Scierie Labadie : le stockage du bois par aspersion d'eau

04 août 2000
04m 53s
Réf. 00575

Notice

Résumé :

Quelques mois après le passage de la tempête Martin, la scierie Labadie à Roquefort se lance dans le stockage du bois par aspersion d'eau ; une première dans la région et sur le pin maritime qui constitue un pari à la fois financier et technique. A Mimizan, un site permettant le stockage de 300 000m3 de bois grâce au même procédé devrait également être aménagé.

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Date de diffusion :
04 août 2000
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Éclairage

À l'origine, la forêt landaise est exploitée pour la chimie. De ces pins, quand ils sont saignés, coule une substance collante : la résine, ou gemme, qui au début de son exploitation, est utilisée tel quel sous le nom de brais ou poix. Elle est exportée depuis le port de La Teste-de-Buch, sur le bassin d'Arcachon.

Sous Louis XIV, le goudron, obtenu lors de la carbonisation des souches de pins, remplace la poix pour calfater les bateaux de la marine royale. La résine ou gemme est distillée et donne de la térébenthine et de la colophane pour une industrie chimique naissante. Le bois des pins, quant à lui, est utilisé en planche pour les œuvres vives des navires. Pour des raisons de transport, ce produit reste cependant d'un usage limité à la région.

Transformé en charbon, le bois sert également à alimenter les hauts-fourneaux des forges d'Abbesse, près de Saint-Paul-lès-Dax et d'Uza. Pendant l'hiver, le travail se fait en flux tendu, le bois n'étant pas stocké. L'été les forges cessent leur activité par manque d'énergie, faute d'eau dans les ruisseaux.

La réussite de l'extension de la forêt en 1857, sous Napoléon III, est en grande partie due au besoin européen en térébenthine et colophane. Les États-Unis d'Amérique, grands fournisseurs de ces produits, sont en guerre. La forêt des Landes de Gascogne devient alors un eldorado.

Dans les parcelles les plus éloignées des scieries et des ports, les pins morts, après un gemmage intensif, sont abandonnés sur place, faute de moyens de transport. Ils sont la cause de l'aggravation des incendies. En 1873, une enquête conduite par Henri Faré [1], directeur national des forêts, met en évidence ce problème et préconise la construction de routes et de voies ferrées pour évacuer les fûts de résine, mais surtout le bois.

Poteaux de mine, traverses de chemin de fer, charbon de bois pour les forges, vont circuler à travers tout le massif sur des bros, le charroi landais, mais aussi et surtout en train. Le stockage du bois n'est toujours pas mis en place. Aussitôt arrivé à destination, le bois brut est transformé puis exporté.

Dans les années 1920, l'industrie papetière vient compenser la réduction des commandes de résine de pins concurrencée par les dérivés du pétrole, de traverses de chemins de fer et de poteaux de mines. L'exploitation du bois se fait en continu, toujours à flux tendu.

Dans les années 1960, le gemmage disparaît. La production de bois s'intensifie et une industrie de transformation se développe. Aux trois papeteries landaises déjà existantes – Gascogne emballage à Mimizan et les deux papeteries du groupe Saint-Gobain à Tartas et Roquefort – viennent s'ajouter trois usines de panneaux de particules à Rion-des-Landes, Linxe et Saint-Vincent-de-Tyrosse.

Ces entreprises, ainsi que les scieurs locaux, les entreprises de parquets et les caisseries, tournent toujours à flux tendu. Les stocks restent sur pied après achat et sont exploités au fur et à mesure des besoins. Dans les années 1980, une organisation de gestion du flux très performante est mise en place pour réduire les coûts de transport.

Les tempêtes de 1999 et 2009 et la prise de conscience d'un nécessaire stockage du bois

En 1999, la tempête Martin met au sol près de 25 millions de mètres cubes de pins dans le nord du massif gascon, dont 5 dans les Landes. Les industriels et sylviculteurs se retrouvent face à un nouveau problème. Deux solutions s'offrent alors à eux : vendre vite, mais à très bas prix, ou stocker sans perdre la qualité des bois.

