Le musée de plein air de Marquèze

29 juillet 1970
06m 05s
Réf. 00285

Notice

Résumé :

Le musée de plein air de Marquèze est en voie d'achèvement. A travers son airial et son sentier d'initiation à la nature, il permettra aux visiteurs, venus à bord du petit train reliant Sabres à Labouheyre, de découvrir l'environnement de l'homme landais au XIXe siècle. Rencontre avec messieurs de Vilmorin et Bellot.

Date de diffusion :
29 juillet 1970
Personnalité(s) :

Éclairage

Avant la loi de 1857 relative à l'assainissement des Landes de Gascogne [1], les "quartiers" ou hameaux sont plus importants que les bourgs dans la Grande Lande [2]. L'habitat dispersé prévaut dans ce secteur géographique composé de landes couvertes de sables podzolisés recouvrant un horizon constitué d'alios [3] dans les secteurs mal drainés.

Largement conditionnée par la nature du sol et surtout par son degré d'humidité, la lande se divise, de fait, en trois parties : la lande sèche où dominent les bruyères, le genêt et l'ajonc, la lande mésophile, milieu intermédiaire, domaine des fougères mais aussi d'essences caractéristiques des deux autres secteurs, et enfin la lande humide signalée par l'omniprésence de la molinie.

Marqueurs des paysages, les sols décident ici peut-être plus qu'ailleurs, dans cet univers plutôt hostile, de l'installation des hommes. La nécessaire présence de l'eau conjuguée à l'obligation de se tenir à l'écart des zones marécageuses des interfluves explique l'implantation des premiers bourgs et quartiers en tête de vallon, ce dont rendent clairement compte les cartes de Cassini et de Belleyme de la fin du XVIIIe siècle.

C'est dans ce cadre que se structure, probablement dès le Moyen Âge, une société fondée sur l'économie agro-pastorale [4] regroupant, dans un système économique original, propriétaires et métayers. Organisées en tinels, les familles vivent en autarcie dans un espace valorisé propice à la vie et aux cultures.

L'élément fondamental en est l'airial [5] issu du défrichement d'espaces boisés naturels situés en bordure de ruisseaux. Élément identitaire d'une grande partie du "Triangle des Landes" [6] il se développe en une harmonieuse composition d'éléments bâtis (maisons d'habitations, granges, fournil, poulaillers, soue, moulin) qui se répartissent sur une vaste pâture ouverte au bétail, ombragée de chênes. Aux confins de cet espace, champs de céréales adaptées aux conditions locales (seigle, millet) et parcelles vouées aux cultures textiles (lin, chanvre) sont circonscrits par des haies protectrices poussant sur des talus nommés dogas (dougues) [7].

Situé au bord du ruisseau de l'Escamat, sur un plateau convenablement drainé, l'airial de Marquèze, un modèle du genre, devient un écomusée en 1969. Situé sur la commune de Sabres, aux limites de Labouheyre, il est traversé depuis la fin du XIXe siècle par une voie ferrée construite pour les besoins de la forêt industrielle émergente.

Sa vocation consiste donc à transmettre ce que fut le fonctionnement de la société agro-pastorale traditionnelle et sa mutation vers un nouveau système où prévaut la sylviculture. Sa reconstitution a conjugué la restauration in situ, le transfert de bâtiments manquants et la reconstitution d'espaces disparus. Le visiteur peut donc y observer les quatre unités paysagères fondamentales : l'airial, le champ, la rivière et la lande gagnée par la forêt de pins ou pinhadar.

Forts de cette réalisation, les pionniers de cette entreprise se sont attachés à faire comprendre l'originalité de cet héritage. Comme l'avaient souhaité ses concepteurs, l'endroit devient à la fois lieu d'observation et d'apprentissage : on y découvre, grâce aux clichés de l'ethnologue Félix Arnaudin [8], les travaux du quotidien, les gestes anciens ; on y apprend, avec le concours d'un personnel qualifié, héritier de la tradition, comment couvrir un toit de chaume, confectionner un torchis ou fabriquer de la chaux ou, plus simplement, teiller le chanvre, cuire le pain au four à bois, fabriquer du savon à l'ancienne ou tresser une "croix de Saint-Jean". En deux mots, on y découvre le cycle vertueux de l'autarcie, la quintessence de l'écologie qui se définit bien comme "l'interaction entre les êtres vivants et leur milieu", ce que l'on appelle aussi un "écosystème".

