Architectures rurales : l'airial du Rouncaou

17 juin 1995
11m 02s
Réf. 00303

Notice

Résumé :

A quelques kilomètres de Taller se trouve l'airial du Rouncaou, propriété des Seguin, anciens métayers, transformée depuis peu en chambres d'hôtes et camping. Dans ce lieu chargé d'histoire, exemple type de l'architecture paysanne landaise, Marie-Thérèse Seguin raconte la vie d'autrefois pendant qu'à l'extérieur les hommes s'adonnent à des activités d'un temps révolu.

Type de média :
Date de diffusion :
17 juin 1995
Source :

Éclairage

À 7 km du bourg de Taller, entre pays de Brassenx et Marensin [1], le cœur d'un airial bat encore à Roncau. Ce dérivé du latin médiéval runcare, "défricher" [2] , rappelle une terre mise en valeur anciennement puisque le mot a disparu du lexique gascon moderne.

C'est un univers authentique. Toutes les composantes traditionnelles de l'airial planté de chênes, où hommes et bêtes se côtoient, s'y déclinent dans une belle harmonie. Tout d'abord, la maison, l'ostau, est recouverte d'un toit à quatre eaux, abrité par des tuiles-canal héritières, comme dans tout le Midi, de la tegula des Romains. Destinée à abriter deux ménages, elle s'organise en parties symétriques appelées part davant et part darrèr, "partie orientale et occidentale", séparées par des cheminées adossées.

Qu'elle soit de taille remarquable, comme à Taller, ou plus modeste, la maison landaise est montée sur une ossature de bois. Les pièces maîtresses de la semelle (sòla), les petits poteaux porteurs (estantons), et les pièces de charpente, arbalétriers (balestrèrs), entrait (trav), panne faîtière (cirman), poteaux porteurs (estants), et poinçon (cindre) sont en chêne tandis que chevrons (cabirons) et colombage (corona) sont en pin.

Tenues par un savant assemblage de tenons et de mortaises, l'ensemble est démontable, transportable et évolutif. Les récents travaux menés sur la maison, dite de Guiraute, à Sabres, apportent un éclairage intéressant sur ce concept très ancien qui permet à la bâtisse de s'adapter à la famille ou tinel [3].

On comprend, dès lors, qu'ici "le charpentier soit plus important que le maçon".

Au sud du Pays de Born, en Marensin, en Maremne et, d'une façon générale, sur toute la côte landaise, le parement de mortier est fait de chaux aérienne garni de briquettes (barrons) organisées en "feuilles de fougère", contrairement aux autres techniques employées ailleurs dans les Landes, qui utilisent plutôt un torchis fait de paille tressée, mélangée à de la terre, et badigeonné de chaux.

Allusion à l'ancienne pratique du métayage, la maîtresse de maison de Roncau, rappelle que la demeure abrite sous les combles un grenier où l'on conservait jadis le maïs partagé avec le propriétaire (lo mèste). Le métayage dans les Landes est en effet un statut bien particulier, un mode de faire-valoir indirect, apparu sans doute dès la fin de l'époque médiévale. Il consiste, suivant l'étymologie, à partager "à moitié" les revenus de l'exploitation avec le propriétaire [4]. Cet échange, qui n'est pas fondé sur l'argent comme les contrats de fermage, est plus ou moins aléatoire selon les lieux et la nature des rapports entre les hommes.

Qu'il s'appelle bordilèr, habitant une simple bòrda, hasendèr, mettant en valeur les terres comme dans les haciendas ou fazendas latino-américaines, ou meitadèir, le métayer est redevable d'un loyer en nature très variable.

Dernier avatar d'une société féodale fondée sur la soumission absolue du serf au seigneur pour les uns, structure originale fondée sur un contrat moral dans une société d'hommes libres, régie par coutumes et franchises, pour les autres, le métayage est un sujet de controverse [5]. S'il est assuré que, dans la plupart des cas, ce système reposait sur un consensus adopté par les deux parties, la condition de certains a conduit, dans l'immédiat après-guerre 14-18, à la révolte des Picatalòs [6].

Disséminés autour de la bâtisse, la sot du porc, lo porèr (poulailler), lo cariu qui abritait les mules, la hornèra (four à pain), lo cerèr (la grange)[7], lo lenhèr [8] ou grange à bois et l'étable aident à appréhender ce qu'était l'ancien mode de vie.