Dans le nord de l'Europe, les bois sont stockés sous aspersion par les entreprises, depuis longtemps. Un scieur landais, Philippe Labadie, conscient qu'il manquera de bois dans quelques années, décide de mettre en place chez lui le même procédé.

De son côté, la commune de Mimizan propose aux entreprises forestières de réaliser un tel stockage en bordure d'une zone industrielle. Sur 30 hectares sont stockées 300 000 tonnes de bois. Aménagé par une filiale du BRGM (Bureau Recherche Géologique et Minière), ANTEA, il est géré par la CAFSA (Coopérative Agricole et Forestière Sud Atlantique).

A l'épuisement du stock, l'aire de stockage est démontée. Les élus ont proposé le maintien du dispositif à condition que les sylviculteurs et les industriels le prennent totalement en charge. Or, l'idée de stockage en amont de la production est vite abandonnée et les entreprises tournent à nouveau à flux tendu.

En 2009, une nouvelle tempête s'abat sur la forêt des Landes. Forts de l'expérience de 1999, les sylviculteurs veulent mettre en place des aires de stockage. Mais un imbroglio administratif et financier, à Paris, retarde leurs installations. Des bois sont vendus à 1 euro la tonne à travers toute l'Europe. Très vite, des industriels locaux réalisent que cette bonne affaire risque, au final, de leur coûter très cher ; 4 à 5 années de production de bois sont à terre. Avec plusieurs mois de retard, 21 aires de stockages par aspersion ouvrent, certaines pour la durée d'exploitation des bois stockés, d'autres pourraient être permanentes. À Solférino, lors de l'ouverture de l'aire de stockage de la forestière de Gascogne, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, la pérennisation du stockage est envisagée. Sur 50 ha 730 000 tonnes de bois sont à disposition des industriels de la région.

[1] FARE, Henri, Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Paris : Imprimerie nationale, 1873,- XLVIII-417 p. : tableaux ; 28 cm.

