Georg Baselitz met en relation son travail et les portraits de Cézanne

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 21 oct. 1996

Dans un entretien accordé à Laure Adler, l'artiste allemand Georg Baselitz propose une analyse de l'une de ses œuvres. Il la connecte à l'oeuvre de Cézanne, pas comme une filiation, mais comme une manière de penser le portrait.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Le Cercle de minuit
Date de diffusion du média :
21 oct. 1996
Production :
INA
Page publiée le :
26 nov. 2013
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001545

Contexte historique

Par Alexandre Boza

Georg Baselitz, né Hans-Georg Kens en 1938 à Deutschbaselitz (d'où son pseudonyme), est un plasticien allemand et une des grandes figures de l'art contemporain. Il appartient à une génération d'artistes qui dans les années 1960 refusent les normes artistiques de l'époque et proposent une alternative artistique.

Inscrit en 1955 à l'École supérieure d'arts plastiques de Berlin-Est, Baselitz en est renvoyé pour « manque de maturité sociopolitique ». Il quitte Berlin-Est pour l'Ouest et fréquente un temps l'École des beaux-arts de Berlin-Ouest. Il voyage, notamment à Amsterdam où il découvre des œuvres de Chaïm Soutine, se marie et réalise ses premiers travaux.

L'artiste rédige avec Eugen Schönebeck les deux manifestes du Pandemonium, écrits à la plume et agrémentés de dessins. Volontiers blasphématoires, les jeunes artistes y revendiquent la rupture avec la société bourgeoise à la manière des surréalistes car « l'artiste n'a de responsabilité envers personne. Son rôle social est asocial. Sa seule responsabilité réside dans sa position face au travail qu'il accomplit ». Ils refusent de faire école et font de la singularité une façon d'être et de travailler. En 1963, lors de sa première exposition personnelle à Berlin-Ouest dans la galerie Werner, deux de ses œuvres violentes et provocatrices, dont La Grande Nuit dans le seau (rebaptisée La Grande Nuit foutue), sont interdites pour « représentations obscènes dans un lieu public ». Les journaux se déchaînent contre lui, évoquant des « cochonneries peinturlurées », mais le tribunal lui donne raison : ses œuvres lui sont restituées.

Entre 1965 et 1969, l'artiste réalise plusieurs séries : les Héros, les Fractures et les Bûcherons, des portraits brutaux où les figures sont morcelées et divisées pour désorienter le public et mettre à mal le genre lui-même. En 1969, il fait le geste radical de retourner ses motifs car « l'objet peint à l'envers, est utilisable pour la peinture, parce qu'il est inutilisable en tant qu'objet ». Cette radicalité devient sa marque et le signe de sa résistance à l'art conceptuel, alors en vogue.

Georg Baselitz investit la tradition de la peinture figurative mais fait le choix d'un réalisme expressif et excessif par la violence de ses couleurs. La peinture est pour lui matérielle, il travaille ses tableaux de grandes dimensions au sol, en couches épaisses à la touche très visible. La toile est une surface peinte dont il efface la perspective, la profondeur pour des motifs qui occupent toute la surface : un nu féminin accroupi (1977), une femme lisant (1978), un aigle (1978), deux personnages féminins à vélo (1981). Mais ces motifs sont prétextes à composition et choix de couleurs. Ce qui est intéresse Baselitz est la peinture, pas le sujet car « l'art ne contient aucune information, au moins pas plus qu'il n'en a jamais contenu. Il ne peut être utilisé pour rien d'autre que pour être regardé ».

Georg Bazelitz travaille avec une grande liberté formelle. En 1989, il réalise vingt panneaux intitulés 45', qui renvoient à l'Allemagne détruite et vaincue en 1945. Cet ensemble est réalisé avec une nouvelle technique qui mêle huile et détrempe sur bois travaillé au rabot. Depuis la fin des années 1970, Baselitz s'est également fait graveur et sculpteur. Il travaille surtout le bois à la hache et à la scie. Son Modèle pour une sculpture (1980) fait scandale pour sa forme primitive sans élégance et pour le poing levé de sa figure qui sonne comme une citation du nazisme.

La reconnaissance lui vient en 1999 lorsque deux toiles lui sont commandées pour le Reichstag. Il entame alors une série où il reprend et détourne des œuvres du réalisme socialiste russe. Si le retournement reste, le style est moins brutal et chargé, plus décoratif.