Les gens de Roncau, les Seguin, gardent, de fait, le souvenir des temps pas si lointains, où l'on y vivait en autarcie, produisant tout ce qui était nécessaire à la vie, de la laine des vêtements au pain quotidien. "On a travaillé comme des bêtes de somme", rappelle Marie-Thérèse, fière cependant de ce que les quatre générations précédentes ayant vécu sous ce toit ont transmis.

Agriculteurs installés sur une exploitation de 14 hectares, puis forestiers, ces anciens métayers gardent avec eux l'ancien berger de la propriété, descendant d'une lignée de pasteurs ; ils maintiennent ainsi tout l'héritage économique de la Lande passée du système agro-pastoral à la sylviculture et savent que ce mode de vie est un luxe, un retour tant espéré par des générations de citadins à l'authenticité. Alors ils donnent l'exemple, décidant de transmettre, valorisant ce qu'ils ont de plus cher. Au lieu de détruire, ils aménagent, précurseurs dans les années 1995, d'un tourisme vert thématique.

[1] FENIE, Jean-Jacques et Bénédicte, Dictionnaire des pays et provinces de France, Bordeaux : éd. Sud-Ouest, 2000, 349 pages.

[2] DU CANGE, et al., Glossarium mediæ et infimæ latinitatis, Niort : L. Favre, 1883-1887.

[3] Collectif, De la lagune à l'airial, Actes du colloque de Sabres, novembre 2009, Belin-Belliet : éd.d u Parc naturel régional des Landes de Gascogne.

[4] L'origine du mot meitadièr, "métayer", est, en gascon comme en français, le latin medietatem, "moitié" car, en théorie, la récolte était partagée en deux, entre propriétaire et fermier.

[5] DUPUY, Francis, Le pin de la discorde: les rapports de métayage dans la Grande Lande, Paris : Maison des Sciences de l'Homme, 1996.

[6] Littéralement "pique-lombrics", d'où "piocheur, paysan". Ce surnom fut donné aux métayers révoltés en 1919-1920 entre Dax, Peyrehorade et Saint-Vincent-de-Tyrosse. Contestation des baux et manifestations enflammèrent ce secteur des Landes sur fond d'action syndicale et de soleil venant de l'est. On parla même d'un "bolchevisme agraire"...

[7] Du latin cellarius qui a donné le français cellier, le cerèr est une grange à foin.

