Lacs Landais

02 septembre 1973
08m 21s
Réf. 00602

Notice

Résumé :

Explications sur les problèmes d'envasement et de pourrissement des algues, des joncs, et des nénuphares dans l'eau du lac de Soustons.

Type de média :
Date de diffusion :
02 septembre 1973

Éclairage

Le début des années 1970 constitue un tournant dans l'évolution de l'environnement et des mentalités un peu partout en France. Poussés par le désir de promouvoir leur région et par la volonté d'améliorer le niveau de vie des citoyens, les décideurs encouragent les plans d'aménagement de tous ordres tout en commençant à prendre conscience des limites de ces bouleversements. Ainsi commence-t-on à s'inquiéter, à l'instar du philosophe aquitain Jacques Ellul (1), de l'accélération de l'exode rural entraînant le mitage des secteurs périurbains et de l'intensification de l'agriculture, indissociable de l'utilisation d'engrais chimiques.

Ce n'est donc pas un hasard si, dans ce contexte, Michel Péricaud (2), passionné par les questions liées à l'environnement, lance en 1971 l'émission intitulée La France défigurée, qui accompagne l'émergence de ce que l'on appelle encore « l'écologisme ».

Le plan Racine, qui a bouleversé la donne sur la façade méditerranéenne, démontre bien, en effet, qu'il faut être prudent en Aquitaine, où les différents schémas d'aménagement dessinés par la DATAR puis la MIACA (3) augurent de mutations profondes. On commence en effet à constater des altérations du milieu en raison de la fréquentation touristique exponentielle et du développement de pratiques incompatibles avec un environnement fragile. Car ici, aux confins des pays de Maremne et de Marensin, les pêcheurs ne sont plus seuls à fréquenter les lieux ; le beau plan d'eau de Soustons est devenu célèbre depuis que l'équipe de France d'aviron y a fait un séjour d'entraînement pour préparer les Jeux Olympiques de Tokyo (1964), grâce aux bonnes relations que le Docteur Barrère, alors maire de la commune, a établies avec le colonel Marceau Crespin (1913-1988), ancien chef de corps de l'EAALAT à Dax, devenu directeur national de l'éducation physique et sportive au ministère de la jeunesse et des sports...

Un centre nautique y est même inauguré en juillet 1971, à la Pointe des Vergnes, par le Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas, ardent défenseur de la côte aquitaine. L'établissement reçoit au fil des ans de nombreux stagiaires de toutes les disciplines (aviron, voile, canoë, rugby, foot, biathlon...). Autant dire qu'il faut veiller au maintien des conditions d'accueil sur ce site de nature fragile, soumis aux aléas d'un écosystème compliqué (4).

À l'heure où l'on parle de plus en plus de décentralisation et où des programmes régionaux sont mis en œuvre pour développer le tourisme, la MIACA, dont la politique est validée par des directives d'État, permet, dans un programme cohérent, de valoriser le littoral tout en le préservant des désordres irréversibles qui touchent déjà d'autres littoraux français. D'ailleurs, dans les brèves allocutions de la journée du 12 juillet 1971 où il inaugure, en quelques heures, le premier tronçon du canal transaquitain, le doublement de la nationale 10 et le centre nautique de Soustons, Jacques Chaban-Delmas ne dit pas autre chose : il faut certes augmenter la quantité et la durée de la fréquentation touristique, améliorer les équipements mais veiller aussi à maintenir un équilibre écologique et humain sur le territoire ; valoriser ce triptyque lacs-océan-forêt « unique au monde » en alternant zones aménagées et secteurs d'équilibre naturel.

On comprend pourquoi, dans l'opération de maintenance des étangs de Léon et de Soustons, les roseaux sont arrachés à la main et les nénuphars (platuishas en gascon), autochtones mais invasifs, sont en partie épargnés pour leur valeur esthétique.

(1) Jacques Ellul (1912-1994) est un philosophe bordelais, professeur d'histoire du droit, sociologue et théologien protestant, auteur d'une soixantaine d'ouvrages. Surtout connu comme penseur de la technique et de l'aliénation au XXe siècle. Sa prise de conscience « écologiste » est antérieure à son engagement militant au sein du Comité de Défense de la Côte Aquitaine, - présidé par son ami Bernard Charbonneau de 1973 à 1977 et par lui-même de 1977 à 1979 - destiné à contrer l'action de la MIACA. et de son président Emile Biasini.

(2) Michel Péricaud (1929-1999) est un homme politique français, ancien journaliste, directeur de l'ORTF de 1975 à 1977.

