Débâcle des scieries landaises : le cas de la scierie de Bénesse-Maremme

23 avril 2004
02m 57s
Réf. 00120

Notice

Résumé :

Dans les Landes, les scieries ferment les unes après les autres ne pouvant plus faire face aux prix élevés pratiqués par les propriétaires forestiers locaux. Exemple, à Benesse-Maremme où la scierie de Christian Nicolas a du fermer après 31 ans d'activité.

Date de diffusion :
23 avril 2004
Source :

Éclairage

Le vaste mouvement de désindustrialisation, lentement mais sûrement amorcé dans les vieilles contrées européennes depuis la fin des années 1970, ne manque pas de toucher les industries du bois dans les Landes. Au début des années 2000, en dépit de la tempête du 27 décembre 1999 [1], les vastes espaces forestiers du département, essentiellement en pins maritimes, sont un atout non négligeable. Ils fournissent une matière première abondante, utile à l'industrie papetière, à la fabrication des panneaux de particules, au sciage en général (bois d'œuvre pour le bâtiment ou l'ameublement) et même - en cette période où l'on se préoccupe de l'environnement et des énergies vertes - fort avantageuse pour le chauffage. Pourtant l'équilibre entre producteurs de bois (les propriétaires forestiers) et clients industriels ne se fait pas parfaitement. L'adéquation semble particulièrement difficile pour les petites ou moyennes scieries constellant le massif des Landes de Gascogne.

Les faits sont là. Le nombre de ces établissements industriels, souvent des PME à structure familiale, a fortement diminué (90 scieries dans les Landes en 1992, 36 seulement en 2004 après la disparition de 11 usines dans la seule année 2003) ; et d'autres unités sont menacées, avec toutes les incidences socio-économiques que cela implique. Pourquoi cette situation paradoxale alors que la demande en bois et dérivés ne fléchit guère [2] ?

La plupart des scieries se sont pourtant modernisées : automatisation, travail en continu et même, dans certains gros établissements très performants, scannage préalable des grumes pour en rentabiliser au mieux la découpe. On est loin du travail quasiment artisanal des scieries mobiles à vapeur et des "machinaïres" [4] des pinhadars de jadis, mais cela engendre endettement et, conjoncture oblige, difficultés de trésorerie.

Cependant le temps long des forêts et des sylviculteurs ne suit pas exactement le rythme nécessairement plus court des industriels. Ceux-là répondent à la demande d'un marché très évolutif et généralement instable, lié à la conjoncture économique et, qui plus est, confronté à la concurrence internationale. Elle n'est pas nouvelle, mais se précise et s'élargit.

Certes, en ces années 2000 la mondialisation se confirme et réel est l'appétit manifesté, tant pour le bois que pour d'autres matières premières, par la Chine ou par d'autres pays émergents. Mais, au seul niveau européen, la compétition est rude, pour au moins deux raisons.

D'une part, à l'intérieur même de l'Union européenne, les fameux avantages comparatifs [4] peuvent déjà profiter depuis deux décennies ou plus à des pays à main-d'œuvre moins coûteuse ou à fiscalité avantageuse (Espagne ou Irlande par exemple).

D'autre part, en ce printemps 2004 où fait rage en France le débat référendaire sur le projet de Traité constitutionnel européen, se profile aussi l'entrée des pays de l'ex-Europe de l'Est du temps de la Guerre froide, appelés aussi et plus pertinemment du point de vue géographique les "PECO" (pays d'Europe centrale et orientale). Caricaturée sous la forme réductrice dite du "plombier polonais", se pose encore la question des avantages comparatifs dans ces États qui entrent cette année même dans l'UE [5], assoiffés de liberté et résolument tournés vers le libéralisme économique. Le changement de "géométrie" de l'Europe suscite d'ailleurs des opérations de délocalisations des sites productifs ou même des services vers la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie ou autres.

[1] Elle touche beaucoup plus la Gironde et la partie nord des Landes, tandis que le redoutable ouragan Klaus du samedi 24 janvier 2009 ravage, lui, le cœur du massif landais.

