L'arbre d'or

16 mars 1955
21m 46s
Réf. 00071

Notice

Résumé :

En 1857, la loi d'assainissement des Landes de Gascogne, initiée par Napoléon III, aboutit à la plantation massive de pins maritimes mettant à mal les anciennes structures du système agro-pastoral. L'espace boisé devient ainsi le théâtre de graves incendies, dont celui de 1949, point de départ d'une politique de prévention et d'expérimentation sur la réhabilitation d'anciennes fermes.

Type de média :
Date de diffusion :
16 mars 1955

Éclairage

"Le Pin, l'arbre d'or des Landes ". La formule est d'Alexandre Léon, entrepreneur bordelais qui bâtit sa richesse sur l'exportation de poteaux de pins bruts en direction de l'Angleterre vers 1860. Ironie du sort, ce même Alexandre Léon allait périr lors des grands incendies de 1870, illustrant par là-même la profonde symbiose entre la forêt landaise et les incendies. S'arrêter sur la création du massif landais permet de comprendre pourquoi celui-ci fut si longtemps propice aux feux de forêts.

La forêt landaise telle que nous la connaissons est littéralement sortie de terre dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il s'agissait primitivement d'assainir une région agricole grâce aux plantations de pins maritimes. Toutefois, jamais la volonté politique n'aurait réussi à créer un massif d'un million d'hectares, ni à lui garantir les débouchés indispensables à sa survie, si de nouveaux modes d'exploitation n'étaient nés grâce au progrès technique.

Un ingénieur bordelais, le docteur Boucherie, trouva le moyen de pérenniser le bois en lui injectant du sulfate de cuivre ce qui permit d'en multiplier les usages : bois de soutien pour les mines anglaises, traverses pour le chemin de fer, poteaux télégraphiques. Le Second Empire voyait le développement de l'industrie et l'amélioration des transports. .

Mais ce fut la Guerre de Sécession qui fit à la fois la richesse et la ruine de la forêt. En pleine guerre civile, les Etats-Unis ne pouvaient plus produire ni exporter leur résine. Les Landes restaient le seul massif à même d'en fournir. S'ensuivit alors une véritable escalade des prix qui fit la fortune des propriétaires sylvicoles. Devant une telle opportunité, les communes s'arrangèrent pour pouvoir vendre leurs terrains, heureuses d'en tirer des revenus. Ce fut la catastrophe.

En quelques années, les Landes furent couvertes de pins maritimes plantés de manière anarchique, où seul importaient le volume et le rendement. Ce qui entraîna la disparition des troupeaux, beaucoup moins rentables mais qui broutaient les sous-bois et prévenaient le départ de feux. Les exploitations agricoles qui permettaient d'aérer le massif en formant des coupe-feux naturels, furent rapidement abandonnées. Toutes les conditions étaient alors réunies pour favoriser des incendies gigantesques, tel celui qui sévit en 1870.

Ce fut le début d'une spirale. Quand bien même la folie du gemmage s'achevait à la fin des hostilités américaines, les Landes s'étaient définitivement tournées vers une économie sylvicole. De grands incendies anéantirent alors des milliers d'hectares, notamment dans les années 1940, où 400 000 hectares partirent en fumée. Dans la seule année 1949, un grand incendie ravagea 47 000 hectares et causa la mort de 82 sauveteurs. Un tel choc força les pouvoirs publics et les sylviculteurs à agir de concert pour éviter que ne se reproduise une telle tragédie.