(3) Mission Interministérielle d'Aménagement de la Côte Aquitaine, créée en 1969 et dirigée par Philippe Saint-Marc puis Émile Biasini.

(4) Fénié (Jean-Jacques) et Taillentou (Jean-Jacques), Lacs, étangs et courants du littoral aquitain, éditions Confluences, Bordeaux, 2006.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Présentateur
Vous vous êtes peut-être promené près des lacs landais durant vos vacances. Sachez qu’ils sont menacés d’asphyxie, ceux de Soustons et de Léon en particulier. Pour une fois, il ne s’agit pas d’une pollution provenant d’un déversement de produits par une usine. Non, il s’agit d’ensablement et d’envasement. Et cela préoccupe beaucoup les responsables des communes, auxquelles ces lacs appartiennent.
(Musique)
Journaliste
Les lacs landais respirent difficilement, ils n’ont plus à certains endroits que 90 cm d’eau. 6 à 7 mètres de vase qui forment une menace mortelle recouvrent le fond. Ces admirables lacs de Soustons et de Léon – dont le déversoir est ce Courant d'Huchet que voici baignant une végétation peut-être unique en France – s’envasent inexorablement. Il y a la putréfaction des nénuphars, les gens qui, sans cesse, gagnent du terrain. Mais il y a aussi les engrais chimiques utilisés par les agriculteurs et amenés par la nappe phréatique, qui donnent une virulence à cette végétation du lac, elle-même pourrissante. Et il y a l’ensablement. Le lac de Soustons, 1 000 hectares, dont 500 de marée, a déjà été en partie désenvasé par les soins de la commune de Soustons. Les pouvoirs publics avaient étudié le problème et s’étaient livrés à une étude.
Pierre Barrere
D’ailleurs, de cette étude qui a été faite en 65, il est ressorti que pour aménager le lac de Soustons ; et éviter les phénomènes de photosynthèse, donc de reproduction des algues sous-marines qui, pourrissantes, augmentent la vase ; il faudrait enlever 14 millions de mètres cubes de vases. À l’époque, c’était chiffré à 5 francs le mètre cube, ce qui représentait une dépense de 700 milliards d’anciens francs, qui évidemment est hors de portée des finances communales.
Journaliste
Le lac de Soustons est très envasé, mais d’autres lacs landais sont envasés par les intempéries.
Pierre Barrere
Sûrement, je crois que c’est le drame de tous les petits lacs landais.
Journaliste
Est-ce qu’ils risquent de disparaître ?
Pierre Barrere
À la longue vraisemblablement, oui, car je crois qu’on est affronté là à un problème qui est excessivement grave. C’est le problème de la photosynthèse, sous l’effet de la vase, le fond monte. La lame d’eau ne suffit plus à amortir l’ionisation solaire, et il se développe une végétation sous-marine excessivement importante ; qui pourrissant en octobre augmente la quantité de vase, c’est un cercle vicieux. Il est certain que dans le cas particulier de la commune de Soustons qui, pendant 20 ans, a consenti des efforts considérables sans subvention et sans aide de personne ; il est certain que si son effort devait s’arrêter, en quatre ou cinq ans, le lac de Soustons reviendrait ce qu’il était autrefois, et il faut absolument que l’État intervienne.
Émile Biasini
Sur Soustons ici, le lac fait déjà l’objet – de la part du maire depuis de nombreuses années de travaux – plutôt de soins vigilants. La mission qui va organiser l’espace pour développer les plans d’eau de cette zone, notamment reconstituer l’ancien estuaire de l’Adour ; qui sera directement mis en communication avec le lac de Soustons par un système de canaux intérieurs. La mission va draguer, va désensabler, va nettoyer les berges, va lutter contre l’eutrophisation. Il y a un programme fondamental aussi important que la protection de la forêt, l’organisation des rivages.
Journaliste
Programme qui s’étendra sur combien d’années par exemple ?
Émile Biasini
Sur la durée d’action de la mission, c’est-à-dire théoriquement une dizaine d’années, le calcul ayant commencé en 1970-1971. Mais d’une manière infinie après la mission, quand le pays n’aura plus l’apport extérieur de la mission et sera devenu touristiquement organisé selon les schémas que la mission établit ; il faudra que ses responsables, ses habitants continuent, car c’est un travail inlassable. La lutte entre le pollueur et la nature est une lutte qu’il faut mener en permanence.
Journaliste
