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Vipère au poing, de Hervé Bazin [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 16 mars 1971

Adaptation de Vipère au poing, de Hervé Bazin, par Pierre Cardinal en 1971. L'extrait présente la célèbre scène de la fourchette et illustre tout particulièrement, au cours d'un déjeuner, la cruauté de Folcoche, qui détourne les lois, religieuses et familiales, pour mieux brimer ses enfants.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
16 mars 1971
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001581

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Hervé Bazin est né en 1911 à Angers, dans une famille bourgeoise, traditionaliste et profondément catholique. Il connaît une enfance tourmentée, en révolte contre tous les carcans de l'autorité. S'il se heurte surtout à sa mère, très âpre et autoritaire, la rigueur de ses professeurs au collège n'arrange rien. L'adolescent, rebelle, fugue à plusieurs reprises. Inscrit contre son gré à la faculté catholique de droit d'Angers, il refuse de passer ses examens. Ses parents l'obligent à préparer Saint-Cyr dont rapidement il s'enfuit. Une fois à Paris, il exerce différents métiers avant de faire ses débuts dans le journalisme. Il s'essaie d'abord à la poésie et fonde sans succès une revue poétique. En 1947, il obtient le prix Apollinaire pour son recueil Jour. Sur les conseils du poète Paul Valéry, il se tourne vers la prose. En 1948, Bazin fait scandale avec son roman largement autobiographique, Vipère au poing. Suivent d'autres nombreux succès dont La Tête contre les murs, La Mort du petit cheval – où, avec Le Cri de la chouette en 1972, réapparaissent certains des protagonistes de son premier roman – Lève-toi et marche en 1952 ou encore Au nom du fils en 1960. Ses nombreux romans, dont les thèmes centraux sont la famille et la religion, touchent avec leur facture traditionnelle un large public.

Aux antipodes de son milieu d'origine, Hervé Bazin, proche du parti communiste, a appartenu au Mouvement de la paix. Elu en 1960 à l'Académie Goncourt, il en devient président à partir de 1973. Il meurt en 1996 dans sa ville natale.

Dans son œuvre, le romancier brosse une peinture réaliste des mœurs de son époque et s'attaque à la bourgeoisie, dont il condamne le conservatisme et la contradiction hypocrite entre actes et principes.

Le désamour de sa mère, ses rapports conflictuels avec elle, un sentiment capital d'injustice pendant son enfance lui inspirent Vipère au poing, son roman le plus célèbre, qui narre la relation de haine entre « Folcoche » (surnom né de la contraction de « folle » et « cochonne ») et ses deux grands fils Ferdinand et Jean, le narrateur. D'une dureté impitoyable, elle n'a de cesse d'inventer de nouvelles règles de conduite pour humilier et torturer les aînés, tandis qu'elle se montre un peu moins inflexible avec Marcel, le petit dernier. Domestiques, abbé, mari – elle plie tout le monde à son despotisme, jusqu'au jour où les aînés, révoltés, tentent tour à tour de la tuer. Dans un dernier duel, Jean finit par gagner sa liberté et, faisant un lien symbolique entre sa mère et la vipère qu'il a étranglée un jour de son enfance, songe, donnant du même coup son titre au livre : « Merci, ma mère ! Je suis celui qui marche, une vipère au poing. »

Dans un entretien bien postérieur, l'écrivain dira presque considérer ce roman comme une « cure psychanalytique ».

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Pierre Cardinal s'est principalement fait connaître en adaptant pour la télévision, d'abord dans l'émission L'Esprit et la lettre, de nombreux classiques de la littérature française comme Le Rouge et le Noir (1961) ou Candide (1962). Contrairement au cinéma, la télévision est d'abord à ses yeux « un outil psychologique », « parce que son écran a les dimensions d'une grille de confessionnal. » On retrouve cette conviction dans son Vipère au poing de 1971, un drame psychologique à huis clos. Si Jean-Louis Bory, un très bon ami d'Alice Sapritch, se charge de l'adaptation, c'est pourtant Hervé Bazin lui-même qui aurait eu l'idée de confier le rôle principal à la comédienne, qui voit en Folcoche « un personnage admirable, entier, et très proche de moi. » Comme le suggère le dénouement, c'est parce qu'elle n'est pas épanouie dans son mariage qu'elle ne peut rendre les autres heureux. Derrière la dureté de la mère se cache la souffrance secrète d'une femme malheureuse et mal-aimée.

L'extrait présente la célèbre scène de la fourchette et illustre tout particulièrement, au cours d'un déjeuner, la cruauté de Folcoche, qui détourne les lois, religieuses et familiales, pour mieux brimer ses enfants.

Au début du repas, les plans rapprochés sur l'abbé puis la mère, suggèrent qu'ils sont les détenteurs de l'autorité, religieuse et familiale, au détriment du père. Le diptyque en champ et contre-champ qui suit va dramatiser la confrontation entre la mère et l'enfant.

Le silence qui a suivi la prière fait ressortir la brutalité de la scène. L'insert dramatique de la main rose sur la nappe blanche superpose, à la fragilité innocente de l'enfant, le regard réprobateur de la mère : en grossissant ce détail, il nous fait adopter le point de vue de Folcoche, qui punit d'une sanction immédiate ce manque élémentaire de savoir-vivre. Le nouvel insert sur la main et la fourchette insiste sur la dureté du châtiment. Les deux très gros plans qui suivent prolongent cette opposition : au visage fermé de la mère, dont le mascara accentue encore la dureté, répond celui de Jean, dont les yeux brillent de douleur et de haine. Le peu de réaction des adultes et les plans de demi-ensemble, qui embrassent la table frugale, soulignent la domination sans partage de la mère, dont la voix surplombe le repas. Contre l'avis de l'abbé, elle impose la « confession quotidienne familiale ». Le plan qui, à la fin de la séquence, l'unit à Marcel, le petit dernier qu'elle gratifie d'un sourire et d'un croûton, dénonce clairement son favoritisme, qui éclate lors de la scène de la confession.

Ce long plan d'ensemble, filmé en caméra fixe, a tout d'un tableau. Le décor austère, avec la tapisserie murale, le portrait et les fauteuils, peut rappeler une scène d'intérieur hollandaise. Au premier plan, le pénitent s'avance, sous le triple regard de l'autorité – la mère trônant au milieu, entre les deux hommes soumis, tandis que les deux autres enfants, debout à chaque extrémité de l'image, en renforcent la symétrie et la solennité. Leur crâne rasé est un rappel continuel de leur humiliation (à son arrivée, la mère a décidé de raser leurs beaux cheveux avec la tondeuse qu'on utilisait pour leur âne).

Notons ici l'originalité et l'intelligence de la mise en scène de Cardinal. En effet, dans cette scène aux airs de tribunal, la Mère se substitue à l'ordre du Père : non seulement elle fait triompher l'injustice en réservant un traitement inégal à ses enfants, mais même, contre l'avis de l'abbé, le représentant de Dieu, elle impose ses propres lois en violant le secret de la confession. Et, dans cette cérémonie où les pénitents s'approchent de la caméra pour confesser leurs péchés, il semble que Cardinal ait confié au spectateur le rôle du Juge invisible, caché derrière l'écran. Ultime renversement, ce n'est pas tant les enfants au premier plan que Folcoche au fond que nous jugeons.

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