Le verger conservatoire de Marquèze

12 septembre 1989
02m 21s
Réf. 00286

Notice

Résumé :

Depuis 10ans, la pomologue, Evelyne Leterme, étudie les anciennes variétés fruitières d'Aquitaine et s'évertue à encourager leur culture. A force de prospections auprès de paysans, elle a rassemblé pas moins de 600 variétés, dont une partie est aujourd'hui présentée aux visiteurs de l'écomusée de Marquèze à travers un verger pédagogique d'un demi hectare.

Date de diffusion :
12 septembre 1989
Source :

Éclairage

Si le préfet Delaunay parle, lors de l'inauguration du site de Marquèze, à Sabres, le 30 septembre 1969, d' "endroit modèle", Georges Henri Rivière, l'un des inventeurs du concept d'écomusée, s'interroge sur la vocation réelle de cette entreprise innovante. Il participe en amont au projet et, dès son origine, rappelle qu'il ne s'agit "ni d'une ferme ni d'un lieu où l'on se contente de considérer ce qu'était une civilisation, dans le respect du passé" précisant que cet ensemble constitue "une chose qu'un pouvoir et une population conçoivent, fabriquent et exploitent ensemble". [1]

L'homme et son espace de vie sont donc au cœur de cette notion et Marquèze doit être un lieu d'expériences. Aussi, dès 1971, avec la collaboration de l'INRA, une première exposition temporaire sur l'apiculture connaît un grand succès, démontrant l'intérêt des locaux prêts à se réapproprier des savoir-faire.

Ainsi germe, une dizaine d'années plus tard, l'idée de l'implantation d'un verger conservatoire perpétuant les traditions locales. Car, dans la Grande Lande et le Born, malgré la pauvreté des sols, les arbres fruitiers constituent une composante importante de l'airial et le pommier y a une place de choix. Le patronyme Pomade, représentant le gascon pomada, "cidre", rend compte d'ailleurs de cette culture ancienne, tout comme Mesplède rappelle des lieux où croissent les néfliers, los mesplèrs. Il est donc normal qu'Évelyne Leterme, docteur en génétique et pomologue [2], évoque avant tout, et avec précision, cet immense patrimoine constitué notamment de 600 variétés de pommes.

L'écomusée joue bien là son rôle d'interface entre un lieu et ses habitants : lieu de mémoire active où la spécialiste, en amont, part en quête de l'héritage, le restituant et le valorisant en aval, de façon pédagogique, pour en assurer la transmission, le "conserver".

En cette fin des années 1990, la sensibilité écologique fait que l'on se préoccupe depuis plusieurs années de l'altération de la qualité des fruits vendus dans le commerce. Évelyne Leterme, en associant à cette expérience les Landais de souche qui ont pu conserver quelques précieux spécimens des variétés locales, est donc déjà en phase avec les préoccupations de ceux qui adhérent, en 2001, aux premières Associations pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne (AMAP), favorisant une production "bio" en lien direct entre producteurs et consommateurs [3].

Mais, tournée également vers d'autres horizons grâce à ses multiples contacts dans le milieu de l'ethnobotanique, la spécialiste quitte Marquèze vers 1992 pour valoriser le conservatoire végétal d'Aquitaine, à Montesquieu, dans le Lot-et-Garonne. Là, un autre verger-musée et un conservatoire, vitrine du patrimoine génétique régional et des efforts de sélection opérés pendant des siècles par les Agenais, l'attendent ; il constitue aujourd'hui la mémoire vive d'un monde rural, aboutissement de quinze années de collectes et de recherches, rassemblant quelque 1800 variétés de toutes les espèces fruitières léguées par toutes les générations paysannes du Sud-Ouest.

Le rêve esquissé à Marquèze, en somme, réalisé sous d'autres cieux [4]...

[1] Georges-Henri Rivière (1897-1985) est le fondateur du Musée national des Arts et Traditions populaires de Paris. Il joue un rôle important dans l'évolution de la muséographie moderne et dans le développement des musées d'ethnologie à l'échelle mondiale.

[2] La pomologie appartient au champ sémantique du latin pomum, "fruit", alors que la pomme se dit malum. Le gascon conserve cette distinction puisque poma garde aussi le sens de "fruit". L'orange est ainsi nommée poma d'iranja.

[3] Mouvement né au Japon dans les années soixante, sous l'appellation Teikei, dont la traduction pourrait être "mettre le visage du paysan sur les aliments".

[4] Les vergers de collections du domaine de Barolles, à Montesquieu (Lot-et-Garonne).

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
La pomme rouge est très répandue mais peu connue. On la trouve exclusivement dans les Pyrénées Atlantiques et les Landes. Pomme d’été, chair tendre, juteuse, odeur de fraise. La grosse verte d’octobre, elle, pousse dans les Landes, elle a une chair relativement acidulée, elle se conserve plusieurs mois. Ces pommes, ce sont deux des 600 variétés qu’une jeune femme, docteur en génétique, passionnée, lauréate de la Fondation de la vocation, a retrouvées. Elle les cultive depuis 10 ans dans ce verger de Marquèze à Sabres dans le Parc régional des Landes de Gascogne. Son travail, des prospections, des inventaires, de longues écoutes de récits de paysans, derniers possesseurs de ces variétés. Son travail aussi, le greffage, l’étude des variétés, du point de vue génétique et agronomique. Et aujourd’hui, c’est la pédagogie.
Evelyne Leterme
Un verger pédagogique pour mettre à disposition du public de Marquèze, donc de tous les gens qui viennent visiter l’écomusée. Mettre à disposition la connaissance qu’on pourrait transmettre à travers le verger conservatoire, mais ce verger conservatoire est devenu trop grand pour être visité sérieusement. Et ce verger pédagogique sert à résumer en moins d’un demi hectare tout l’ensemble du patrimoine génétique d’arbres fruitiers des 5 départements d’Aquitaine.
Journaliste
Ce verger renferme des centaines de variétés de poires, pêches, prunes, cerises, figues ; il y a même ici l’ancêtre du pommier qui présente des branches chargées de petits fruits rouges. Toutes ces variétés sont encore parfois présentes chez les paysans, mais rarement commercialisées. L’objectif d’Evelyne Leterme est d’intéresser le public à cette culture.
Evelyne Leterme
J’essaie de remotiver les gens qui ont laissé disparaître les variétés anciennes et de motiver ceux qui ne les ont jamais connues et qui sont évidemment probablement plus nombreux que les premiers. Et c’est relativement facile en montrant que des fruits peuvent être très différents que ce que l’on trouve dans le commerce.
Journaliste
Une dizaine d’arboriculteurs du Lot-et-Garonne et des Pyrénées orientales font à l’heure actuelle des essais de culture. En somme, cette ethnobotanique que l’on pratique dans ce verger conservatoire de Marquèze débouchera peut-être un jour sur nos marchés.