[8] Le lenhèr est l'endroit où l'on range la lenha ou "bois de chauffage". Le mot procède du latin lignum.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
De l’époque où les Anglais vendangeaient l’Aquitaine, lorsque les guerres duraient 100 ans, il reste ce village, Taller, isolé dans la forêt des Landes de Gascogne que planta Napoléon III, tolérant tout juste, que perdurent quelques domaines comme le Rouncaou isolé à 7 kilomètres du bourg, avec ce grand logis du XVIIIème siècle, bien planté sur son airial où surgit un vol de grues cendrées en quête de printemps. C’est la maison de monsieur Seguin, agriculteur et forestier, comme on n’en fera plus de la Chalosse au Gabardan.
Marie-Thérèse Seguin
L’airial est une clairière au milieu de la forêt où se trouve implantée la maison d’habitation ainsi que tous les bâtiments annexes qui servaient à la vie de la ferme autrefois. Ici, nous avons la [sot] des cochons et le lou [porèr], là, lou [lenhèr] qui sert à engranger tous le bois, en face, le [cariu] avec l’étable des mules, le grenier pour le foin et les parties pour mettre les charrettes de bois, et en face, le [cerèr] où l’on engrangeait toutes les céréales et l’autre bâtiment qui servait d’étable pour les vaches.
Albert Chataigner
La maison du Marensin a une particularité, c’est d’être toujours un grand, grand bâtiment. Dans la partie basse, tout est en chêne. La partie haute, on le verra plus tard, il y a beaucoup de pins. Les coulanes sont toutes en chêne aussi. Entre ces coulanes, il y a le remplissage qui est composé de briques faites dans les tuileries autrefois locales et scellées au mortier de chaux, chaux aérienne. L’avantage de ce liant, c’est que c’est un liant qui laisse respirer le mur. Les briques sont dans ce sens parce que, à plat, cela ne rentre pas alors qu’en biais, il n’y a pas de découpe à faire. Cette poutre qui est en chêne, apparemment, cela paraît très abîmé mais étant, c’est du chêne pris dans le cœur, c’est du très bon bois qui peut durer encore très très très longtemps, il a encore autant de temps à vivre qu’il vient de vivre.
Journaliste
Et cela fait déjà trois siècles dans ce type de maison où le charpentier est plus important que le maçon. Le pastis bouilli parce que deux fois levé, c’est le gâteau du pays, à la vanille et à l’anis, d’où le nom sans doute, préparé à la manière traditionnelle, tout simplement parce qu’il n’y en a pas d’autre.
Marie-Thérèse Seguin
La pâte est à point, on va la mettre à lever maintenant. Autrefois, la ménagère se levait très tôt le matin et monsieur restait au lit. Alors, quand cette dame avait la pâte préparée, elle dit à monsieur, lève-toi. Allez, moi, il faut que je mette mon pastis dans la chaleur. Et on mettait la bassine de pastis dans le lit et recouverte par l’édredon comme je vais faire maintenant, voilà.
(Bruit)
Journaliste
La maison du Marensin, l’un des 14 pays des Landes de Gascogne, c’est une maison carrée, coiffée à quatre pans de tuiles canal, centrée sur un conduit de fumée en pierres aux cheminées adossées qui traversent le bâtiment, sans fondation, du sol au faîtage, héritier en quelque sorte du pilier central de la case des Gaulois.
Marie-Thérèse Seguin
Autrefois, dans le grenier, on mettait le maïs, et le maïs se partageait ici au grenier, un quart pour le propriétaire et les trois quarts pour le métayer.
Journaliste
C’est la maison familiale ici ?
Marie-Thérèse Seguin
Là, c’est la maison familiale, cela fait cinq générations.
Journaliste
Et vous n’étiez pas propriétaire ?
Marie-Thérèse Seguin
Pour nous, le titre de propriétaire importe peu. Vu qu’on habitait depuis très longtemps cette maison, le fait de la posséder en titre pour nous ne change rien, ça ne change vraiment rien, parce qu’il y a tout ce passé vécu.
(Bruit)
Journaliste
Aujourd’hui à la retraite, Olivier, l’ancien berger du domaine, lui-même fils de berger, le dernier de la commune. Toute sa vie, il poussa devant lui ses 180 moutons, des manechs, la race locale, l'année entière dehors à pâturer les bruyères, ce qui fait les viandes les plus fines, défilant les heures en filant la laine comme une bergère, avec l’antédiluvienne méthode des bergers, la tournette. Ceux qui savent faire ça aujourd’hui en France, il n’y en a pas beaucoup, avec ces méthodes d’avant le fuseau et le rouet que Jeanne d’Arc elle-même n’utilisait plus. Comme tous les bergers, ça n’est pas un causeur. Les machines modernes ne font pas la laine plus belle si elles la font plus vite.
(Bruit)
Marie-Thérèse Seguin
Maintenant, je vais mettre la bécasse, l’attacher pour la faire cuire à la ficelle, à la mode ancienne.
Journaliste
Petite noire ou grosse rousse, de 200 à 300 grammes, à la saint Denis, la bécasse arrive au pays et passe pour gibier de roi, parce qu’exigeant des chasseurs aguerris et mieux encore des cuisinières de longue expérience.
Marie-Thérèse Seguin
Il faut faire ça avec tout l’amour voulu. C’est comme si on rentrait en religion, de la même façon, il faut le faire.
(Silence)
Marie-Thérèse Seguin
Cela demande un temps de concentration.
Journaliste
On a donc tartiné de foie gras de canard, des toasts de pain de campagne qui vont servir de lèchefrite et recueillir le jus qui s’écoule des bécasses rôties, mais il ne s’agit pas d’abandonner le pastis qui va maintenant lever une deuxième fois.
