Les pibales dans les Landes

03 février 1996
04m 05s
Réf. 00845

Notice

Résumé :
Situation de la pêche et de la commercialisation de la pibale dans les Landes entre pêcheurs amateurs et professionnels. La pibale se fait rare et sa pêche dépend de la lune noire associée au mauvais temps.
Type de média :
Date de diffusion :
03 février 1996
Source :

Éclairage


Quel phénomène, la pibale, ce minuscule poisson serpentiforme qui deviendra anguille si les épuisettes et filets de pêcheurs professionnels et braconniers ne l’interceptent pas au passage !

De fait, elle revient de loin, cette pibale nommée dans les estuaires plus septentrionaux civelle. Né dans la mer des Sargasses1, au large des côtes nord-américaines, cet alevin de l’anguille européenne doit en effet traverser 6000 km, porté par le courant chaud du Gulf Stream, pour tenter de remonter nos rivières atlantiques et parachever sa croissance. Du stade de larve planctonique leptocéphale au départ, il parvient alors sur nos côtes sous la forme d’un  minuscule poisson constituant un menu de choix dans les restaurants locaux.

Paradoxe : alors que jusque dans les années 1970, la pêche des civelles est surtout une activité secondaire destinée à compléter l’alimentation des locaux,  voilà que, depuis plus de 20 ans, cette activité est très réglementée. Constituant  autrefois le « plat du pauvre », proposé jusque dans les cantines scolaires où les petits poissons étaient servis froids, sous forme de pain, jeté parfois aux poules lors de prises trop abondantes, le précieux fretin se vend désormais à prix d’or. Comment en est-on arrivé à ce retournement de situation ?

La réponse est simple. Jadis, l’anguille étant considérée comme nuisible, la pêche de ses alevins n’était pas contrôlée. Puis, en quelques années et pour des raisons diverses, un marché s’est organisé autour de cette activité qui s’est professionnalisée, augmentant considérablement les quantités pêchées. Du fait d’une demande extérieure croissante2, on est alors passé, au niveau national,  d’une production de 4000 tonnes par an, dans les années 1978-1979, contre seulement 110 tonnes par an en 2010. Un phénomène de surpêche avéré…

De quoi comprendre l’inquiétude des pêcheurs de Capbreton, dès 1996, pour lesquels la manne des pêches de nuit sans lune constitue une variable d’ajustement non négligeable dans le budget familial, dans une période  où le chômage reste endémique, sans qu'il soit possible au gouvernement d'Alain Juppé, récemment mis en place, de soutenir fortement l'activité.

Quoi qu’il en soit, pibales et anguilles appartiennent depuis bien longtemps au patrimoine gastronomique landais. En effet, ce drôle de poisson qui met une dizaine d’années à parvenir à sa taille adulte, baguenaudant dans les ruisseaux, lagunes et marais de tout l’arrière-pays avant d’amorcer sa « dévalaison » vers l’océan pour rejoindre, au cours d’un périlleux voyage, la mer des Sargasses natale, est présent dans les lagunes landaises depuis la nuit des temps. Il  expliquerait même, en partie, la fixation des premiers habitats signalés au Néolithique au bord de ces points d’eau3

Et le folkloriste Félix Arnaudin, originaire de Labouheyre, de souligner l’importance des lagunes de la Grande Lande, pourvoyeuses de poissons, dont l’une porte le nom de Lagune des Anguilleyrons, à Saint-Magne, en Gironde, bien loin de la mer des Sargasses...

1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Mer_des_Sargasses

Le mot sargasse (latin sargassum) désigne une algue brune pouvant atteindre plusieurs mètres de long.

2) Un nouveau marché s’est ouvert avec les pays asiatiques qui demandent des civelles vivantes pour l’élevage. En effet, comme il est impossible de faire se reproduire des anguilles en captivité, on s’est mis à prélever des alevins. Les civelles sont ensuite élevées en Chine puis revendues adultes au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan où leur chair est très appréciée.

