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Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely évoquent leur travail commun

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 26 mars 1967

En 1967, les sculpteurs Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle vont être exposés au pavillon français de l'exposition internationale de Montréal. À cette occasion, une rencontre est organisée dans leurs ateliers respectifs pour qu'il y expliquent leurs démarches personnelles et leurs projets communs.

Niveaux et disciplines

Ressources pédagogiques utilisant ce média

  • Niveaux: Cycle 3

    L’art in situ

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
26 mars 1967
Production :
INA
Page publiée le :
26 nov. 2013
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001533

Contexte historique

Par Alexandre Boza

Issue d'une famille de la bourgeoisie de Neuilly, Niki de Saint Phalle (1930-2002) ne se destine pas à une carrière artistique. Mais elle se rebelle contre son milieu, pose comme mannequin et fait la couverture de Life Magazine, Vogue et Harper's Bazaar. Proche des milieux artistiques, Niki de Saint Phalle commence une carrière de manière autodidacte.

Elle travaille avec les encouragement de Jean Tinguely (1925-1991) qu'elle a rencontré en 1955. Lui a été formé à l'École des Beaux-Arts de Bâle. Dans la lignée des constructivistes, il se passionne pour les relations entre l'art et les machines. Il a déjà produit des tableaux en relief animant des mécanismes (Méta-Malévitch, 1954) et rapidement abandonné le support du cadre pour des machineries.

Niki de Saint-Phalle cherche son style. Sous l'influence de Dubuffet puis de l'abstraction et du pop art américain, elle réalise des tableaux-assemblages comme Portrait of my Lover (1961) : une chemise est surmontée d'une cible sur laquelle les spectateurs sont invités à jeter des fléchettes. Elle conçoit ensuite une série d'installations, les Tirs à la carabine (1961-1963) où le spectateur est cette fois-ci invité à tirer sur des ballons remplis de peinture qui maculent des reliefs en plâtre ou des objets de récupération. Le geste créateur de l'artiste est au centre du questionnement du mouvement des Nouveaux Réalistes en 1960 à Nice qui rassemble, autour de Pierre Restany, Yves Klein, Ben, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely.

À partir de 1965, Saint Phalle questionne le bon goût et provoque dans une série de sculptures de plâtre représentant des mariés, des accouchements et des prostituées. En collaboration avec Tinguely, elle réalise en 1966, pour le Moderna Museet de Stockholm, une immense sculpture de 28 mètres de haut et de 6 tonnes, Elle (Hon).

Elle propose également des séries de femmes allègres et obèses, les Nanas ou les Vénus, en plâtre ou en tissu tendu sur une grille, peintes dans des assemblages de couleurs vives. Le caractère décoratif de ces œuvres, au-delà de la provocation, en assure le succès international.

Tinguely de son côté, toujours hostile à la fixité de l'œuvre d'art, développe tout un dispositif de machineries auto-destructives faites de ferrailles diverses (Hommage à New York, 1960). Le happening est son mode privilégié d'intervention artistique.

Saint Phalle et Tinguely collaborent régulièrement. Le Cyclop est une vaste machinerie de Tinguely et de Luginbühl réalisée à Milly-la-Forêt (Essone) entre 1969 et 1994, mais la paroi en miroirs brisés et l'œil unique ainsi que l'aspect monstrueux viennent de l'univers de Niki. Ils réalisent également de nombreuses Fontaines-Spectacles, notamment la Fontaine Stravinsky (1983) près du Centre Georges Pompidou : Tinguely construit des machineries tournantes, sifflantes et tapantes tandis que Niki apporte la couleur et la lumière avec ses mosaïques en miroir. Elle développe le même discours plastique liant le magique et l'imaginaire de la Renaissance en Toscane dans le Jardin des tarots (1978-1998). En 1991, à la mort de Tinguely, Niki de Saint Phalle fait la synthèse des deux œuvres en composant sa première sculpture cinétique, le Méta-Tinguely, qui marque le début des « Tableaux éclatés », tableaux-sculptures animés par des moteurs.

Un espace commun leur est consacré à Fribourg.

Éclairage média

Par Alexandre Boza

L'extrait s'ouvre sur la cour de l'atelier de Jean Tinguely à Soisy-sur-École (« Tinguerly » dans le commentaire) et les œuvres mécaniques qui ont été choisies avec celles de Niki de Saint Phalle pour la terrasse supérieure du pavillon suisse de l'Exposition Internationale de Montréal en 1967.

Les deux « jeunes artistes » nous sont présentés au travail : Tinguely soude dans la cour de son atelier et Saint Phalle peint des plâtres monumentaux dans le sien, à Paris, « où travaille toute une équipe ».