Jean-Paul Saint-Marc

Transcription

Marie Ravaut
Bonsoir. Ce soir nous sommes dans les Landes, à Roquefort, dans la scierie Labadie précisément. La scierie Labadie qui a fait le pari audacieux de se lancer dans le stockage du pin maritime par aspersion d’eau. C’est le seul exemple dans la région, et à l’heure où dans les forêts, le bois commence à bleuter, certains jugent ce pari risqué puisqu’on ne maîtrise pas encore toutes les conséquences de ce stockage. Alors, nous allons voir, nous, pourquoi cette scierie a décidé de se lancer dans cette aventure audacieuse. C’est dans cette carrière proche de leur scierie que les Labadie ont décidé d’implanter leur zone de stockage. Un site naturel idéal, mais qu’il a fallu aménager en respectant plusieurs contraintes.
Jean Labadie
La zone a été nivelée, il y a une couche de sable qui a été mise, une bâche, des fossés ont été réalisés pour l’écoulement de l’eau, bâchés également, avec des galets à l’intérieur pour filtrer cette eau-là. A l’origine, l’eau est pompée dans l’étang, dans la bâche, et après, dès que la bâche est arrivée à un certain niveau, il y a un flotteur, le pompage de l’étang s’arrête et ça ne travaille qu’en circuit fermé. L’eau est expédiée donc sur les arbres et elle ruisselle d’ailleurs comme vous pouvez le voir, elle ruisselle et elle revient systématiquement dans la bâche.
Marie Ravaut
Les travaux ont été lancés à la fin du mois de janvier et depuis deux semaines, près de 8 000 m3 sont arrosés 24 h sur 24. A terme, deux sites seront aménagés pour accueillir au total 30 000 m3 de bois et on l’assure, sans risque de pollution puisque la retenue d’eau qui alimente l’arrosage n’est jamais en contact avec le ruisseau du Cros tout proche.
Philippe Labadie
C’est tout l’intérêt du circuit fermé, c’est qu’on ne vient pas en contact avec la nappe phréatique, donc on ne peut pas parler de pollution dans la mesure où on est en circuit fermé. Puisqu’on récupère toute l’eau, elle repart dans ce circuit et on ne fait que récupérer cette eau au fur et à mesure.
Marie Ravaut
Et ce jeune entrepreneur n’a pas hésité longtemps pour se lancer dans l’aventure, de toutes les manières, il fallait agir vite puisque avec le problème du bleutement du bois, la société risquait de perdre une partie de ses marchés, et à terme, cesser son activité. Le risque financier n’est pas négligeable non plus pour l’entreprise, le coût du site de stockage s’élève à un million de francs, sans compter les frais d’exploitation.
Jean Labadie
On a quand même tenu compte aussi des pouvoirs publics, un petit peu, qui avaient annoncé qu’ils comptaient donner un coup de main aux entreprises qui se lanceraient dans le stockage des bois. Et effectivement, il faut reconnaître qu’aujourd’hui, l’Etat, le Conseil Régional et le Conseil Général ont décidé d’appuyer le dossier. Et globalement, si vous voulez, par rapport à l’investissement qu’on a été obligé de réaliser, on pourra compter sur des aides de l’ordre de 80 %. Ce qui n’est tout de même pas négligeable.
Marie Ravaut
Mais pour l’instant, ce ne sont que des promesses orales ?
Jean Labadie
On n’a pas le bout de papier qui le confirme pour l’instant.
Marie Ravaut
Au pari financier, s’ajoute un pari technique, l’exemple de Philippe Labadie est unique dans la région. Il s’appuie sur un article paru dans une revue spécialisée, ensuite, il s’est entouré de conseils d’un expert du centre technique du bois. Malgré cela, certains sylviculteurs attendent de voir les résultats.
Philippe Labadie
Le risque, il vient du fait que ça n’a jamais été à proprement parler réalisé sur le pin maritime. Et que le pin maritime est l’essence en France, pratiquement, qui bleute le plus vite. Donc, c’est à ce titre-là, si vous voulez, qu’on est un peu novateurs et qu’on est obligés de se jeter à l’eau. Il faut bien toujours qu’il y en ait un qui démarre quoi ! Et donc, c’est ce qu’on a essayé de faire.
Marie Ravaut
A Mimizan, on a également voulu se lancer dans le projet, mais version grand format. Sur ce site, on prévoit de stocker 300 000 m3 de bois. Dans le projet, les propriétaires loueraient des emplacements, mais rien n’est vraiment très clair.
Jean Bourden
On sait que Antea est maître d’ouvrage de l’opération qui va donc réaliser les investissements, qui s’élèvent quand même à près de 17 millions de francs. Antea n’est pas une société qui est spécialement faite pour gérer ces problèmes-là, hein, c’est un bureau d’études dépendant essentiellement du BRGM. Et donc, il s’agirait de trouver, semble-t-il, un protocole d’accord avec la CAFSA, la Coopérative Agricole Forestière, de façon à gérer ensuite l’approvisionnement et la maintenance du produit. Et ensuite, évidemment, la vente auprès des industriels.
Marie Ravaut
Mais la difficulté est de mettre d’accord rapidement les sylviculteurs, et en attendant, le bois s’abîme.
Jean Bourden
Et il s’agirait, parce que le temps presse, qu’il soit opérationnel pour au moins 100 000 tonnes de bois à la mi-mai.
Marie Ravaut
Ce ne serait pas trop tard déjà ?
Jean Bourden
Il semble que non.
Marie Ravaut
Les pouvoirs publics ont bien senti que le problème du stockage du bois allait être une priorité après la tempête. Seulement, il semblerait que le manque d’expérience à ce niveau ralentisse la mise en place d’un grand site. Cette Aquitaine Première est terminée. Dès maintenant, vous avez rendez-vous avec la suite du 19-20, je vous souhaite à tous une excellente soirée.