Parcours thématique

La viticulture dans les Landes

Francis Brumont

Des origines à la fin du Moyen Âge

La culture de la vigne a une longue tradition dans notre région, puisqu'il est probable qu'un peu partout, ce sont les Romains qui l'ont implantée. Les Landes n'échappent pas à la règle, même s'il n'en reste guère de trace. Durant le Haut Moyen Âge, la vigne a souffert, non pas tant à cause des méfaits des Barbares, comme on le dit trop souvent, qu'à cause de la dépopulation. Quand, aux environs de l'an 1000, le nombre des hommes commence à augmenter assez rapidement, la vigne accompagne ce mouvement et si, bien souvent, on crédite les abbayes de ce renouveau de la viticulture, c'est parce qu'elles seules ont laissé des documents et non pas l'humble labeur des vignerons. Toujours est-il que nos crus, en particulier ceux de Tursan, connaissent de beaux succès à l'exportation durant les derniers siècles du Moyen Âge, notamment pendant la période anglaise. La fin de la domination anglaise ne met cependant pas fin à ces envois par mer et durant l'Ancien Régime, de très nombreux documents attestent de l'importance de ce commerce en direction essentiellement des ports riverains de la mer du Nord et de la Manche.

Tursan et Chalosse sous l'Ancien Régime

Mais pas seulement. En effet, une des premières fonctions de la viticulture landaise était d'alimenter une partie du Pays basque, le Labourd en particulier. Les Labourdins consommaient traditionnellement du cidre, notamment dans les couches populaires, et du vin de Bayonne et de sa juridiction (dont faisait partie Capbreton). Mais celui-ci ne suffisait généralement pas et les villages labourdins se ravitaillaient en vin de Chalosse, mais surtout de Tursan, auprès des marchands bayonnais. Pour ce faire, ils passaient un contrat d'exclusivité avec un des marchands spécialisés de la cité bayonnaise, appelé contrat de mayade, moyennant lequel ce marchand s'engageait à procurer à la taverne, ou aux tavernes du village, une quantité de vin fixée à l'avance pour l'année, d'une qualité précisée dans le contrat, le plus souvent du vin blanc de Tursan, et à tel prix. Le village recevait alors une certaine quantité d'argent pour garantir le monopole à leur fournisseur et s'engageait à entretenir un lieu pour débiter ces boissons. On peut estimer qu'au cours du XVIIe siècle environ 3000 barriques de vin de Tursan étaient ainsi débitées en Labourd. Cette quantité ne fit que s'accroître par la suite à cause de la diminution de la consommation de cidre au profit du vin et du déclin du vignoble bayonnais. Une partie du vin arrivant par la rivière était d'ailleurs destinée à la ville elle-même (2500 barriques environ) tandis que la majorité était exportée : 14 000 barriques en moyenne, tous ces chiffres pour le XVIIe siècle. Il est probable d'ailleurs que les quantités débarquées, souvent pour être rembarquées, à Bayonne, ont augmenté au cours de ce siècle et du suivant : dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on exporte 19 000 barriques en moyenne, soit en gros un tiers de plus qu'au siècle précédent. C'est dire que, contrairement à ce qui a pu s'écrire, le départ des Anglais n'a pas été un coup dur pour la production viticole landaise : celle-ci se porte bien, et même de mieux en mieux, tout au long de l'Ancien Régime.

La meilleure qualité provient du Tursan dont les viticulteurs n'avaient pas d'autre choix que de produire du bon vin : le coût du transport qui grevait leurs crus aurait été trop fort sur des vins médiocres alors qu'il pesait relativement moins sur des vins plus chers. Il s'agit surtout de vin blanc, dont on ne peut préciser s'il était doux ou sec, quoique, sans doute, les deux qualités aient été produites. Ces vins étaient destinés à la Bretagne, la Normandie et la Picardie, l'Angleterre, et, sans doute dans leur majorité, aux Provinces-Unies, c'est-à-dire aux actuels Pays-Bas. La demande était telle que les années de pénurie, les marchands, notamment ceux de Mont-de-Marsan, étaient tentés d'importer des vins de l'Armagnac voisin, de qualité moindre, qu'il suffisait pour les "naturaliser" Tursan de transvaser dans des barriques de la jauge de Tursan, soit 320 litres, les barriques d'Armagnac étant beaucoup plus petites. Cette fraude a été dénoncée à maintes reprises, à Dax ou à Bayonne, mais elle renaissait toujours, l'appât du gain et la nécessité faisant loi.

Naissance de l'eau-de-vie

La grande nouveauté du XVIIe siècle, c'est l'apparition et le développement de la distillation en vue de la production de ce que l'on appelle encore "eaux-de-vie", le terme "armagnac" n'apparaissant que bien plus tard, sans doute à la fin du XVIIIe siècle dans le Gers. C'est sous l'impulsion de marchands hollandais, dont une quinzaine résidait à Bayonne, que cette activité s'est développée, à partir de 1640-45 dans notre région, 30 à 50 ans plus tard que dans les autres régions atlantiques (Nantes, La Rochelle et Cognac, Bordeaux).

La production d'Armagnac sur le domaine de Boingnères

La production d'Armagnac sur le domaine de Boingnères

Producteur d'armagnac sur le domaine de Boignères, Léon Laffite exporte ses eaux de vie vers l'Europe et, depuis 1982, vers les Etats-Unis. Face à l'augmentation de la demande sur le marché viticole, il choisit de privilégier la qualité à la quantité et de diversifier sa production pour faire face à la concurrence.