Éclairage média

Par Alexandre Boza

Georg Baselitz présente à Laure Adler les œuvres qui sont dans son atelier. Toutes sont des figures retournées aux couleurs vives, posées à même le sol. Parmi elles, il insiste sur un portrait de sa mère sur fond vert qu'il a réalisé en Italie.

L'émission donne le temps à Baselitz d'expliquer son processus de création. Il est ainsi parti d'une photo de sa mère où elle est « assise derrière une table, donc on voit un buste ». De cette image simple il tire une analyse qui va dans trois directions repérables : son rapport intime à la peinture, la question de l'érudition dans l'art contemporain et l'enjeu de la citation dans les arts plastiques.

Sur la place de sa mère dans sa vie, Georg Baselitz ne va pas très loin, mais le portrait qu'il fait donne une impression de contradiction. D'un côté c'est un portrait au trait marqué, à la brutalité caractéristique du travail de l'artiste. En même temps, il n'évoque pas ses sentiments, simplement son ambition visuelle : « j'ai peint ce portrait et moi je voulais que ma mère soit en train de broder. Elle est en train de broder un motif allemand, des cerfs sur mon tableau ». Mais ce choix n'est pas anodin pour un plasticien qui a toujours voulu faire une peinture allemande, dégagée de l'approche acontextuelle de l'art allemand. La tension entre le portrait dont il pense les détails et le fait de retourner la figure pour la neutraliser devient évidente.

Ensuite, Georg Baselitz répond sans le dire explicitement à une critique récurrente contre l'art contemporain. Il est reproché aux artistes de ne pas donner assez de place à la belle manière et de ne pas être héritiers du talent de la peinture classique et moderne. La critique rappelle le « peinturlurage » dont Baselitz est accusé en 1963. Mais dans l'entretien, l'artiste démontre au contraire sa claire conscience de l'histoire de l'art et de ses influences : « Je savais qu'il y avait [...] quelque chose sur la tête de Madame Cézanne. Je savais que c'était un bandeau ou une coiffure, une coiffe. Et je me rappelle aussi la position des mains. Ca voulait pas forcément dire quelque chose, ça voulait pas dire que Madame Cézanne faisait quelque chose avec ses mains, mais c'est la position d'une femme pieuse, d'une femme religieuse. [...] De retour d'Italie, j'ai vérifié dans une bibliothèque ce qu'il en était des tableaux de Cézanne, et dans pratiquement tous les portraits, il a cette position. Non seulement sa femme, les portraits de sa femme, mais les portraits de jardiniers, et ce n'est pas que ces mains fassent quelque chose, mais les deux mains sont proches l'une de l'autre comme des personnages pieux assis dans une église. » Il propose une analyse pénétrante de l'oeuvre de Cézanne, témoignant de son propre recul et de sa culture artistique.

Baselitz dit : « je n'ai pas un lien très intense avec la peinture de Cézanne, je trouvais ça intéressant que Madame Cézanne ce soit devenu ma mère », il ramène à lui toute une tradition de la citation dans l'art. Il connecte ainsi l'art contemporain aux autres périodes et à ce qu'il est : la recherche renouvelée de la forme en partant sur des sujets qui restent assez intangibles. On peut penser au Déjeuner sur l'herbe peint par Edouard Manet en 1863 qui fait référence au Concert champêtre du Titien peint en 1508-1509 ou à la Partie carrée de Watteau en 1713. Le motif est ensuite plus directement repris par Claude Monet en 1865, Pablo Picasso en 1961, Alain Jacquet en 1964. Il s'agit à la fois d'un hommage, ce que ne revendique pas pour lui Baselitz, et une manière de travailler la technique : « pour peindre ce tableau j'avais besoin d'un portrait en pied, donc il a fallu que j'invente le bas, et je n'avais encore jamais fait ça [...]. J'ai eu sous les yeux le Portrait de Madame Cézanne fait par son mari et il a donc fallu que je réfléchisse à cette deuxième moitié de portrait pour peindre la mère ». Lorsqu'on lui cherche des affinités, c'est plutôt vers Dubuffet, Chaissac, Munch, Nolde qu'il faut se tourner.

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