La chasse à la palombe dans les Landes

11 janvier 1989
14m 21s
Réf. 00273

Notice

Résumé :

Entre Sore et Luxey, dans la Haute Lande, Gérard Morel participe à une partie de chasse à la palombe. Campés dans un poste de guet, trois chasseurs évoquent avec lui la construction de la palombière et leur attachement pour cette chasse traditionnelle landaise qui se transmet d'une génération à l'autre.

Type de média :
Date de diffusion :
11 janvier 1989
Source :

Éclairage

Fin octobre, une étrange épidémie sévit dans les Landes, que l'on appelle la "maladie bleue". De nombreuses maisons ferment leurs portes, les salariés partent en congé. La période de chasse de l'oiseau bleu, la palombe, va du 15 octobre au 20 novembre.

Les palombières sont des cabanes où se cachent les chasseurs pour faire poser autour d'eux, au moyen d'appelants, les vols de pigeons ramiers afin de les attraper au filet ou au fusil. Situées sur des sites anciens, construites des mains mêmes des utilisateurs, elles permettent de reconstituer une maison qui communique avec le ciel et les oiseaux que l'on appelle en "chantant" (le chant de l'oiseau content est parfois imité "à la gorge" par certains chasseurs). Ainsi la chasse à la palombe prend une telle importance dans la vie des hommes qu'elle est devenue une manifestation essentielle d'une identité régionale proclamée et défendue pied à pied depuis des décennies.

Le propriétaire de la parcelle autorise l'installation d'une palombière, sous réserve d'entretien. L'alentour et les chemins sont nettoyés. Dans la forêt landaise, elle comprend un tunnel au sol pour aller sans être vu d'un poste à un autre, afin d'actionner les appelants répartis sur des arbres éloignés les uns des autres : ici à Sore, c'est une galerie de 860 m faite de piquets d'acacia et de brande (bruyère) et recouverte de fougères. Il y a aussi une tour incluant un poste de guet, abritant quatre personnes, dont le toit de feuillages peut se relever. Cet outil suppose un investissement important ; la construction de celle-ci a nécessité 96 jours/homme ; il faut chausser des crampons d'élagueur pour vérifier et entretenir l'installation.

Les appeaux (palombes capturées et apprivoisées), perchés sur des potences, dont certaines en portent plusieurs, s'agitent quand on fait bouger leur support, par un système de va-et-vient de la corde tirée par le guetteur. De la confiance manifestée par ces appeaux dépend la réussite du leurre : on les fait boire et manger, en mâchant leur nourriture puis en la leur soufflant dans le bec.

Les longs moments d'attente d'un vol sont animés par les histoires que l'on se raconte. En effet, l'attachement quasi amoureux pour cette chasse traditionnelle se transmet de génération en génération.

Outre les soins affectueux que l'on prodigue toute l'année aux oiseaux apprivoisés (les appelants), l'ambiance des guetteurs est plus que cordiale, car les participants témoignent d'une culture bâtie sur une histoire d'amour pour cet oiseau intelligent et imprévisible. Il s'agit "d'être plus malin que lui", et le succès, le moment de la jouissance, c'est, bien plus que la dégustation du gibier, de "la faire descendre du ciel" et "prendre", c'est-à-dire s'intéresser et se laisser faire peu à peu. Ce sont des "joies immenses, mais aussi des grandes peines quand elles échappent".