Sébastien Poublanc

Transcription

(Silence)
(Musique)
Journaliste
"La force des choses nous conduit parfois à des résultats auxquels nous n’avons pas pensé".
(Silence)
Journaliste
Saint Just ne songeait sûrement pas aux Landes lorsqu’il écrivit cette phrase. Et le touriste ne pense certes pas à Saint Just lorsqu’il visite les Landes.
(Musique)
Journaliste
Pourtant, la vision de cet océan de pins, coupé au scalpel par des routes rectilignes sans fin, ne paraissant conduire nulle part, semblables à elles-mêmes durant des dizaines de kilomètres, produit, en général, sur lui, une sensation de gêne, qui devient, vite, insupportable. Il ne sait pas, exactement, de quoi provient cette gêne. Mais, peu à peu, il prend vaguement conscience de l’existence d’un déséquilibre dont la cause échappe et dont le visage a quelque chose d’artificiel. C’est sourdement dangereux. Puis, cette sensation de danger se précise lentement, devient perceptible, et, brusquement, saute, littéralement, au visage. « Attention au feu ! ».
(Bruit)
Journaliste
Il y aura toujours des incendies dans les Landes. Malgré les panneaux d’avertissement, malgré l’effort des pompiers, malgré toutes les précautions prises, il y a eu, il y a, il y aura toujours des incendies. Tout le problème consiste à savoir s’ils détruiront 100 hectares ou 100 000. En moins de 10 ans, de 1942 en 1949, 400 000 hectares de pins ont été brûlés, et tout le monde a eu conscience d’une catastrophe, d’une catastrophe visible et spectaculaire. Personne ne veut croire qu’elle puisse se reproduire. Pourtant, toutes les conditions sont réunies pour cela. Depuis 100 ans, année après année, les hommes ont accumulé, méthodiquement, systématiquement, les facteurs de ruine et de catastrophe sans s’en rendre compte. Ils récoltent, aujourd’hui, ce qu’ils ont semé.
(Bruit)
(Musique)
Journaliste
La force des choses nous conduit parfois à des résultats auxquels nous n’avons pas pensé. Ils s’invitent. Personne n’a voulu cela, personne n’a envisagé ces ruines, personne ne s’en accommode. Au moment où la catastrophe s’est abattue sur la région, on a recherché les responsables avec énergie, avec obstination, avec désespoir. On n'a pas trouvé. Pourtant, ils existent, ils ont laissé leurs empreintes sur tout le territoire. Il suffit de rester quelques jours dans les Landes pour les découvrir. Ils se nomment : l’homme, l’argent, le pin.
(Silence)
Journaliste
L’homme seul avait intuitivement compris le problème landais. Jusqu’en 1860, il avait respecté, en lisière de la Grande Lande marécageuse, un équilibre qu’il sentait nécessaire à toute action durable. Toute la structure économique, sociale, agricole, des Landes étaient conçue pour respecter cet équilibre. A la base de l’édifice, le bourg, limite de la civilisation extérieure à la Lande, installé sur un cours d’eau. De ce bourg sont partis des défricheurs plusieurs centaines d’années auparavant. A l’époque de la grande conquête des hommes dans les territoires incultes. Ces défricheurs sont des bergers, qui ont, d’abord, construit la bergerie. Puis, ils ont assaini le sol marécageux, mis la terre en culture, construit des maisons, semé et exploité des pins. Ils ont établi ainsi des quartiers, en forme de cercle, s’agrandissant au détriment de la Lande.
(Musique)
Journaliste
La culture du sol leur fournissait des céréales qu’ils faisaient moudre dans des moulins qui se multipliaient sur le cours d’eau, régularisant ainsi son débit fantasque. Le bourg jouait, vis-à-vis de ces quartiers, le rôle de centre administratif. Il bénéficiait de leur prospérité. Il était le siège des foires. Et, les artisans s'y multipliaient pour répondre aux besoins des agriculteurs qui venaient y faire leurs achats.
(Musique)
Journaliste
L’équilibre était total, un bourg prospère, des moulins régulateurs du cours de la rivière qui tournaient grâce l’existence des quartiers, dont les habitants se livraient à l’agriculture, à la sylviculture, à l’élevage des moutons dont ils tiraient le fumier nécessaire au maintien de l’humus, de leur terre fragile. Et ces moutons constituaient, en outre, un instrument de défrichement car ils provoquaient, bientôt, l’établissement d’une bergerie installée plus au loin dans la Grande Lande, point de départ d’un nouveau quartier. Ces quartiers circulaires constituaient, tant par leur forme que par leur situation géométrique, le moyen de défense le plus efficace contre l’incendie. Un homme intervint le 19 juin 1857, il promulgua une loi.
(Silence)
Intervenant
Dans le département des Landes et de la Gironde, les terrains communaux, actuellement soumis au parcours du bétail, seront assainis et ensemencés ou planté en bois auprès des communes qui en sont propriétaires. En cas d’impossibilité ou de refus de la part de ces communes de procéder à ces travaux, il y sera pourvu, aux frais de l’Etat, qui se remboursera de ces avances en principal et intérêts sur les produits des coupes.
Journaliste
