scéniques de l'opéra, qui une nouvelle fois attire le plus l'attention et les commentaires controversés de la presse. Guère étonnant dès lors qu'au terme de la représentation du 15 avril 1979, captée et diffusée en direct par la télévision, ce soit lui l'invité du journaliste Jean-Michel Damian. Justifiant ses choix de mise en scène jugés trop "conceptuels" et iconoclastes par certains (notamment la transposition de l'action de la fin du XIXe siècle, époque où est sensé se dérouler le drame, aux années 30 durant lesquelles Berg composa la partition), Chéreau insiste sur la nécessité de rendre compte d'un point de vue scénographique et visuel du caractère transgressif et novateur de l'œuvre, mais aussi sur la présence d'éléments stylistiques propres à la partition (notamment une "valse anglaise" aux accents de ragtime), l'ancrant définitivement dans l'atmosphère culturelle du temps de sa composition.

Célèbre pour avoir réinvesti le jeu du comédien dans la dramaturgie opératique en demandant aux interprètes de construire psychologiquement leurs personnages, Chéreau par cette remarque donne de précieuses indications sur sa méthode de travail, induisant qu'en dernière instance, dans un opéra, la musique prime toujours sur le théâtre et décide pour une grande part des orientations de mise en scène. Aussitôt le spectacle fut considéré comme un événement culturel de première importance.

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