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Dom Juan, de Molière : la mort de Dom Juan [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 06 nov. 1965

Adaptation de la pièce Dom Juan de Molière par Marcel Bluwal en 1965. Séquence finale : la mort de Dom Juan.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
06 nov. 1965
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001572

Contexte historique

Par Alexandra Von Bomhard

Né en 1622 et mort en 1673, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, est un véritable homme de théâtre. A la fois acteur, dramaturge et metteur en scène, il est considéré comme un des plus grands auteurs comiques. C'est aussi un artiste engagé dans son temps.

Destiné à reprendre la charge de son père, tapissier du roi, Jean-Baptiste Poquelin entre dans un collège jésuite, avant de commencer des études de droit. Il affirme cependant rapidement sa vocation et rompt avec sa famille en s'installant chez les Béjart à Paris. Il se donne le pseudonyme de Molière. En 1643 est créé l'Illustre Théâtre. Une expérience de courte durée : les spectateurs manquent, la troupe fait faillite, et Molière est incarcéré pour dettes. A sa sortie de prison, ce qui reste de la troupe devient une compagnie itinérante, qui parcourt la France en donnant des représentations dans des lieux de fortune. Molière écrit ses premières pièces... Protégés par de hautes personnalités, enrichis, les comédiens voient leur notoriété s'affirmer. Ils décident de conquérir Paris.

Le 24 octobre 1658, Molière joue devant la cour. Alors que le jeune roi a bâillé devant Nicomède de Corneille, la farce du Docteur amoureux le fait rire. Il devient le protecteur d'une troupe dont la veine comique stupéfie spectateurs et rivaux... au grand dam de Molière, profondément attiré par la tragédie ! La compagnie partage dès lors la salle du Petit-Bourbon avec les Comédiens italiens. Molière est à la fois directeur de troupe, comédien et auteur. Sa vocation d'écrivain se précise : il exploite la farce dans Sganarelle, élabore des spectacles divertissants, qui mêlent musique, danse et chant ou se livre à une critique des ridicules et des vices (Les Précieuses ridicules, 1659). Cette verve satirique lui vaut de farouches ennemis.

Avec L'Ecole des femmes jouée en 1622, Molière hisse la comédie au rang de genre noble. Commence alors le temps des chefs d'oeuvre, mais aussi celui des difficultés. On accuse Molière de ridiculiser le sacrement du mariage. En 1664, il s'insurge, avec son Tartuffe, contre l'hypocrisie religieuse. La Compagnie du Saint-Sacrement fait interdire la pièce. En 1665, le dramaturge met en scène, dans Dom Juan, un libertin séducteur et athée. Nouvelle censure. En 1666, avec Le Misanthrope (voir Le Misanthrope de Molière), Molière s'en prend au manque de sincérité qui corrompt les relations humaines. Mais ayant un théâtre à gérer, il ne peut plus prendre le risque de voir ses pièces interdites. Il s'oriente alors vers la farce (Les Fourberies de Scapin) ou la comédie-ballet (Le Bourgeois gentilhomme). C'est au cours d'une représentation du Malade imaginaire en 1673, que, pris de convulsions, il est transporté chez lui et meurt.

Durant les années 1660, on observe un durcissement de l'Eglise contre toute pensée s'écartant de l'orthodoxie religieuse. C'est dans ce contexte que Tartuffe, comédie satirique qui met à mal la fausse dévotion, est interdite par le puissant parti des dévots qui s'est réuni autour de la mère du roi. Il faut une nouvelle pièce pour la troupe. Molière s'empare du personnage de Dom Juan, alors à la mode, tout en reprenant un certain nombre de sujets qui entrent en résonance avec son Tartuffe. Dom Juan ou le Festin de Pierre est joué le 15 février 1665. C'est un grand succès. Après treize représentations, la pièce est suspendue et n'est plus jamais reprise du vivant de l'auteur.

Présentée par l'auteur comme une comédie, Dom Juan est en réalité une tragi-comédie qui ne respecte pas les règles classiques. La pièce met en scène deux personnages principaux : Dom Juan, un noble espagnol et Sganarelle, son valet. Ils fuient, poursuivis par Elvire, épouse éplorée délaissée par le séducteur, et par les frères de celle-ci, qui entendent bien obtenir réparation de cet affront. Cette fuite est aussi l'occasion pour Dom Juan d'affirmer son athéisme. Alors que le libertin n'a cessé de défier le Ciel tout au long de la pièce, il subit, à la fin de la pièce, le châtiment divin.