Depuis sa création, l'écomusée de Marquèze - un prénom féminin gascon qui connut une destinée hors du commun par le truchement du toponyme - a accueilli des centaines de milliers de visiteurs que l'on peut diviser en deux catégories : les touristes "passifs" satisfaits de découvrir et de comprendre un biotope qui leur était étranger mais aussi des visiteurs locaux qui se sont inspirés de ce modèle pour sauvegarder leur propre patrimoine. Ainsi se reconstituent aujourd'hui des centaines d'airiaux dans le respect des règles prônées à l'écomusée.

Les instances les plus haut placées avaient vu juste en inscrivant le site, dès 1970, dans la liste des réalisations pilotes de l'année européenne de la Protection de la Nature tandis que, l'année suivante, les Nations Unies le promouvaient au titre de l'année de l'Environnement. Des récompenses suivies d'effets...

[1] Cette loi oblige les municipalités à aliéner leurs landes communales, à assainir en drainant et en plantant du pin maritime (Pinus pinaster).

[2] À l'origine, la Grande Lande ou Lana gran est une notion géographique que l'on doit au folkloriste Félix Arnaudin reprenant la perception des bergers béarnais. Elle correspond, en gros, à un vaste quadrilatère marécageux limité par les communes de Captieux, Luxey, Lencouacq et Losse mais ses limites sont variables. Elle représente plutôt, de nos jours, le bassin versant de l'Eyre dans sa partie landaise.

[3] Formation gréseuse caractéristique du sous-sol des landes sablonneuses, l'alios ou lapàs, est une concrétion résultant de la cimentation des grains de sable par des oxydes de fer notamment.

[4] Modèle économique associant élevage et culture.

[5] Forme francisée du gascon airiau : "pelouse ombragée de chênes qui précède toute habitation landaise située hors des bourgs".

[6] MANICET Bernard, Le Triangle des Landes, Serres-Morlaàs : éd. de l'Atelier in8, décembre 2005, 260 pages (première édition en 1981).

[7] La dougue (doga) est une levée de terre limitant un champ. Elle provient de l'excavation d'un fossé appelé crasta ou varat. Parce qu'ils sont indissociables l'un de l'autre, un proverbe dit : On i a crasta, i a varat , "Où il y a un fossé, il y a une levée de terre".

