La mort du sculpteur Despiau

07 novembre 1946
54s
Réf. 00600

Notice

Résumé :

Mort de Charles Despiau, l'une des figures les plus représentatives de la sculpture française avec Rodin et Maillol. Le sculpteur laisse inachevé son "Apollon", sans doute son œuvre maîtresse.

Date de diffusion :
07 novembre 1946

Éclairage

C'est dans les salles de cinéma que l'on apprend par les "Actualités françaises", la mort, le 28 octobre 1946, à Paris, de Charles Despiau, sculpteur landais, né à Mont-de-Marsan le 4 novembre 1874.

En effet, au sortir du second conflit mondial, la télévision est encore expérimentale ; le cinéma, en revanche, attire un très large public, avide de distractions, comblé par l'arrivée massive de films américains, à la suite de la signature des accords Blum-Byrnes (1).

Après les sombres années de censure et de propagande, "Les Actualités", qui pérennisent un journal sonore fondé par Charles Pathé en 1908, jouent donc un rôle prépondérant dans la diffusion de l'information. D'une durée moyenne de 15 minutes, cette séquence hebdomadaire précède la projection des films pendant près d'un quart de siècle, entre le 4 janvier 1945 et le 25 février 1969. Si les sujets concernent principalement la guerre et à la Reconstruction, ils débordent aussi largement sur l'actualité.

En ce début du mois de novembre 1946, le décès de Charles Despiau s'inscrit dans une période cruciale pour la sculpture qui amorce un tournant majeur. Elle évolue en effet beaucoup depuis le début du siècle, sanctionnant, avec Rodin ou Camille Claudel, un académisme ébranlé par l'émergence d'un art plus indépendant, représenté par Bourdelle. Ceci annonce un courant avant-gardiste, issu du surréalisme, à l'origine du mouvement abstrait de l'après-guerre : une véritable remise en question.

Formé à l'école des Beaux Arts de Paris, après des études au lycée de sa ville natale, Despiau se fait connaître en 1907 en présentant le buste de Paulette (2), dévoilant alors un style personnel qui s'écarte déjà des canons officiels de la sculpture classique.

Or l'homme qui vient de mourir, laissant inachevée la statue colossale d'un Apollon destinée au parvis du musée d'Art moderne de Paris pour la grand exposition de 1937, fut le collaborateur de Rodin. Il fut aussi l'ami de Maillol, l'un des créateurs de la sculpture moderne qui osa rétablir une rupture avec le signifié, ouvrant la porte de l'abstraction ; une clé pour comprendre le parcours de l'artiste landais.

S'il doit attendre 1927 pour connaître la gloire, après sa première exposition personnelle organisée à New-York dans la galerie de Joseph Brummer, il est déjà largement reconnu en Europe depuis une bonne décennie et bénéficie, jusqu'au second conflit mondial, d'une grande notoriété. Mais sa participation, sous l'Occupation, à un voyage en Allemgne, organisé par l'artiste officiel du Reich, Arno Breker, un ami de longue date, appartenant à la bande de Montparnasse, lui vaut d'être accusé de compromission avec l'ennemi. Bon nombre de pairs le rejettent alors, précipitant sa fin.

L'art est donc bien en deuil, en cet automne 1946, avec le départ de cet artiste majeur, reconnu dans le monde entier, dont le musée Despiau-Wlérick (3) de Mont-de-Marsan conserve la plus grande partie des oeuvres (4).

(1) Les accords Blum-Byrnes, signés à Washington le 1er janvier 1946, permettent la libre pénétration du cinéma américain en France, en échange d'importants avantages financiers.

(2) C'est au Salon des Artistes Français que Rodin remarque le buste de Paulette, une jeune-fille de 11 ans, Paule Pallus (1896-1977), la fille de son avoué montois.

(3) Né à Mont-de-Marsan le 13 avril 1882, mort à Paris le 7 mars 1944, Robert Wlérick évolue tout d'abord sous la tutelle de Despiau. Inspiré par l'œuvre de Houdon, il sculpte principalement des bustes mais aussi des pièces majeures comme la statue du maréchal Foch érigée sur la place du Trocadéro, à Paris.

(4) Le musée montois, installé dans le donjon Lacataye, réunit les œuvres des deux artistes. C'est le premier musée français consacré à la sculpture figurative de la première moitié du XXe siècle.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
Journaliste
Charles Despiau est mort, ses mains n’animeront plus la pierre. Despiau que les actualités françaises avaient filmé l’an dernier dans son atelier pour servir à l’histoire de l’art fut avec Maillol disparu voici deux ans, la figure la plus représentative de la sculpture française. Il avait été le praticien et l’élève de Rodin ; ses œuvres dans lesquelles on retrouve le caractère humain et l’accent individuel des grandes lignées d’artistes resteront comme les témoignages d’un temps ; alors même qu’elles assurent la continuité des hautes époques françaises. Despiau laisse inachevé son Apollon, peut-être l’œuvre maîtresse de sa vie, inachevée mais éternelle comme la vie et comme l’art.
(Musique)