Éclairage média

Par Alexandra Von Bomhard

Marcel Bluwal est une des figures centrales de la dramatique des années 1960. Il a adapté à l'écran bon nombre d'oeuvres majeures de notre patrimoine littéraire (Le Mariage de Figaro, La Double Inconstance, Les Misérables).

Mû par une haute idée de la mission du service public et par la volonté de dépoussiérer les classiques, il propose, avec son Dom Juan, une nouvelle lecture de la pièce : il ne s'agit pas d'une histoire entre un homme et des des femmes, mais d'«une histoire entre l'inconnaissable, Dieu, et un homme» (M. Bluwal in Micros et caméras du 30/10/65). Depuis son interdiction en 1665, la pièce a été rarement montée, mais l'adaptation de Bluwal touche, en un soir, 12 millions de téléspectateurs : « notre film révélait à un public innocent, attentif et nombreux une oeuvre encore excommuniée» (M. Piccoli, Dom Juan de Molière, Métamorphoses d'une pièce, CNDP, 1995).

Bluwal tourne son adaptation dans des décors naturels et grandioses : il s'agit de retrouver, dans le cadre intime du petit écran, la distance propre à la création théâtrale. Les costumes d'Anne-Marie Marchand, résolument atemporels, viennent souligner l'actualité du mythe. Alain Bac fait un gros travail sur la lumière : il n'y a pas de soleil dans le film, ce qui suggère à la fois l'absence de transcendance pour Dom Juan et l'aveuglement du personnage. Pour Bluwal, celui-ci est agi par un désir suicidaire, la pièce raconte son avancée irrépressible vers la mort. Tous les signes (les travellings qui suivent la chevauchée de Dom Juan, la musique - la Marche funèbre maçonnique et le Requiem de Mozart -, l'image qui s'obscurcit au fur et à mesure) viennent dire la course effrénée du libertin vers son destin inéluctable.

L'extrait présenté correspond aux trois dernières scènes de Dom Juan. L'intrigue étant orientée vers le châtiment final, le dénouement constitue le point d'orgue de la pièce. Dom Juan achève ici sa folle cavalcade vers la mort. Le montage cut, amplifié par le Requiem de Mozart, dit la précipitation du destin. Ce final requiert un espace d'envergure. Le tombeau du Commandeur est filmé dans les Salines d'Arc-et-Sénans. Ce décor, par son architecture dépouillée, sa taille impressionnante, exhibe la menace qui pèse sur Dom Juan, révélant la fragilité du personnage : contrairement à ce qu'il pense, celui-ci n'est pas maître de son destin.

Plusieurs signes le rappellent. Le spectre, tout d'abord. Le texte de Molière peut nous laisser penser qu'il s'agit d'Elvire ; mais Bluwal fait de lui une femme inconnue. De qui s'agit-il ? Représente-t-elle toutes les femmes que Dom Juan a bafouées ? Toujours est-il que ce spectre se mue en squelette, avant de disparaître complètement, lorsque le libertin tente de l'éprouver avec son épée. Nouveau signe qui présage la fin prochaine du personnage. C'est en toute conscience que Dom Juan s'avance vers la mort. Il jette son épée avant de rejoindre la Statue. En se séparant définitivement de son arme de défense, le personnage révèle son désir suicidaire. Les champs/contre-champs qui font s'alterner des plans montrant la marche décidée de Dom Juan et le tombeau du Commandeur corroborent cette impression : loin de fuir son destin, le libertin l'embrasse, résolu.

Le choix de la Statue répond à la même intention. Il fallait « que Dom Juan montât vers elle à la fin, pour accomplir son suicide, comme à un autel sacrificiel inca» (Un aller, M. Bluwal, Stock, 1974). Les plans en contre-plongée, mettant le Commandeur en position de supériorité, annoncent le châtiment divin. Alors que le séducteur n'a cessé de promettre sa main sans la donner, ici, il la donne délibérément, ce que le gros plan souligne très nettement. Dom Juan meurt. A partir de là, les images du film sont en négatif, ce qui nous projette dans l'Au-delà. Sur terre, le valet se lamente sur ses gages impayés, tandis que le libertin chute dans les tourbillons de l'Enfer.

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