[8] Né et mort à Labouheyre (Landes), Félix Arnaudin (1844-1921) consacre son existence à fixer les éléments d'une mutation majeure, le passage du système agro-pastoral ancestral à la sylviculture naissante. Le Parc naturel régional des Landes de Gascogne et les éditions Confluences ont publié toute son œuvre en 9 volumes.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Silence)
Journaliste
En vous trouvant auprès de ce méandre, monsieur de Vilmorin, avez-vous vraiment l’impression de vous trouver justement dans les Landes ?
Monsieur de Vilmorin
Il y a 3 ou 4 ans, je n’aurais certainement pas eu cette impression. Mais maintenant que je m’occupe de ce musée de Marquèze je sais que je suis dans un des paysages les plus intéressants et les plus particuliers des Landes. Je suis persuadé que la plupart des gens qui traversent ce pays se figurent qu’il est couvert de pins, ce sont des pins qui défilent, eh bien ce n’est pas du tout le cas. Là, nous sommes le long d’un petit ruisseau qui est un affluent de la Leyre et qui est dans le cœur de la lande, et qui est adossé à cet airial, à ce musée que nous sommes en train de faire. C’est un musée, comme vous voyez, très particulier puisqu’il se trouve dans la nature et il a quelque chose d’autre de tout à fait particulier ; c’est que, il allie les sciences de l’homme et de la nature. C’est véritablement la science de l’environnement qu’on est en train de montrer, l’environnement de l’homme landais. L’homme landais s’est installé dans ce pays, et pour vivre il était obligé d’utiliser les éléments de la nature. Ces éléments de la nature sont les plantes de la lande. Comment est-ce qu’il va les transformer ? Il va les transformer à l’aide de moutons. C’est le mouton qui va brouter ces plantes de la lande et qui va faire le fumier qui, finalement, leur permettra, permettra aux habitants des Landes, de faire les cultures. Donc, il y a là un mécanisme de jonction homme-nature, la nature apporte ses éléments, l’homme apporte son intelligence et sa technique et ensemble, ils vont réussir à apporter les éléments, à combiner les éléments pour permettre aux habitants de vivre. Et l’exposition qui est installée dans les granges de cet airial montre justement cette liaison intime entre les choses de la nature et la vie des hommes. C’est vraiment l’originalité de ces présentations, on peut à peine appeler ça un musée en tout cas, c’est une formule tout à fait moderne. Et nous ne parlons certainement pas de botanique ou de choses comme ça, non. Quand nous parlons des plantes, nous parlons des plantes que mangeaient les moutons nous les montrons, nous parlons des plantes qui servent à fabriquer la litière, ce sont encore les plantes de la lande et ce musée se termine par un sentier. Un sentier d’initiation à la nature qui replonge le public de la façon la plus naturelle dans la nature qui lui donne un véritable contact avec elle et lui permet d’en découvrir les principaux éléments constitutifs. Donc c’est un peu une école à la Rousseau, si vous voulez, c’est un peu Emile qu’on promène dans la nature. Et je pense qu’à la fin de la visite, eh bien, les personnes un peu attentives auront véritablement un contact avec la nature des Landes ; et que lorsqu’elles continueront leur voyage, elles le continueront avec une certaine intimité avec cette nature.
Journaliste
Ce musée de plein air de Marquèze, situé aux environs de Sabres dans les Landes, est l’élément essentiel du Parc national régional qui, en Aquitaine, intéressent 24 communes tant landaises que girondines. Mais il s’agit encore d’un chantier. Monsieur Jean-Claude Bellot, le clou de ce musée de plein air de Marquèze sur le plan des bâtiments c’est bien cette maison.
Jean-Claude Bellot
Il s’agit bien effectivement de cette maison, qui est une maison traditionnelle, maison traditionnelle landaise, certainement un des plus beaux spécimens. Cette maison se trouvait à une dizaine de kilomètres d’ici dans un quartier appelé [le Mineur]. Cette maison a été entièrement démontée après avoir été soigneusement numérotée. Et cette maison a été reconstruite ici en suivant les principes des musées scandinaves dans le domaine. Cette maison actuellement est, si on peut dire, hors d’eau, en ce sens que le gros œuvre, au point de vue charpente, est maintenant terminé ; il reste à carreler cette maison et à construire le torchis. C’est dans cet état que nous présenterons aux visiteurs ce bâtiment dans le cadre du sentier d’initiation au paysage landais qui associe à la fois la nature et le bâtiment d’habitation ainsi que le bâtiment d’exploitation ; association en somme là-aussi de l’homme et de la nature.
Journaliste
Quand le public sera-t-il admis monsieur Bellot à visiter cet ensemble ?
Jean-Claude Bellot
Le public sera convié à visiter cette exposition à partir du samedi 1er août. Pendant le mois d’août les visiteurs auront accès à l’airial de Marquèze du mercredi au dimanche ; pendant les mois de septembre et octobre, le samedi et le dimanche uniquement. L’accès se fait par train à partir de la gare de Sabres, cet accès est le seul autorisé à l’airial de Marquèze.
Journaliste
Et c’est d’ailleurs un plaisir supplémentaire puisque ce train est constitué d’anciens wagons qui assuraient les liaisons autrefois en traversant cette région.
Jean-Claude Bellot
Très exactement, le petit train qui allait effectivement de la gare de Sabres jusqu’à Labouheyre. C’était le petit train des résiniers.