Aménagement de la côte Aquitaine : Hossegor, Capbreton

10 mars 1974
10m 58s
Réf. 00044

Notice

Résumé :

Le projet de construction d'une marina à Hossegor et Capbreton, défendu par le maire de Capbreton, Roger Calès, fait débat. Un comité de défense, incarné par Jacques Ellul et Xavier Defos du Rau, se montre sceptique face au projet d'urbanisme du terrain de la Vierge et de la Pêcherie et sur les réelles retombées économiques du projet.

Type de média :
Date de diffusion :
10 mars 1974

Éclairage

Malgré les travaux réalisés à l'entrée du port sous Napoléon III, aborder la "passe" de Capbreton n'est pas aisé quand on n'est pas un marin aguerri. L'Estacade et le bassin de chasse réalisés à la fin du XIXe siècle puis la construction de digues édifiées plus récemment permettent certes de limiter, d'une part, les dangers liés à ce passage difficile et d'assurer, d'autre part, la pérennité d'un chenal de proportions convenables. Cependant, les ambitions de la municipalité, en cette année 1974, exigent des travaux supplémentaires.

Si les effets de la crise pétrolière commencent à se faire sentir, les programmes de développement de la côte Aquitaine, engagés par la MIACA à partir de 1967, n'ont pour unique objectif que de développer les activités estivales puisque "il ne reste que le tourisme pour vivre"... Il est vrai que l'ancien grand port baleinier en est réduit à une flottille de huit bateaux de pêche.

Hossegor, la "station des sports élégants" toute proche, continue de prospérer sous l'égide d'Alfred Éluère ; pour sa part, le maire de Capbreton, le docteur Calès, entend offrir à sa ville des infrastructures dignes d'une grande station de plaisance, un peu à l'instar de ce qui s'est fait, grâce à la mission "Racine", du côté de la Grande Motte, en Languedoc-Roussillon.

Si des aménagements sont nécessaires pour respecter les objectifs des organismes chargés de valoriser la côte landaise, il faut raison garder et les ambitions des uns s'opposent à la prudence des autres. S'opposent ainsi les partisans de l'expansion du port et de la marina en général, autour de leur maire, et les notables locaux arguant du fait que la saison estivale, très courte, ne peut justifier la "défiguration" de secteurs côtiers protégés par la loi sur le littoral. Car si l'on ne parle pas encore de "développement durable", le concept est dans les têtes de tous ceux qui veulent préserver l'espace, l'atout majeur du département, symbolisé une trentaine d'années plus tard par le logo "XL" du Conseil général des Landes...

Bâtir ici de façon inconsidérée, c'est donc "tuer la poule aux œufs d'or" en supprimant le "poumon" de la conurbation qui se dessine déjà entre les trois communes de Capbreton, Seignosse et Soorts-Hossegor, regroupées en SIVOM. C'est également aller à l'opposé de la volonté gouvernementale qui tient à maîtriser, sur le littoral notamment, l'espace public comme le prouve la persistance d'une forêt domaniale, principalement sur le cordon dunaire, gérée par l'Office National des Forêts (ONF), émanant de la vieille administration des "Eaux et Forêts" dont l'ébauche est fondée en 1291 par Philippe le Bel.

S'appuyant sur la circulaire du 5 avril 1973 d'Olivier Guichard, ministre de l'Équipement, mettant fin à la construction de grands ensembles, un comité de défense se forme contre ce projet. Deux personnalités reconnues des Aquitains, maître Xavier Defos du Rau et le philosophe Jacques Ellul, professeur d'histoire du Droit et sociologue, ont recours au tribunal administratif pour juguler ce projet d'envergure sans toutefois s'opposer à certaines phases de son évolution qui semblent inéluctables.

Jacques Ellul, est bien connu pour ses travaux de réflexion sur l'évolution de la société moderne. Il constate que la disparition du monde rural traditionnel s'accompagne de la technicisation de l'homme et de son milieu, anticipant les interrogations des écologistes ; il le fait valoir ici en évoquant l'inquiétante évolution du bassin d'Arcachon où le développement touristique se heurte aux intérêts des ostréiculteurs.

Illustrant ses propos, l'image de la station de Seignosse, déjà vieillissante, rappelle la remarque d'Émile Biasini, reprenant la tête de la MIACA en 1970 : "Le Penon est l'exemple même de ce qu'il ne fallait pas faire."

