Les racines du ciel de Romain Gary

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 19 déc. 1956

Entretien de Romain Gary dans Lectures pour tous à propos de son roman Les racines du ciel en 1956 : réponse aux critiques.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Lectures pour tous
Date de diffusion du média :
19 déc. 1956
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001561

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Né en 1914 à Vilnius, Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew, est élevé par sa mère, qui place en lui de grandes espérances, comme il le raconte dans son roman autobiographique La Promesse de l'aube. Ils mènent une vie assez précaire en Europe de l'Est, avant de s'installer à Nice en 1928. Après des études de droit, Romain fait son service militaire dans l'armée de l'air. Il rejoint en 1940 la France libre du général de Gaulle et participe à des missions de bombardement, notamment en Afrique et au Proche-Orient. En 1944, il est gravement blessé et reçoit la croix de guerre. Education européenne, son premier roman écrit pendant la guerre, paraît en anglais puis en français avec succès. À la Libération, il est récompensé par la légion d'honneur et son entrée au Quai d'Orsay. Son métier de diplomate le fait séjourner à Londres, Sofia, La Paz, New York. En 1948, il publie Le Grand vestiaire et reçoit en 1956 le prix Goncourt pour Les racines du ciel. Nommé consul la même année à Los Angeles, il fréquente Hollywood et fait la connaissance de l'actrice américaine Jean Seberg, qu'il épouse en 1963. Gary se retire pas à pas de la vie diplomatique pour se consacrer à l'écriture et à ses voyages. Il réalise avec Jean Seberg deux films qui se soldent par des échecs, Les Oiseaux vont mourir au Pérou et Kill. L'engagement total de Jean dans le mouvement des Black Panthers, qui milite contre l'oppression des noirs américains, sépare les deux époux et inspire à Gary son Chien blanc, qui paraît en 1970. Les échecs de Gary au cinéma et son mépris des critiques littéraires lui donnent l'idée de recourir à des pseudonymes. Gros-Câlin, La Vie devant soi et L'Angoisse du roi Salomon sont signés Emile Ajar, tandis que Gary continue de publier parallèlement, avec beaucoup moins de succès, sous son « vrai » nom. Pour le second Goncourt qu'obtient La Vie devant soi en 1975, il charge son petit-cousin, Paul Pavlowitch, d'incarner devant l'éditeur et les médias le rôle de l'écrivain Ajar. Par cette mascarade, Gary démontre l'aveuglement du Paris littéraire, dont il conteste depuis longtemps le pouvoir et le jugement. Mais les écrits de Gary avec l'âge et le suicide de son ex-femme en 1979 s'assombrissent : Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, Clair de femme et son dernier roman paru en 1980, Les Cerfs-volants, trahissent son angoisse du déclin et de la vieillesse. La même année, l'écrivain se suicide à Paris d'une balle de revolver, en laissant un document posthume qui révèle la véritable identité d'Emile Ajar et sa difficulté à trouver une identité stable : « Je me suis toujours été un autre. »

Immigré pauvre, diplomate, gaulliste, baba-cool, aviateur, séducteur ou écrivain à succès : fidèle au rêve de sa mère, Romain Gary – dont le vrai prénom est Roman – a multiplié les identités et les personnages pour faire de sa vie un autre de ses romans.

Prix Goncourt 1956, Les racines du ciel frappe par la modernité de ses thématiques. Ce roman écologique avant l'heure raconte le combat insensé de l'ancien résistant Morel en faveur de la nature et des éléphants de l'Afrique Equatoriale Française, qui sont massacrés massivement pour fournir de la viande aux chasseurs africains et de l'ivoire aux trafiquants blancs. Incompris et haï, moqué de tous côtés, Morel l'humaniste ne désarme pas et tente par tous les moyens de sauvegarder cette race en voie d'extinction, dernière représentante sur terre d'une époque révolue. Dans cette lutte contre l'exploitation et la barbarie occidentales, l'idéaliste cherche à retrouver les « racines du ciel » : la liberté et la dignité humaines. L'œuvre a été adaptée au cinéma par John Huston en 1958.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée en 1953 par Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, Lectures pour tous s'inscrit dans un contexte global de démocratisation de la culture. La première émission littéraire de la télévision veut faire découvrir au plus grand nombre l'actualité des livres. Elle développe un concept nouveau : celui de l'entretien filmé en studio. Le dispositif, minimaliste, n'est pas seulement lié aux budgets restreints de la télévision des débuts : il donne toute sa place à la parole. Pour la première fois également, les auteurs existent par leur image, tandis qu'un public grandissant met sur leur œuvre un visage. Les animateurs, Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, accompagnés de plusieurs critiques littéraires dont le plus célèbre reste Max-Pol Fouchet, ont, de 1953 à 1968 avec un succès croissant, interrogé près de 1400 invités. Peu à peu, le passage par Lectures pour tous s'impose à l'auteur et son éditeur comme un jalon essentiel dans la promotion du livre. Ici, c'est Romain Gary, tout droit revenu de La Paz en décembre 1956 après sa nomination au Goncourt, qui se prête avec aisance au jeu de l'interview et se réjouit de la vive polémique qui a entouré la parution de son livre.

Le journaliste hors champ, le dispositif est pleinement centré sur Gary. Les plans fixes et rapprochés permettent de capter les réactions et les émotions qui affleurent sur son visage. Il y a l'idée qu'en mettant à nu l'individu, on parviendra à comprendre son œuvre et à percer le mystère de la création.

Le nouveau lauréat du Goncourt est amené à discourir sur l'un de ses sujets favoris : les critiques, souvent virulentes et contradictoires, dont son roman fait l'objet. Il met à profit l'émission pour régler son compte aux détracteurs de son style et ses apparentes maladresses. Ses mains déployées, filmées en gros plans par Jean Prat, disent son implication, sa volonté de s'exprimer pleinement.

Pour se justifier, Gary rappelle l'écart évident qui peut exister entre le langage d'un personnage et celui de son créateur. Chaque sujet, chaque univers appellent par ailleurs un style différent : de ce fait, l'écriture de l'Education européenne ne saurait être identique à celle des Racines du ciel. Il prend l'exemple du nom « desesperado » et de son néologisme « esperado », maintes fois dénigrés, alors que ces mots caractérisent parfaitement l'état d'esprit de ses personnages.

Gary démontre ainsi avec faconde les faiblesses de la critique, parfois bornée et tatillonne.

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