La pêche à la pibale

21 février 1996
04m 55s
Réf. 00275

Notice

Résumé :

Particulièrement réglementée, la pêche à la pibale, qui se pratique sur les rives du courant de Mimizan par des pêcheurs professionnels, s'est depuis quelques années intensifiée. D'un point de vue gastronomique, la pibale est un mets recherché que les grands chefs landais savent accommoder pour le plus grand plaisir des amateurs.

Type de média :
Date de diffusion :
21 février 1996
Source :

Éclairage

La civelle, appelée aussi "pibale" en Gascogne, "sarieta" au Pays basque, "montinette" en Picardie, "buiron" en Provence, "angula" ou "pibe" en Espagne, est l'alevin de l'anguille.

Pondue dans la mer des Sargasses, aidée par les courants (Gulf Stream etc.), la larve entame une traversée de près de 6 000 km qu'elle effectue en moins d'un an, pour arriver civelle (ou pibale) sur nos côtes vers la fin octobre et jusqu'à avril-mai, avec un pic en janvier-février. Elle mesure alors de 55 à 75 mm et pèse entre 0,20 et 0,30 g. Au cours des mois suivants, tout en remontant les fleuves, elle se transforme profondément, perdant sa transparence et se pigmentant peu à peu en noir puis en jaune pour devenir anguille jaune. Des années plus tard (5 à 15 ans), devenue adulte, omnivore, vorace et agressive, et mesurant entre 40 et 120 cm, elle subit une nouvelle transformation physiologique, devient argentée et dévale vers la mer des Sargasses pour y pondre à son tour ses œufs. C'est une espèce catadrome.

La pibale remonte en surface la nuit, en cordon, à la faveur du montant (courant inversé pendant 3 heures par la marée dans les cours d'eau), et replonge au fond ou dans le sable avec la lumière du jour. C'est une pêche de surface, pratiquée dans les "courants" landais au faible débit, tels que celui, dit de "Mimizan", qui relie à l'Océan l'étang d'Aureilhan. Des piteys (pontons) facilitent la prise. Pour la pêche à pied, les civelles sont attirées la nuit au moyen de lampes et capturées avec de grands tamis (1,20 m de large maximum) appelés "piballou".

La pêche à la civelle est très réglementée et contrôlée. Autrefois "tolérée" du 1er novembre au 31 mars, elle l'est depuis les années 2000 du 1er décembre au 15 avril, en échange d'une déclaration des prises et des ventes auprès des Affaires maritimes. Depuis 2006 la pêche de la civelle est interdite pour tous les pêcheurs amateurs, même en domaine maritime. Le nombre de pêcheurs professionnels n'a lui, cesser de diminuer [1].

Dans les années 1970-1990, la demande la plus forte émanait de l'Espagne. La pibale fait partie des plats les plus recherchés à la carte des grands chefs du Sud-Ouest.

[1] 57 marins pêcheurs titulaires d'une licence CIPE (Commission des Poissons Migrateurs et des Estuaires) en 2000, 13 pêcheurs en 2001, 5 en 2004.