Hubert Cahuzac

Transcription

(Musique)
(Silence)
Intervenant 1
Ne bougez pas. Vous voyez ?
(Bruit)
Intervenant 2
Je pense qu’elle vous a vu.
Intervenant 1
Mais si vous ne bougez pas, ne bougez pas.
Intervenant 2
La première année, on a fait la tour. Il y a 12 pins de sciage à peu près, de charpentes, de planches et de tout ce qu’il faut pour la construire. J’ai regardé un petit peu mes archives hier soir à la maison. Nous avons passé 32 jours chacun, ce qui fait 96 jours…
Journaliste
Un trimestre quoi.
Intervenant 2
Un trimestre pour construire la palombière la première année. La tour, quelques mètres de tunnel et un sol. Et tous les ans, on améliore, on agrandit. Ici, il y a 860 m de tunnel, de palombière. Avec tout le travail que cela représente ; puisque depuis le piquet d’acacia jusqu’à brande pour l’installation, tout ce qui est à faire, cela demande énormément de travail. On y passe environ chacun encore une douzaine de journées par an plus les aides particulières telles que son gendre ou mon fils qui montent les arbres, il faut monter.
Journaliste
La difficulté, c’est de monter au pin ?
Intervenant 2
La difficulté, c’est de monter au pin, il faut les jeunes. Parce que nous, on commence à avoir le souffle court. Ce n’est pas qu’on a peur, c’est que le physique ne suit pas.
(Bruit)
Journaliste
On met les appeaux, c’est cela ?
Intervenant 2
On met les appeaux au bout du pin. On met les appeaux sur une potence, une potence, le pendu un petit peu, avec une poulie où l’on fait passer une corde de rappel qui va en bas. Et qui fait le va-et-vient comme la montée des couleurs dans les casernes de France.
Journaliste
C’est un peu près cela. Des week-ends, tous les week-ends, tous les week-ends pendant plus de 9 mois, puisque la chasse, elle dure un mois et demi, la chasse à la palombe. Vous voyez votre famille quand vous ? A part votre fils, vous avez la chance. Sinon ça s’organise comment messieurs là ?
Intervenant 2
On voit la famille à la semaine et de toute manière, c’est le gros problème des paloumayres. Les femmes, comme je vous ai dit hier, ont beaucoup d’importance à mon avis. Mais en principe, elles sont vaccinées un petit peu comme nous. Elles sont habituées, elles sont nées là dans ce contexte. Elles n’ont entendu que parler de la chasse que par les grands-parents, par les parents et par nous. Donc, elles sont obligées un petit peu d’en passer par là. Et il vaut mieux qu’elles le fassent avec le sourire et non pas avec de la grimace, bien sûr.
Journaliste
Pourquoi cette chasse, elle est dans votre tête ancrée comme cela ?
Intervenant 2
Mais je ne sais pas.
Journaliste
Plus qu’une autre quoi ?
Intervenant 2
C’est la génération, oui.
Intervenant 1
C’est ça.
Journaliste
Pour dire que la chasse, c’est héréditaire ?
Intervenant 2
C’est héréditaire, c’est tout, oui. Ecoutez, sa mère venait à la palombière enceinte, bon, c’est peut-être beaucoup mais il chassait déjà mon fils. Il venait à la palombière. Bon, et puis, je vois qu’il va avoir un petit à la fin de l’année, mais sa femme vient à la palombière régulièrement. Elle vient, ce petit, ça m’étonnerait qu’il n’entende pas parler de chasse dès qu’il va… hein, il va entendre parler de chasse. Il risque de venir prendre un biberon ici. Les petits petits petits, on ne les veut pas trop, parce qu’ils pleurent n’importe quand. Mais enfin, il va très vite venir se mettre dans cette atmosphère de chasse si particulière, si chaude, si cordiale. Et puis, alors, il va savoir ce que c’est qu’une palombe, avant de savoir ce que c’est qu’une poule ou un dindon, c’est presque cela. Il va voir des palombes, il va arriver à la maison, il va se promener dans les jardins, il y a la volière avec des palombes. Il va rentrer à la maison, il va entendre son oncle ou moi ou son père parler de chasse à la palombe. Parce que de la chasse à la palombe, nous en parlons toute l’année.
Intervenant 3
Il y en a d’autres qui passent. Ah oui, je le vois.
(Bruit)
Intervenant 4
Mais dis donc, qu’est-ce qui t’es arrivé ? Cette année, tu as passé le gyrobroyeur comme les autres années là mais tu n’as pas terminé. Tu l'as cassé, qu’est-ce qui s’est passé ?
Intervenant 5
[Incompris].
Intervenant 4
Pourtant on avait fait enlevé les souches là.
Intervenant 5
Il ne serre que deux fois.
Intervenant 4
Ah, ça n’est pas de veine, ça, là.
Intervenant 6
Vous le savez hein ?
Intervenant 4
Et toi aussi, tu es venu ici. Tu as abandonné ton travail pour venir à la traditionnelle chasse à la palombe.
Journaliste