Napoléon voulait accélérer le défrichement de la Lande, créer ainsi des richesses nouvelles, venir en aide à la population. Il s’inspira de Brémontier et confia les travaux à deux ingénieurs des ponts et chaussées, Chambrelent et Crouzet. La décision qu’ils prirent d’assainir d’un seul coup les 550 000 hectares de Grande Lande, en utilisant un instrument jugé idéal, le pin. En empêchant les dunes de se déplacer, le pin pouvait à la fois, éviter l’envahissement des villages par les flammes, assainir la région marécageuse en attendant le drainage et le creusement des fossés, produire de la résine et de l’essence de térébenthine, fournir son bois. Le pin, véritable arbre d’or qui devait apporter la richesse à tous, et la prospérité aux Landes. En 5 ans, 550 000 hectares de Grande Lande furent ensemencés et le pin commença à pousser. Il apporta, au départ, un réel bienfait. Tout le territoire de la grande Lande, constitué par des marécages, présentait un danger permanent pour les défricheurs. La malaria y sévissait avec une intensité redoutable. Mais alors que Napoléon avait constamment à l’esprit l’implantation d’une agriculture prospère sur le territoire assaini, grâce aux pins, la guerre de sécession fut un des premiers éléments de cette force des choses dont parle Saint Just. Elément qui allait compromettre les objectifs prévus par la loi. Privées de résine américaine, les industries françaises, dont les besoins étaient constants, recherchèrent sur place la gemme qui leur était nécessaire. A l’effort des bûcherons s’ajouta l’activité accrue des gemmeurs. Malgré cela, la demande dépassa l’offre, les prix montèrent, la spéculation s’en mêla.
(Musique)
Journaliste
C’est ainsi que l’argent fit son apparition. En quelques années, le prix de la gemme doubla, tripla, quadrupla. On attendait avec impatience que les jeunes arbres semés quelques années plutôt, commencent à rendre pendant que les coupes adultes étaient exploitées au maximum. Ces arbres n’allaient pas assez vite pour secréter douloureusement leur sève.
(Silence)
Journaliste
Les quartiers emportés par cette fièvre de la résine vendirent leurs propriétés communales dans lesquelles ils faisaient pacager leurs moutons. On y sema des pins. Les années qui suivirent les virent grandir, presque à vue d’œil. Rien ni personne ne pouvait plus, alors, arrêter leur progression.
(Musique)
Journaliste
En quelques années, la lente marche en avant des défricheurs, se transforma en une fuite devant le pin, générateur de richesses rapides.
(Musique)
Journaliste
Les pacages disparurent et les moutons avec.
(Musique)
Journaliste
Le fumier commença à manquer aux cultivateurs des quartiers qui virent baisser leur rendement dans des proportions inquiétantes. Ils semèrent à leur tour du pin dans leur terre cultivable, et les moulins fermèrent leurs portes et s’arrêtèrent de tourner, faute de céréales. La rivière repris son cours fantasque, tandis que le plan d’eau du sous-sol redevenait irrégulier, diminuant encore les rendements des terres cultivables.
(Musique)
Journaliste
Les meuniers partirent et les quartiers s’amenuisèrent. Ceux qui voulaient rester, à leur tour, s’en allèrent, faute de commodité de vie.
(Musique)
Journaliste
Les unes après les autres, les maisons fermèrent leurs volets, leur porte, et les cheminées s’arrêtèrent de fumer. Implacablement, comme une réaction en chaîne d’une logique barbare, le mécanisme de dégradation suivait son cours.
(Musique)
Journaliste
Chaque progression du pin marquait la disparition d’une maison, d’un foyer. En quelques décades, les quartiers devinrent des clairières, vides, menant un combat inégal contre la forêt.
(Musique)
Journaliste
La vie du bourg dépendait de celle des quartiers. Pour que les artisans vivent, il fallait que les agriculteurs soient là. Eux partis, ils ne leur restaient plus qu’une chose à faire, fermer boutique. C’est ce qu’ils firent sans comprendre très bien ce qui arrivait. Les temps sont durs dirent-ils. Et ils partirent ailleurs. Les temps sont durs dirent à leur tour les commerçants, il n’y a plus rien à faire ici. Les agriculteurs n’achètent plus, les artisans partent. C’est le moment d’en faire autant. Et le bourg prit l’allure d’un cimetière, celle qu’on présente aujourd’hui. Envers et contre tout, trois ou quatre familles tentent de continuer à y vivre, mais les autres, tous les autres, sont partis.
(Musique)
Journaliste
Il ne reste ici que des souvenirs et des symboles. Fermée la maison du maréchal ferrant, désert le banc sur lequel les vieux venaient s’asseoir, fermé l’hôtel des voyageurs avec ses 28 chambres et son écurie pour 15 chevaux, fermée la pharmacie. Qui serait malade d’ailleurs, il n’y a plus personne. Fermée la maison du médecin.
(Musique)
Journaliste
Fermé, fermé, fermé ! Quand je vous disais que c’était un cimetière, un cimetière dont les tombes seraient vides. Ce bourg porte malgré tout un nom. Il s’appelle Saugnac.
(Musique)
Journaliste