Que peut-on faire contre l’ensablement et contre l’envasement, contre l’état de ces lacs landais ?
Jacques Goursat
Contre l’ensablement et l’envasement, on doit pouvoir d’une part concernant l’ensablement, rectifier en quelque sorte les crastes ; enfin ce que les gens appellent les crastes dans le pays, c’est des petits ruisseaux qui apportent l’eau, mais une eau chargée de sable et de graviers ; surtout de sable, et qui dans le temps arrivent à alluvionner et faire remonter quand même le niveau du lac. Alors, conjointement avec l’envasement, on assiste à un phénomène petit à petit de disparition de surface du lac. Alors, ce qu’on peut faire contre cet ensablement, c’est de faire des petits ouvrages extrêmement simples, c’est-à-dire des rectifications de ruisseau.
Journaliste
Est-ce qu’à plus ou moins brève échéance, ces lacs risquent de n’avoir plus d’eau ?
Jacques Goursat
Je ne pense pas, quand même, il reste encore un volume disponible important. Puis, si quand même on arrive enrayer le phénomène, qui est un phénomène naturel d’ailleurs ce phénomène d’envasement et en même temps d’ensablement. Et dans la mesure où on l’enraye, c’est surtout ça qu’on peut faire. On ne peut pas tellement penser à revenir à la situation initiale. D’ailleurs, laquelle ? C’est celle d’il y a 100 ans ou 200 ans. Mais ce qu’on peut, c’est de freiner le phénomène et essayer de l’enrayer.
Journaliste
Les responsables de la commune de Soustons luttent contre ces phénomènes naturels qui dégradent leur lac depuis 20 ans. À force de s’attaquer à la vase et au sable, on a pu – pour une bonne partie – aménager ce lac, en faire un plan d’eau doté d’un centre nautique important.
(Musique)
Pierre Barrere
Ce lac était en sa grande partie, un véritable marais. Par exemple, à l’endroit où vous êtes en ce moment, il n’y avait qu’une nappe de nénuphars et jusqu’à 150 mètres au large, une véritable barrière de joncs. Nous sommes affrontés au problème, et nous avons cherché des solutions, uniquement, je dois le dire, avec les propres moyens de la commune ; ce qui représentait un investissement considérable depuis une quinzaine d’années. Le nénuphar a été combattu de la façon suivante, d’abord par faucardage, ensuite par pulvérisation d’un produit que nous avons fait étudier spécialement pour ce lac. Et petit à petit, nous sommes arrivés à maîtriser la repousse de cette plante, vous voyez le résultat. Il est bien certain qu’étant donné sa caractéristique artistique, nous l’avons conservé dans certains endroits où nous contrôlons sa repousse. Par contre, le problème de jonc était beaucoup plus difficile, parce qu’évidemment nous avions la solution de couper les joncs. Mais couper les joncs, cela signifie premièrement qu’ils repoussent. Deuxièmement, la tige coupée aurait augmenté l’envasement des berges. Donc, pendant pratiquement quatre ans, deux ouvriers ou quatre ouvriers sur deux bateaux ont arraché, avec beaucoup de précautions, chaque tige de jonc de façon à entraîner la racine. Et le résultat est là, il n’a pas repoussé.
Journaliste
Le lac de Léon, 600 hectares que vous voyez ici, connaît les mêmes problèmes que le lac de Soustons, où pour régulariser la hauteur des eaux, on a construit un barrage sur le courant. Les plaques de vase remontent et asphyxient les eaux qui diminuent. Beaucoup de choses ont-elles changé depuis cet envasement et cet ensablement pour un pêcheur ?
Léon Labadie
Beaucoup de choses, peut-être pas sur le plan…, le lac a toujours été peu profond. Mais ce problème qui était autrefois un avantage ; parce que le poisson éclosait vite et grandissait très vite, l’eau chauffant beaucoup, est devenu un inconvénient actuellement avec tous les voiliers et les moteurs qui sont sur le lac. Avec le peu de profondeur, la dérive et la vitesse des voiliers lèvent la vase, ce qui nuit aux poissons. Malgré cela, il y a encore beaucoup de poissons dans le lac.
Journaliste
Quelle est la profondeur de l’eau ?
Léon Labadie
1 mètre 40 de moyenne, 1 mètre 30.
Journaliste
Les lacs landais qui, chaque année, attirent des milliers de visiteurs ne doivent pas disparaître. La mission d’aménagement de la côte Aquitaine s’emploie à leur sauvegarde. Mais tous les habitants de cette partie des Landes se sentent de plus en plus concernés et s’intéressent à la survie de ces eaux qui peuvent renaître.
(Musique)