[2] La consommation croît dans un contexte de besoins qui augmentent dans les secteurs de l'ameublement, du bâtiment (décoration, lambris, parquets), du bricolage et de l'aménagement liés à l'augmentation du parc immobilier et du temps de loisirs.

[3] Machinaïre : terme gascon, couramment utilisé sur les chantiers, désignant l'ouvrier qui, fonction importante, entretenait la machine à vapeur actionnant les scies mécaniques.

[4] Vieux paramètre du libre-échange, cette notion représente les avantages qu'un pays peut mettre en avant et exploiter dans l'échange international : coût et qualité voire docilité de sa main-d'œuvre, formation de ses cadres, facilité d'accès aux matières premières, fiscalité, législation sur le travail...

[5] En 2004 : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie. La Bulgarie et la Roumanie n'adhèrent qu'en 2007.

Jean-Jacques Fénié

Transcription

Inconn
Expo à Mimizan dans les Landes, le plus grand salon européen de la sylviculture ferme ses portes ce soir après trois jours de débat sur l’avenir de la filière. Fermeture sur un constat inquiétant, celui de la débâcle des scieries qui déposent leur bilan les unes après les autres. En cause, le prix du bois qui serait trop cher. Illustration à la scierie de la Bénesse-Maremne liquidée hier. C’est le dossier de notre édition, il est signé Philippe Niccolaï et Laurent Montiel.
(Bruit)
Philippe Niccolaï
Ultime vrombissement de la machine, c’est fini. La mort dans l’âme, Christian Nicolas, 31 ans après l’avoir fondée arrête sa scierie. Lâché par le milieu bancaire, dit-il. Machines trop chères, affaire non rentable qui ne dégage pas de marge lui dit-on. Jeudi, sa scierie a été liquidée.
Christian Nicolas
Les banques, effectivement ne nous ont pas du tout suivi. Et ce qu’ils nous ont trainé pendant plus de 8 mois sans nous donner aucune réponse, ni oui ni non. D’ailleurs aujourd’hui, je n’ai toujours pas eu de réponse. Ils nous ont entrainés au dépôt de bilan, le bilan complet. Alors que j’étais très très soutenu du côté institutionnel. Je n’ai absolument rien à dire, région, département et autre.
Philippe Niccolaï
Prix du bois élevé, transformation coûteuse, mauvaise revente, trois raisons pour un gâchis. Aujourd’hui, Christian Nicolas réclame une réunion pour interpeler ceux qu’il estime coupables de nombreuses faillites.
Christian Nicolas
En commençant par les propriétaires qui eux, veulent toujours vendre plus cher leur bois alors qu’ils savent, et ils savent très bien que nous sommes confrontés au marché international et qu’aujourd’hui, avec le pin maritime, on n’a pas suffisamment de bois noble dedans pour concurrencer les bois d’importation. C’est impossible.
Philippe Niccolaï
Alors face à tant de mépris, les Nicolas ont trouvé une solution qui pourrait fort déplaire.
Damien Nicolas
Pourquoi pas, travailler avec l'ennemi, on a essayé de la combattre jusqu'à maintenant, mais aujourd’hui, le pin maritime nous a amené à l’échec. Nous avons des contacts aujourd’hui avec des sociétés provenant des pays de l’Est qui sont intéressées par notre chiffre d’affaires, par notre potentiel au niveau de la clientèle locale et régionale concernant tous les bois de construction.
Philippe Niccolaï
Premiers acheteurs de bois, les professionnels inquiets alertent donc les propriétaires.
Philippe Labadie
Nous, les scieurs nous représentons 85 % des revenus des propriétaires forestiers. Ce qui est énorme. Si déjà, l’ensemble des acteurs de la filière sont capables de travailler ensemble, on a des enjeux énormes à l’avenir. Et moi, je suis convaincu que ce passage difficile devrait nous amener d’ici deux années vers quelque chose qui va être au contraire très, très, très positif. Mais il nous faudra beaucoup de courage. Et il faudra que nos élus aussi aient le courage de prendre les décisions et de nous aider.
Philippe Niccolaï
En 1992, les Landes comptaient 90 scieries, 11 ont fermé en 2003. Aujourd’hui seules 36 survivent, 7 sont menacées de disparition. 5000 emplois sont en jeux.