Mais, à côté des quartiers morts, du bourg mort, quelque chose vivait. La forêt ! 800 000 hectares de pins, serrés les uns contre les autres, représentant une richesse considérable. Deux choses seulement manquaient pour garantir cette richesse, des pompiers et des pare-feux. Les pompiers étaient partis et les pare-feux naturels que constituaient les quartiers avaient été envahis par les pins.
(Musique)
Journaliste
Alors le feu éclata ! Et tout le monde eu l’impression d’assister à une catastrophe. 400 000 hectares de pins ont brûlé. Malgré le courage surhumain des pompiers professionnels, malgré leur organisation. Dans 10 ans, dans 20 ans, le temps que les pins repoussent, la même catastrophe s’abattra sur les Landes, à moins, à moins que l’expérience serve. Et qu'en plus des travaux de grande envergure qui ont été entrepris pour lutter techniquement contre le feu, on tente de rétablir un équilibre disparu. Un travail gigantesque a été entrepris après la catastrophe de 1940: un travail de mise en garde, un travail de protection. Des miradors se sont dressés un peu partout.
(Musique)
Journaliste
Des pare-feux tracés.
(Musique)
Journaliste
Des châteaux d’eaux ont été édifiés. Une organisation impeccable a été mise sur pied, mobilisant les pompiers professionnels en permanence. Mais, cela ne suffit pas. Cela ne suffit jamais de se protéger contre des résultats, il faut s’attaquer à la cause. Des traces de l’ancienne structure existent. Il importe de la transcrire dans un langage moderne. Donner un sens à la vie de ceux qui sont restés malgré tout, tel semble être le premier pas à franchir, prélude au second, le peuplement de la Lande, basé sur des principes semblables à ceux utilisés autrefois.
(Bruit)
Journaliste
Il n’est pas question de revenir en arrière et de voir réapparaître les bergers sur échasses. Le temps où le défrichement de la Lande suivait le rythme de la marche des moutons est révolu. Mais il est bon de se souvenir que ces moutons ont joué un rôle capital dans le passé. Leur nombre est passé de plus de 1 million à moins de 100 000 en 100 ans. Peut-être la reconstitution de la richesse qu’ils représentaient désigne-t-elle un objectif à atteindre.
(Bruit)
Journaliste
Cette même bergerie qui a vu passer sous sa porte les bergers sur échasses servira encore dans l’avenir à abriter des moutons qui pacageront librement dans 60 hectares de Lande entourés de clôture. Telle peut être la forme nouvelle de l’élevage des ovins, expérimenté dans une ferme pilote.
(Silence)
Journaliste
Mais, avant toute chose, il s’agit de régénérer les quartiers qui existent encore. Une expérience est actuellement tentée sur une échelle restreinte. Elle vise à reconstituer les territoires communaux vendus il y a 100 ans, au moment de la fièvre spéculatrice, en employant une forme coopérative. Des travaux de drainage et de débroussaillage y sont entrepris en commun avec des moyens modernes. Ces territoires seront, en partie, semés en pins, en partie, consacré à l’élevage des bovins et des ovins, en partie, mis en culture, comme autrefois.
(Bruit)
Journaliste
Mais, si les principes demeurent, les moyens doivent changer et la motorisation, faire son apparition.
(Bruit)
Journaliste
Les Landes offrent des possibilités agricoles considérables, si on sait les mettre en valeur. Le maïs et les pommes de terre ne constituent qu’un exemple parmi d’autres de ces cultures qui s’adaptent parfaitement à son sol.
(Bruit)
(Musique)
Journaliste
La régénération des quartiers par l’utilisation de méthodes modernes de culture et d’élevage peut s’effectuer rapidement, surtout si un sang neuf était apporté par une véritable transfusion. Ce sont surtout les hommes qui manquent ici. des hommes jeunes et compétents décidés à surmonter les difficultés, des agriculteurs, d’où qu’ils viennent, à condition qu’ils soient aptes à s’accoutumer aux méthodes de culture un peu particulières des Landes.
(Bruit)
Journaliste
L’expérience de la zone témoin a montré combien il était difficile de faire machine arrière et d’arrêter le processus de décomposition. Mais il semble néanmoins que l’avenir soit dans cette voie. Il ne peut pas se trouver dans l’apparition d’un déséquilibre sous la forme d’une monoculture de pins aux conséquences mortelles.
(Musique)
Journaliste
Le visage de cette région des Landes doit être celui de quartiers vivants, de bourgs vivants et habités, tirant leurs ressources d’une agriculture équilibrée et d’une industrie adaptée à la région, laissant à la sylviculture sa vraie place. Ce n’est pas par hasard si les seules régions qui ont conservé un visage de prospérité possèdent une industrie qui a su s’adapter, s’inclure dans une économie régionale, succès des hommes.
(Musique)
Journaliste
Car, ou bien ces hommes resteront, ou le visage futur des Landes sera celui de la désolation. Car, de toute façon, il y aura toujours des incendies dans les Landes. Le tout est de savoir s’ils détruiront 100 hectares ou 100 000.
(Musique)