Marie-Thérèse Seguin
Des œufs naturellement, des œufs, du beurre, une bonne giclée de rhum et une bonne giclée d’anisette ainsi que de la vanille, voilà, c’est tout ce qu’on met dans le pastis. Là, le pastis est à point, et avec la planche.
(Bruit)
Journaliste
Entre la confection de la pâte, les deux levées et la mise au four, il s’est écoulé environ 6 heures. Quant à la cuisson, pas de durée précise. C’est affaire d’intuition de la cuisinière.
Marie-Thérèse Seguin
Voilà, c’est terminé. Maintenant, on va attendre le miracle. Ça c’est le [claoué] que j’ai toujours vu dans la maison. Ceci, c’est les [cafetièrottes], on les mettait autrefois dans la cheminée, devant le feu pour chauffer le café, et ça c’était les gamelles qu’on avait pour partir travailler en forêt. Ensuite, on a le [incompris]. Autrefois, quand on avait lavé la vaisselle, on la mettait à égoutter dans ce petit meuble. Maintenant, il a changé de destination, il nous sert de saloir, voilà.
Journaliste
Tandis que dans l’âtre, un coup de vent inopiné annonçait de la visite si l’on en croit la tradition et avec pareil menu, on comprend les visiteurs du soir, monsieur Seguin respectueusement a décroché la ventrèche, parce que la ventrèche, c’est délectable.
(Bruit)
Journaliste
Dans les capucins, ces fers spéciaux rougis au feu, on va fondre le lard, en arroser les bécasses coupées en quatre avant de flamber les toasts à l’armagnac. 40 centimètres de terre arable avec un fond de sable de mer stérile ne facilitent pas le travail sur les 14 hectares du domaine en forme de trouée dans la forêt. On y récolte maïs, maïs semence avec un peu de sylviculture.
Marie-Thérèse Seguin
C’était vraiment trop dur, prendre le tracteur des journées entières, et maintenant, je n’ai plus envie.
Journaliste
Les vents dominants font l’écorce plus lisse à l’ouest, moyen commun de s’y retrouver, on abattra donc à l’est. 25 mètres de haut, 1 mètre 30 de circonférence, voici un pin de la deuxième génération après Napoléon III, le père de tous les pins, 19 mètres de longueur utile, cela fera 1mètre cube de bois de sciage. Aujourd’hui, bien sûr, on ne fait plus comme ça, fini le merlin, la scie passe partout de 2 mètres 10, la palotte ou lance à écorcer, mais tout à la tronçonneuse, c’est plus rapide, moins fatiguant et vous met l’arbre à 300 francs. La coloquinte, fruit d’une espèce de citrouille, vidée de sa moelle, elle devint il y a longtemps la première bonbonne de l’histoire de vin de clairet.
Inconnu
[Incompris]
Journaliste
Porte drapeau désormais de la batterie fanfare qui est la vedette des soirées de l’été sur le place pour la sérénade, trois représentants la famille Seguin ont soufflé dans le cuivre. La musique ici est une passion vraie, que l’on aime ou non le son du cor le soir au fond des bois.
(Musique)
Journaliste
Le touriste et l’enfant des écoles qui veulent tout savoir ont découvert que le pin est une vache à lait qu’il faut traire en saison avec une maîtrise oubliée ou presque, pas de quota en effet pour la résine importée bien moins coûteuse. Pour un arbre abattu, un arbre replanté, ce devrait bien être la loi. Il s’agit ici d’hydride de pin maritime ou de pin corse en plant de six mois, semi-naturel sur bruyère et ajonc, produisant des fûts plus élancés et des bois de meilleure qualité. L’inconvénient, ils plaisent bien aux chevreuils qui en font grande consommation. Et puis, disparus définitivement dans les années 80, les gemmeurs ne sont plus là pour surveiller.
(Bruit)
Marie-Thérèse Seguin
Il faut dire que dans le temps, on a travaillé comme des bêtes de somme et je préfère, nous préférons tous les deux nous consacrer à l’activité touristique. C’est sûr qu’à nos âges, c’est un coup de folie. Si on se lance dans la restauration de la maison en voulant lui garder surtout son âme, c’est qu’on doit se priver de pas mal de choses, et notre rêve ou mon rêve principalement, ça serait de faire une croisière, de vivre quelque chose de sensationnelle. Mais la croisière, on ne va pas la faire, on la fera dans les tuiles, dans les plâtres avec notre maison.
(Bruit)
Marie-Thérèse Seguin
Cette poutre-là, c’est donc un pin qui garde encore la trace de la carre et par-là coulait la résine, et d’ailleurs ici, on voit encore la trace des crampons où l’on mettait le pot de résine, il y en a une là, une autre ici, et ça c’est un [quatran] comme on appelait.
(Bruit)
Journaliste
Camping et caravaning à la ferme, chambres d’hôtes, présentation de techniques anciennes ou gastronomie de grand-mère, voire exposés historiques dans l’odeur entêtante, il suffit de demander le programme. Avec un résultat, déjà la moitié du revenu de l’exploitation.
Marie-Thérèse Seguin
Pour la saint Jean, il était de coutume de bénir les troupeaux et au cours de la messe, on bénissait ces croix qui sont faites avec des herbes, de la mousse, du jonc, et agrémentées de quelques petites couleurs. Parce que c’était pour protéger les maisons, parce qu’il faut que je vous dise, dans les Landes, dans la forêt, il y a une sorcière, il faut pas vous aventurer dans la forêt surtout le soir, et cette sorcière, on l’appelle la came-crude.
(Musique)