Grèves aux Forges de l'Adour [Muet]

05 janvier 1962
01m 31s
Réf. 00225

Notice

Résumé :

Rassemblement, place Saint-Charles, des ouvriers des Forges de l'Adour en grève, suite à l'annonce de la fermeture du site.

Date de diffusion :
05 janvier 1962

Éclairage

Sur la rive droite de l'estuaire de l'Adour, les deux communes voisines de Tarnos (Landes) et du Boucau [1] (département des "Basses-Pyrénées" jusqu'en 1969), ont connu une histoire industrielle singulière. En effet, en 1881, essentiellement pour les besoins de la Compagnie des chemins de fer du Midi qui étoffe alors son réseau, s'établit l'usine des Forges de l'Adour. Le minerai de fer vient alors de Biscaye et le charbon alimentant les hauts-fourneaux provient d'Angleterre ou du Pays de Galles, cependant que les cargos exportent les poteaux de mine de la forêt landaise.

Les deux villages du Boucau et de Tarnos connaissent alors une transformation de ville-champignon : 2659 habitants au total en 1882, 8561 en 1902 où se mêlent paysans gascons, basques ou cohortes d'ouvriers venus de Saint-Chamond, Moyeuvre ou Homécourt. De véritables cités ouvrières se constituent, avec logements de type "corons" et château directorial, sur fond de "communale" et d'école des "sœurs" pour les filles. L'identité de cette communauté se construit aussi aux éclats des luttes sociales où le parti communiste s'implante dès le lendemain de la Première Guerre mondiale.

Aussi, quand en 1961 la Compagnie des forges et ateliers de la Loire, propriétaire de l'entreprise, envisage de cesser son activité, pour des raisons financières, techniques et de concurrence internationale, l'émoi est grand dans la petite agglomération industrielle. Certes, les pouvoirs publics et le "patronat" vont faire en sorte de gérer en douceur la reconversion du site, d'autant que des perspectives nouvelles et même novatrices liées aux transformations économiques du piémont pyrénéen [2] permettent heureusement de le faire ; mais la population, dans laquelle la tradition de lutte sociale est bien ancrée, ne manque pas de se mobiliser.

La foule ouvrière, où dominent en ce froid matin de janvier 1962 les canadiennes, les bleus de travail prolétaires et bien sûr les bérets basques, se rassemble sous les platanes dénudés de la place. Certains sont venus à vélo. En ces tout débuts de la société de consommation, on vit plutôt chichement quand on travaille à la CFAL. Mais, qu'on soit manœuvre, ouvrier qualifié ou même contremaître, l'annonce d'une fermeture des "forges", c'est comme un séisme. N'y travaille-t-on pas depuis deux, voire trois ou quatre générations ? Devra-t-on quitter les bords de l'Adour, les sorties aux bains de mer jusqu'à la plage du Métro, et délaisser le stade de Piquessarry où le dimanche on encourage les "Forgerons", les "quinzistes" du Boucau Stade en maillot noir ?

Une banderole préfigurant le slogan occitaniste "Volem viure e trabalhar al país" des années 1970, affirme la volonté de "vivre ici en travaillant". Des fichus de femmes bien sûr se repèrent aussi, et trois prêtres en soutane et béret basque participent au rassemblement. Le "modernisme" vestimentaire de Vatican II n'a pas encore soufflé mais comment l'Église ne serait-elle pas attentive elle aussi à la question sociale ?

De puissants haut-parleurs diffusent les prises de paroles des leaders syndicalistes et des "notables". On vote majoritairement pour le Parti communiste à Tarnos et au Boucau. Parmi les responsables de cette action collective on aperçoit le responsable de la CGT des "Forges", André Maye, né en novembre 1920, qui plus tard devient maire de Tarnos (1971-1991) et conseiller général du canton de Saint-Martin-de-Seignanx (1970-1988).

Les Forges sont démantelées en 1965. Néanmoins d'autres activités industrielles prennent le relais : aéronautique, engrais et, dans les années 1990, s'implante une nouvelle activité sidérurgique à l'initiative de capitaux espagnols.

[1] Le gascon bocau a le sens d'"embouchure fluviale". L'Adour se jetait encore à Capbreton au XIVe siècle avant que les Bayonnais et l'ingénieur Louis de Foix, en 1578, ne captent définitivement ses eaux. L'amélioration de l'accès au port de Bayonne, malgré la redoutable barre de l'Adour, et la desserte ferroviaire à partir de 1855 entraînent en 1857 la création du Boucau comme municipalité à part entière (Pyrénées-Atlantiques aujourd'hui).

[2] Il s'agit surtout du soufre, sous-produit du gaz de Lacq, et le maïs, plante-miracle dont la nouvelle politique agricole commune européenne dope la production dans les "pays de l'Adour".

Jean-Jacques Fénié

Transcription

(Silence)