Niki de Saint Phalle explique, à la demande d'Adam Saulnier, que les sculptures sont taillées dans le polystyrène au fil chaud. Le polystyrène expansé étant composé de billes et résultant de la chimie des hydrocarbures, il réagit comme le plastique au chauffage et peut ainsi être moulé et découpé aisément. Il remplace en cela les matériaux plus nobles que sont la pierre, le fer et le bois en offrant une légèreté et une malléabilité très grandes. Les sculptures sont ensuite recouvertes de polyester et de laine de verre pour les solidifier et les rendre « aussi dures que des rochers ».

Le reportage alterne au montage les images des deux ateliers, soulignant la communauté de vue au-delà de la distance géographique qui sépare les deux artistes. La transition posée par le reportage est intéressante : les nanas sont des rocs et les machines de Tinguely sont « beaucoup moins solides ». Cette lecture est plus stimulante que l'évidence qui consiste à signaler le mouvement des machines de Tinguely par rapport à l'immobilité des sculptures monumentales de Saint Phalle.

L'opposition entre statisme des œuvres de l'une et dynamisme des œuvres de l'autre est d'ailleurs nuancé par Tinguely qui voit dans la nana un moyen de « se brancher à un courant d'ambiance dans l'opinion publique ». Les images révèlent par ailleurs une des sculpture de Saint Phalle mobile sur son socle, dans une position de danse dont la légèreté tranche avec la massivité de son volume.

Niki de Saint Phalle présente avec « un grand enthousiasme » les oppositions (ou les complémentarités) qui structurent la relation entre les œuvres de Tinguely et les siennes. « C'est une collaboration qui, je trouve, va très loin pour nous deux dans le sens qu'elle n'est pas seulement une chose pour nous, mais qu'elle va au-delà de ça. C'est une rencontre dans laquelle la collectivité pourra retrouver ses propres rêves. Pour moi, mes sculptures représentent le monde de la femme, amplifié. La folie des grandeurs des femmes. La femme dans le monde d'aujourd'hui, la femme au pouvoir. En face des sculptures, il y aura les machines agressives, menaçantes de Tinguely qui représentent le monde de l'homme. Le monde des femmes, nous sommes presque colonisées par ces machines, c'est notre problème parce que nous vivons dans un monde dans lequel nous avons inventé aucune de ces choses. Ça représente aussi la nuit contre le jour. Ça représente les éléments mythologiques, les rêves, les aspirations de l'homme contre les machines agressives qui nous fait continuer nos découvertes, qui continuent le monde. » L'idée de reconstruire le monde se trouve dans cet ensemble : les rondeurs des nanas viennent opposer leur monde sensuel aux machines métalliques de Tinguely, comme ces lames qui tournent sur elles-mêmes.

De son côté, Tinguely explicite sa proposition plastique : « comment en quelque sorte reclasser l'oeuvre d'art dans le contexte peut-être très complexe de notre époque industrielle, automatique ? Comment faire fonctionner une œuvre d'art psychologiquement de nouveau avec des moyens simples face à un public qui lui est très gâté, soit par le fait que l'image est devenue une image animée, l'image n'est plus simplement une photo, c'est la télévision, c'est le cinéma, c'est le mouvement du public lui-même qui se déplace en nombre, en bagnole, qui est véhiculé, qui travaille avec des machines. Alors ses intérêts, ses sensations sont plus les mêmes que les sensations d'un public d'il y a, disons, cinquante ans. Ca s'est transformé, nous vivons autrement. Alors il était peut-être intelligent de réfléchir un peu à comment faire fonctionner les œuvres d'art dans cette époque tellement dynamique ». Il en fournit un exemple avec son œuvre Requiem pour une feuille morte. Présentée en 1967, cette "métamachine" associe courroies et poulies pour au final agiter une petite feuille, une absurdité qui questionne l'obsession depuis le début du XXe siècle pour le mouvement et la vitesse.

En toile de fond des œuvres se posent chez les deux artistes des questions sur la modernité qui peuvent expliquer leur succès. Pour Tinguely encore, la nana « n'est pas seulement une sculpture, c'est déjà un mythe comme idée ».

Cela éclaire également le choix de la France de les proposer à l'Exposition Universelle, miroir des questions humaines et reflet des progrès humains. Le thème retenu pour l'exposition de 1967 à Montréal est « Terre des hommes » (Man in his World) et elle doit célébrer le « génie humain ». La collaboration entre Saint-Phalle et Tinguely en est une illustration, car elle les « amène tous les deux à faire mieux, à faire nouveau avec des matériaux nouveaux. On gagne, on en sort vainqueur chacun pour soi. [...] Il y a confrontation et cette confrontation nous aplatit pas, au contraire nous rehausse, nous amène à [...] une marche de l'escalier plus haut ».

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