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Bruit)
Journaliste
Elle est difficile à passer cette passe ?
Intervenant 1
Oui, oui. Mais là aujourd’hui euh… c’est dans le… disons qu’elle est normale. C’est-à-dire qu’il faut arriver au moment où il y a l’accalmie. C’est par série, hein. D’ailleurs, on va en prendre une attention, attention, attention, hop ! Voilà ! Alors celle-là, là, elle est à importante. Voyez, celle-là, il vaut mieux la prendre de face hein. Hop ! Alors là maintenant, c’est fini.
Journaliste
Vous pensez que le navigateur de plaisance et vacancier est à même de franchir cette passe ?
Intervenant 1
Aujourd’hui, c’est à déconseiller. La passe est prenable aujourd’hui pour des gens qui déjà ont un minimum d’expérience.
Journaliste
Mais en général, c’est une passe qui est quand même difficile ?
Intervenant 1
C’est difficile à expliquer parce que là en été…
Journaliste
Elle est sportive ?
Intervenant 1
Et voilà elle est sportive, elle est sportive. Elle est sportive. En plein été, il nous arrive quand même d’avoir 15 jours, 3 semaines où n’importe quel petit bateau, même, peut sortir.
(Bruit)
Journaliste
La côte aquitaine n’a pas la réputation d’être facile pour les bateaux. Elle est longée par une barre difficile à franchir sauf en face de Capbreton. Ceci à cause du Gouf, gigantesque dépression creusée par l’Adour préhistorique. Car l’Adour se jetait ici, à Capbreton, jusqu’au jour en 1578, les Bayonnais l’ont détourné à leur profit. Avant, Bayonne et Capbreton luttaient pour la suprématie du commerce maritime. Depuis, Capbreton a décliné. Et aujourd’hui, même la pêche commerciale a disparu. Il ne reste à Hossegor Capbreton que le tourisme pour vivre. Encore la saison est-elle bien courte, 3 mois à peine. Le port de Capbreton étant le seul entre Bayonne et Arcachon, il est maintenant envisagé de le réaménager.
(Musique)
Intervenant 2
Enfin, nous escomptons bien que la pêche va repartir et nous comptons bien avoir peut-être une criée aux poissons, retrouver toute cette animation si particulière des… qu’on connait bien dans les ports bretons et méditerranéens.
Journaliste
Encore faut-il qu’il y ait des pêcheurs ?
Intervenant 2
Et bien, nous avons déjà quand même 8 bateaux de pêche ici qui sont armés en pêche. Et puis, nous aurons probablement… nous allons attirer probablement les pêcheurs luziens.
Journaliste
Reconstruire le port, oui. À condition que l’opération soit rentable. 1 500 anneaux, ça coûte cher, surtout s’ils ne sont utilisés que quelques semaines par an. Pour qu’ils soient rentables, il faudrait que 500 anneaux au moins soient occupés à longueur d’année. Il n’est pas sûr que cela sera le cas. Pour financer le port, le SIVOM, Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple qui réunit Capbreton, Hossegor et Seignosse, a pensé lotir deux terrains qui entourent le port. Celui dit de la Pêcherie dans le fond, qui appartient pour l’essentiel à l’heure actuelle à la Société des Bains de Mer et sur lequel il est prévu de construire 3 500 lits. Et le terrain dit de la Vierge située sur le littoral, sur lequel seraient construits 1 500 lits. Un terrain qui appartient à la collectivité mais l’on ne sait si c’est à la commune ou à l’Etat. D’où un recours devant le Tribunal administratif engagé par le comité de défense qui s’oppose au projet. Un procès qui n’est qu’un prétexte.
Intervenant 3
Il faut gagner suffisamment de temps pour permettre aux technocrates qui sont peut-être allés un peu vite en besogne de s’apercevoir d’un certain nombre d’erreurs qu’ils ont commises dans la conception même du projet d’ensemble.
Intervenant 2
J’ai eu l’occasion de signaler que le croît de fréquentation de nos stations s’accélère chaque année de 9 à 10 % ou 11 %. Et notre souci, c’est justement de contrôler un peu ce croît de fréquentation de façon à ce qu’on arrive pas, qu’on aboutisse pas à une anarchie.
Journaliste
Il y a plusieurs phases à cette opération. L’aménagement du port, personne n’est vraiment contre. A condition qu’il ne soit pas en déficit, car ce serait alors les contribuables qui en supporteraient la charge. Ensuite et à cause de cela, l’aménagement des deux terrains, celui dit de la Pêcherie, qui est un terrain privé. Rien ne s’oppose a priori à ce qu’il soit bâti. Peut-être peut-on s’interroger sur la façon dont des constructions massives par rapport aux maisons existantes pourront s’insérer dans un paysage très aéré ou sur la répartition des volumes. De même, est-il sage de construire une petite ville car en fait c’en est une, capable d’accueillir la population de Capbreton en hiver? Une petite ville qui ne vivra que 2 mois et demi par an et qui, le reste du temps, ressemblera fort à ces constructions de Seignosse à quelques kilomètres de là qui font penser à un décor de cinéma usé.
(Musique)
Journaliste
Des questions qu’il faut se poser aussi à propos de l’autre partie du projet. L’aménagement de 1 500 lits sur le terrain dit de la Vierge. Avec en plus ceci, peut-on se laisser construire une nouvelle Marina ? Ce terrain fait partie du domaine public. Peu importe qu’il appartienne à l’Etat ou à la commune, il va être loti et cédé à des particuliers, alors qu’on se souvient que le gouvernement est opposé à ce genre de constructions depuis longtemps. Et la circulaire Guichard a un an. L’espace public n’est que trop limité surtout sur le littoral.