Hubert Cahuzac

Transcription

Patrick Pannier
Bonsoir, Aquitaine première en pleine nature sur les rives du courant de Mimizan. Ici, les pêcheurs professionnels n’hésitent pas à passer des nuits entières alors que les amateurs sont en bordure de mer. Ces jours-ci, les cours de la pibale ont grimpé jusqu’à 7 à 800 francs en raison notamment de la forte demande espagnole. Aquitaine première vous emmène dans une pêche nocturne, véritable patrimoine régional.
(Musique)
Patrick Pannier
Dans l’obscurité, Miguel est à la recherche du meilleur endroit pour pêcher les pibales. Toutes les nuits, comme lui, ils sont une quarantaine de pêcheurs professionnels à se partager les [piteils], ces pontons très proches les uns des autres, sur les berges du courant de Mimizan, qui se jette quelques centaines de mètres plus loin dans l’océan. Un domaine réservé où tout le monde se connait, et où les amateurs ne sont pas admis.
Intervenant 1
Allez monsieur Marsan, bon, il y en a pas mal là, c’est bien. Une bonne cinquantaine. Et vous ? [Incompris].
Miguel Sevilla
Au fur et à mesure que la marée monte, qu’est-ce qu’elle fait la pibale, elle monte vers le lac parce qu’elle suit toujours contre courant. Donc automatiquement, nous, sur la bordure du courant automatiquement, on la pêche pendant trois heures de temps de montant. Une fois que les trois heures de temps du montant sont terminées, elle, le poisson, qu’est-ce qu’elle fait la pibale, elle se replante dans le sable.
Patrick Pannier
Chaque nuit, plusieurs contrôles de gardes pêches sont effectués aux abords du cours d’eau afin de dissuader les intrus. Car comme ces dernières nuits, en raison dit-on de la lune favorable, la pêche est parfois miraculeuse dans les tamis sortis de l’eau.
Miguel Sevilla
C’est un effort quand même qui n’est pas facile, il faut avoir de bons bras, voilà, et ensuite voilà. On lève et puis on vide dans la caisse.
Patrick Pannier
Un geste ancestral, simple, répétitif, épuisant mais tellement lucratif. Ces pêcheurs qui, après une nuit passée dehors avec la seule lueur d’une lampe à carbure, et qui se retrouvent au petit matin pour la pesée de leurs butins, vont pour la majorité, enchaîner avec une journée de travail. C’est dire si l’enjeu en vaut la chandelle. Mais ici, pour cette pêche pratiquée en eau trouble, on affirme miser sur la transparence vis-à-vis de la loi.
Francis Minjot
Les affaires maritimes ont imposé à une catégorie de pêcheurs où ils leur ont délivré une tolérance de pêches et de ventes avec une seule condition, c’est de vouloir jouer le jeu à fond, c'est-à-dire ne pas avoir honte de déclarer leurs prises et de déclarer le salaire.
Patrick Pannier
La forte demande espagnole, ces dernières années, et l’ouverture récente du marché asiatique, Chine, Birmanie, Indonésie, font qu’aujourd'hui la pêche à la pibale est devenue intensive mais selon les pêcheurs, sans danger pour la pérennité de l’espèce.
Isnel Marsan
Bien sûr, il y a un certain prélèvement mais enfin, il n’est pas excessif. Parce qu’il faut savoir aussi que, il y a une période de pêche du premier novembre au 31 mars, mais qu’elle continue de monter toute l’année.
Patrick Pannier
Ce matin, le cours de la pibale flirtait avec les 800 francs. Dans les années 70 il dépassait à peine les 30 francs. C’est dire que de l’estuaire de la Gironde, à l’embouchure de la Bidassoa, on souhaite voir longtemps encore cet alevin d’anguille remonter les cours d’eau, la nuit.
(Musique)
Intervenant 2
Pour moi c’est une très belle pêche. Mais une pêche qu’on pratique encore sur les bordures du courant de Mimizan, une pêche ancestrale qui se pêche manuellement et qui n’est pas une pêche mécanisée.
Intervenant 3
Ben, on y va des fois pour rien, pour rien prendre d’abord. Disons que chaque fois qu’on y allait si on pouvait faire, disons, trois, quatre kilos ce serait bien. C’est pas régulier, voilà.
Patrick Pannier
Pourquoi vous faites ça vous ?
Intervenant 4
Ça fait un apport supplémentaire. Ça fait travailler les commerçants aussi, voilà. Il ne faut pas dire que les gens y vont pour le plaisir quand même, je ne pense pas hein. Voilà.
Patrick Pannier
Combien ça vous rapporte par an, vous chiffrez ?
Intervenant 4
Dans l’année, sur, disons, ça démarre le premier novembre jusqu’au fin mars, fin mars, je ne sais pas moi, 20000 francs à peu près, un truc comme ça.
(Musique)
Henri Combret
La pibale a déjà un goût neutre hein. Donc la façon de cuisiner est très importante avec surtout un équilibre d’épices important. Pour les gens qui cuisinent la pibale, il y a énormément de spécialistes dans notre région, le mélange d’épices est important et sans oublier l’ail, la façon de les pocher, il y a tout un art, un art culinaire autour de la pibale, et c’est là où on voit les grands cuisiniers. Il faut dire que malgré tout il y a un paradoxe, c’est que nous sommes dans un pays de pibales, et qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont jamais mangé de pibales, donc je pense qu’il y a quand même, il faudrait maintenant que les gens commencent à la goûter une fois, pour connaître ce goût-là, et à partir de ce moment-là, la tradition pibale va continuer et se perpetuer.