3) Merlet (Jean-Claude et J.-P. Bost sous la direction de), De la lagune à l’airial, le peuplement de la Grande Lande, Travaux et colloques scientifiques du PNRLG 6 APOL, Hors série 6, éditions de le Fédération Aquitania, Supplément 24, Bordeaux, 2011.
Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
Bonsoir, la pibale a atteint des cours historiques ces derniers temps, jusqu’à 2 000 francs payés pour un kilo en Gironde. Les civelles étaient plutôt rares en ce début de campagne, et les Japonais sont désormais prêts à payer le prix fort pour les importer chez eux. Une inflation qui a semé le trouble parmi les pêcheurs landais, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Aquitaine Première va tenter ce soir de remonter une filière où chacun s’exprime avec passion.
(Bruit)
Journaliste
Cette nuit-là, la lune n’était pas au rendez-vous et le temps était beaucoup trop calme pour espérer pêcher les civelles en grande quantité. Qu’importe, Michel, pêcheur amateur était sur l’un de ces emplacements favoris sur ce pont, où il se souvient avoir enchaîné deux nuits consécutives sans dormir il y a quelques années.
Michel
J’ai passé deux jours, parce qu’il y avait un peu de mauvais temps, et pour essayer d’avoir quelques civelles. Il n’y en a pas eu beaucoup, mais enfin, je me suis amusé un petit peu à dix pibales à chaque fois. Il faut considérer surtout la lune. La lune noire, c’est mieux que la lune blanche, mais pour ça, il faut évidemment qu’il soit accompagné de mauvais temps. S’il n’y a pas de mauvais temps, il n’y aura pas de pibale. Parce que c’est le vent, la tempête qui fait bouger ces fameux alevins, qui sont enfouis, ils sont enterrés. Et puis avec le mauvais temps, ça les fait bouger.
Journaliste
Cela fait près de 20 ans que Michel passe ses nuits d’hiver ainsi à pêcher la pibale de poste en poste sur les canaux par passion, certes, mais aussi parce qu'elles lui apportent un complément de revenu.
Michel
Bien sûr évidemment, il ne faut pas attendre après la pibale pour vivre, ça c’est hors de question. Mais enfin, c’est un petit complément. C’est arrivé oui de faire de jolies pêches de cinq ou six kilos la nuit. Et il y a de ça il y a quelques années, parce que bon, vu les transformations qui sont faites, vu pas mal de choses, il y a de moins en moins de mauvais temps, il y a ça aussi. Donc, autrement c’est vrai qu’il y a des jours où on s’amusait un petit peu.
(Bruit)
Journaliste
Nous sommes ici au cœur du port des pêcheurs de pibales de Capbreton, une sorte de criée quotidienne où les mareyeurs viennent s’approvisionner. Professionnels et amateurs viennent ici porter le fruit de leur pêche nocturne. Ces derniers jours, les cours sont redescendus aux alentours de 1 000 francs. Mais à la mi-janvier, ils atteignaient 2 000 francs, un cours historique.
Intervenant 1
Les prix hauts ça a quand même sauvé certains pêcheurs comme moi et beaucoup d’autres en fluvial, parce que chez nous, en fluvial, on a eu des inondations, il y a beaucoup de monde, il y a beaucoup de braconnages. Alors, c’est dur quoi. Et nos moyennes en fluvial 30 à 40 kilos depuis le mois de novembre, et il y en a beaucoup qui n’ont pas 10 kilos à pêcher au tamis , alors ces prix ça nous a sauvé, ça permet de manger un peu.
(Bruit)
Intervenante 1
Les gens ont besoin de ça pour travailler, à Capbreton et sur toute la cote d’ailleurs, il y a deux industries, c’est la plage l’été, et l’hiver c’est la pibale. Si on n’a pas ça, autant pour les amateurs, pour les professionnels, parce que quand ils ne peuvent pas aller en mer, c’est un supplément pour eux. Ils vont à la pêche, c’est normal. Ils ont le rôle à payer, et ils ont une famille à nourrir, mais les amateurs, c’est pareil. Eux, ils n’ont rien, ils sont au chômage, ils n’ont rien. Alors, en faisant comme ça, en supprimant des pêcheurs chaque année, on ouvre la porte en grand au braconnage, je crois que ce n’est pas la solution.
Journaliste
Ce matin-là, le prix du kilo d'alevins d'anguille était repassé en dessous de la barre des 1 000 francs. Pourtant, les prises étaient bien maigres. Très secrets, les mareyeurs qui ont tout emporté n’ont rien voulu nous dire sur la destination de ces chères pibales.
Intervenant 2
C’est un prix tout à fait raisonnable parce que le caviar, les truffes, tout ça, [Inaudible] certainement les Chinois ou les Japonais, ils ont raison mais moi, je ne connais pas.