Intervenant 3
Oui le tourisme est indispensable, mais encore faut-il savoir ce que nous allons offrir aux touristes. Et pourquoi ils viennent ? Et si nous allons leur offrir ce qu’ils viennent chercher dans les Landes. Or, qu’est-ce que c’est que les Landes ? C’est un pays absolument exceptionnel pour une raison qui n’existe nulle part ailleurs en France et même dans beaucoup de pays étrangers. C’est une région où il y a de l’espace.
(Bruit)
Intervenant 2
Ici, nous sommes souvent entourés sur le côté de Notre Dame d’une zone sableuse qui n’est jamais fréquentée. En fin de compte, je crois que si on urbanise d’une façon correcte et raisonnable, et bien c’est en fait un terrain qui va être, qui va devenir accessible à tout le monde, et pour le plus grand plaisir des promeneurs, de tous ceux qui n’ont pas de bateau.
Intervenant 3
Mais si vous occupez tous les espaces libres, si vous mettez 5 000 lits. C’est-à-dire 2 500 chambres, c’est-à-dire l’équivalent de 25 hôtels de 100 chambres sur quelques hectares au milieu même des deux stations de Capbreton ou d’Hossegor, vous supprimez les deux ou trois terrains qui constituent justement leur poumon. Alors ça pourrait être aménagé bien sûr, tout le monde le souhaite, pour y faire des terrains de jeux, de détente. Ce n’est pas exclusif d'un certain nombre de commerces ou d’activités d’ordre touristique et estival.
Journaliste
C’est pour financer la création de ce port qu’il y a ces deux opérations de type Marina.
Intervenant 2
Bon, c’est pour financer oui, dans un sens, oui. Mais enfin, euh… il est certain que les opérations d’urbanisme nous permettent de réaliser la seconde phase des travaux. Ça c’est absolu, c’est certain et elles permettent de rentabiliser le port. Mais il est certain aussi qu’il y a… Nous avons le problème quand même de loger du monde, recevoir les gens. Nous sommes des stations d’accueil. Il faut recevoir des gens de toutes catégories, de toutes couches sociales. Alors c’est pour ça que les projets d’ailleurs comportent sur le plan d’urbanisme, d’ailleurs des réalisations de tous les types.
Journaliste
Le projet est ambitieux. Ses auteurs ont essayé de faire prévaloir le caractère public des installations, c’est-à-dire les équipements collectifs sur le caractère privé, c’est-à-dire les logements.
(Musique)
Journaliste
C’est ainsi qu’en plus des logements, il est prévu l’aménagement du port. Le creusement du lac d’Hossegor qui aura pour effet de permettre la baignade même à marrée basse.
(Musique)
Journaliste
L’aménagement des voies d’accès qui arriveront derrière les constructions nouvelles et dans lesquelles les rues ne seront réservées qu’aux piétons. Des équipements collectifs qui coûtent chers.
Intervenant 3
Au point de vue pratique, ça va aboutir à quoi ? Est-ce que ça sera créateur d’emplois ? Bien sûr quelques uns. Il faudra des femmes de ménage pour nettoyer tous les 5000 lits, les 5000 chambres. Il faudra les concierges. Il faudra bien sûr une activité commerciale pour nourrir tout cela mais enfin pendant 2 à 3 mois. Et pendant les 9 autres mois, les Landais, qu’est-ce qu’ils recueilleront comme apport positif ? Comme progrès économique de cette réalisation ? Assez peu de choses en vérité. Ce n’est pas pour l’interdire ou pour la critiquer dans son principe. C’est simplement pour dire qu’il y avait peut-être pour la région des priorités plus urgentes.
Intervenant 2
Dans ce pays, il n’y pas d’industrie. Nous n’en voulons pas et nous n’en aurons pas. Nous ne pouvons pas en recevoir. Il est bien certain que l’afflux des touristes représente quand même l’économie du pays. Vous avez quand même toute une population qui vit de cette affaire.
Intervenant 4
Le tourisme est apparu pendant quelques temps comme une richesse potentielle. Mais je crois que du point de vue économique même, c’est contestable. Ce n’est pas véritablement créateur d’emplois contrairement à ce que l’on dit. Or, on a beaucoup plus d’intérêt à inventer des formes de développement qui permettraient à la fois un développement équilibré sur le plan naturel d’une part, et qui permettraient le développement de certaines activités qui existent déjà. Enfin, il y a par exemple contradiction certaine entre l’ostréiculture du bassin d’Arcachon et puis tout ce que l’on prétend mettre autour du bassin d’Arcachon et les transformations même du fond du bassin, qui impliqueront la destruction totale de l’ostréiculture. Or, les ostréiculteurs ne retrouveront pas bien entendu des emplois parce qu’on aura créé quelques hôtels.
Journaliste
En fonction du cahier des charges, en fonction des impératifs financiers, en fonction de la zone à urbaniser, il est certain que le projet est judicieux. Il ne faut que regretter l’hypothèse de départ, la construction de la Marina sur le terrain de la Vierge et la densité de touristes que l’on veut y implanter.