Les palombières sont installées sur des terrains qui appartiennent à des propriétaires, comment cela se passe avec eux ?
Intervenant 2
Alors, ça se passe très bien. Quand on veut s’installer, bon, la première des choses à faire, c’est d’aller voir ce propriétaire. On va à la mairie, au plan cadastral pour savoir à qui cela appartient et on contacte le propriétaire et on lui demande l’autorisation. On lui demande par écrit ou verbalement. Si c’est un propriétaire du cru, on lui demande verbalement, et si c’est un propriétaire plus lointain, on lui demande par écrit. Et alors, à 99% des cas, c’est oui, parce que les propriétaires sont fiers d’avoir une palombière sur leur terrain.
Journaliste
Evidemment, vous l’entretenez ?
Intervenant 2
Oui, on l’entretient, on est souvent là, oui.
Journaliste
Le propriétaire le confie à des chasseurs comme vous, vous allez entretenir.
Intervenant 2
On est souvent là. On ne passe pas…
Intervenant 7
Il n’y a aucun problème.
Intervenant 2
Il n’y aurait pas de palombière, je me demande si des chemins seraient entretenus comme ça au cœur de la forêt et tout. On nettoie sous les arbres pour accéder aux appeaux.
(Silence)
Journaliste
Est-ce que la palombe vous a, à chacun, inspiré une petite réflexion ? Qu’est-ce que vous diriez de cet oiseau ? Quand vous en parlez, vous êtes tellement amoureux de la palombe, vous avez déjà une histoire d’amour à me raconter avec cet oiseau ?
Intervenant 8
C’est un oiseau tellement difficile et tellement…
Journaliste
Tellement intelligent ?
Intervenant 8
Tellement… je pense, tellement intelligent, qu'il s’adapte à des situations. On ne sait jamais comment va se passer la chasse dans la journée. On ne peut pas savoir comment va se passer la chasse, tellement, elles sont différentes d’un jour à l’autre.
Intervenant 1
Exactement.
Intervenant 2
La palombe, c’est la maîtresse un peu. C'est comme une maitresse. Elle peut apporter des joies immenses, elle peut apporter des peines assez profondes.
Journaliste
Pourquoi par exemple ?
Intervenant 2
Elles nous coûtent cher... Des peines ? Ben, quand elles sont plus malines que nous et que c’est elles qui ont raison. Qu’on croit qu’on les a à portée de la main, qu’on va les attraper, et puis, hop, c’est à ce moment-là qu’on ne les a plus. Bon, alors, c’est une peine assez profonde pour nous chasseurs. Et puis, elles nous apportent beaucoup de joies quand on arrive à les faire tomber du ciel puisque quelquefois, elles passent ; on dirait que ce sont des petits points qui se déplacent dans le ciel et puis qu’on arrive au moyen d’un pauvre appeau dans la nature, c’est rien du tout. Qu’on arrive à les faire descendre du ciel avec des pattes en suspens, l’appeau retourné, ça, c’est des instants inoubliables. Moi, je dis que quand t’as la palombe entre le moment où elle passe, bon là, cela ne me fait rien ; mais quand au moyen de cet appeau je vois qu’elle commence à freiner, à croiser, à prendre comme on dit, puisque c’est le terme, à prendre et à venir tomber du ciel, les pattes en suspens, de venir se poser sur un pauvre petit chêne de 20 m ou un pin de 30 m ; moi, cet instant-là, il est pour moi dans la tête là, c’est une jouissance extraordinaire. Et la deuxième phase importante, pour moi, c’est quand depuis ce pin ou depuis ce chêne, au moyen de la gorge en les appelant ou au moyen de la palombe de cabane, autrement dit un leurre tout à fait naturel ; j’arrive à les faire descendre sur un petit carré de 6 m sur 12 alors qu’elles arrivent de l’immensité ; moi, c’est un deuxième moment extraordinaire. Après, dans l’assiette, je ne les aime pas.
(Musique)
Journaliste
Ainsi se termine Leçons de chasses sur ces images d’appeaux et de palombes. Leçons de chasses, pour notre grand plaisir, nous sommes allés du 1er octobre au 20 novembre voir un peu comment se passait cette chasse traditionnelle dans les Landes, dans la Haute Landes précisément, à Sore et à Luxey. Alors, retenez bien, sur ces belles images que si la chasse dure environ cinq semaines ou un mois et demi ; et bien, les chasseurs travaillent tout au long de l’année plus de 9 mois à bricoler à entretenir, à cajoler leur palombière ; à faire en sorte que la forêt soit respectée, qu’un équilibre de nature soit présent, et puis pour revenir l’année prochaine. Merci à eux de nous avoir montré cette chasse très élégante et très ancestrale dans les Landes, où nous avons passé ce moment alors. Je vais saluer mes compagnes, ces deux appeaux que j’ai descendus des arbres, et puis à leur façon, ils vont vous dire au revoir.
(Bruit)
Journaliste
Salut la belle.
(Musique)