20 fév 1984
03m 27s

C'est afin d'alimenter les échanges fournis qu'ils avaient avec les pays de la Baltique orientale (Pologne, Lituanie, Russie) d'où ils importaient tout ce qui était nécessaire à la construction navale, que les Hollandais ont incité les vignerons de la côte atlantique à produire vins blancs doux et eaux-de-vie. À Amsterdam, ils ajoutaient de l'alcool au vin afin de faciliter sa conservation et d'en augmenter le degré : ces vins mutés étaient alors échangés contre du bois, du seigle (pour le biscuit, nourriture des marins), du chanvre (pour les cordages), du lin (pour les voiles), etc., les marchands hollandais gagnant à toutes les étapes de ces transactions avec des pays, y compris la France, où l'argent, moins abondant que chez eux, avait plus de valeur relative.

Par l'intermédiaire des marchands locaux, souvent associés aux Bayonnais, ils installèrent des alambics à Saint-Sever, Grenade, Mont-de-Marsan ou ailleurs, jusqu'à Vic-en-Bigorre afin de s'assurer une production suffisante pour couvrir leurs besoins. C'est dire que la zone de production dépassait alors largement les limites de l'appellation "armagnac" telle qu'elle est définie aujourd'hui. Il en va de même du produit qui est bien différent de celui qui est prisé de nos jours : il s'agit d'une eau-de-vie de l'année, blanche, titrant environ 50 à 55 degrés. De nombreux intermédiaires participaient à ce commerce, qu'il s'agisse des marchands de Mont-de-Marsan, où, dès le début, étaient collectées les eaux-de-vie en provenance du Bas Armagnac, des bateliers de l'Auribat, près de Montfort-en-Chalosse, qui s'improvisaient marchands si l'occasion se présentait ou des courtiers jurés de Bayonne, dont la fonction était de mettre en relation acheteurs et vendeurs.

Assez chaotique au début, la production augmenta rapidement à partir de la fin du XVIIe siècle, malgré la concurrence. À partir du milieu du XVIIIe, l'Espagne devient le principal client des eaux-de-vie exportées par Bayonne, les Pays-Bas s'effaçant alors. Quelques recherches en vue de produire une eau-de-vie de meilleure qualité et des améliorations apportées aux alambics marquent la seconde moitié du siècle.

L'Armagnac d'Ognoas

L'Armagnac d'Ognoas

Légué à l'Eglise en 1824 par Etienne de Lormand, le domaine d'Ognoas est aujourd'hui propriété du département des Landes et représente 300 ha de forêt et 25 de vignes. Ici, l'armagnac est distillé dans un alambic datant de 1804. Vieillie ensuite dans des barriques de chêne, l'eau de vie développe alors tous ses arômes et sa couleur ambrée.

28 sep 1998
02m 41s

Difficultés du XIXe siècle

Le XIXe siècle est très contrasté pour la viticulture landaise : s'il s'ouvre sous les meilleurs auspices avec la forte demande provenant des guerres de la Révolution de l'Empire qui profite surtout aux eaux-de-vie, il voit aussi l'apparition des maladies cryptogamiques et du phylloxéra. C'est l'oïdium, un champignon s'attaquant aux raisins, qui se manifeste le premier en 1852 : alors que le département produisait environ 400 000 hl de vin annuellement, cette production tombe à environ 60 000 hl entre 1853 et 1856. Comme les vignes basses (piquepouts) sont peu sensibles à l'oïdium, beaucoup de viticulteurs abandonnèrent les cépages de qualité, tel le claverie, pour planter des piquepouts à un moment où les eaux-de-vie connaissent une forte demande. Le mildiou apparaît quant à lui au milieu des années 1870, mais très rapidement la phylloxéra devient le problème principal : en une dizaine d'années, le vignoble est pratiquement détruit. Ainsi, en l'espace d'une cinquantaine d'années, les vignerons ont dû subir plusieurs traumatismes successifs. Beaucoup se sont découragés, d'autant plus que le chemin de fer apportait des vins bon marché du Languedoc ou d'ailleurs.

C'en est fini momentanément des vins de qualité ; en revanche, l'armagnac résiste toujours et connaîtra encore de bons moments de prospérité, notamment durant les deux guerres mondiales.

Au XXe siècle : la création des appellations d'origine

Mais nous n'en sommes pas encore là. La reconstruction du vignoble s'est faite sur des superficies beaucoup plus modestes, avec des hybrides souvent, dont le fameux Baco 22A, créé en 1898 par l'instituteur François Baco, toujours autorisé aujourd'hui pour la distillation. À la même époque, les gouvernements soucieux d'éviter les crises se lancèrent dans une politique de régulation avec la création des appellations contrôlées. Deux thèses s'opposèrent alors : les uns penchaient pour une simple délimitation géographique, les autres pour un cahier des charges encadrant la production : les premiers s'imposèrent, ouvrant la porte à tous les abus puisqu'il suffisait qu'un vin ou une eau-de-vie fût produit dans l'aire délimitée pour en porter le nom, indépendamment de sa qualité. Et c'est ainsi que le décret Fallières, du 25 mai 1909, qui définit les trois régions produisant de l'armagnac, se présente sous la forme d'une simple liste de communes.

Les cent ans de l'appellation Armagnac

Les cent ans de l'appellation Armagnac

En 1909, un décret délimite l'aire d'appellation "Armagnac" aux départements des Landes, du Gers et du Lot-et-Garonne. Cette zone, qui obtient l'AOC en 1936, représente aujourd'hui 15 000 hectares de vignes dont 25% dans les Landes ; en 2009, les exportations vers les Etats-Unis et la Russie chutent du fait de la crise économique.

27 mai 2009
01m 44s

Ce n'est que plus tard, par le décret du 6 août 1936, que les conditions de production furent définies. Plus récemment, en 2005 et encore par le décret du 23 octobre 2009, une nouvelle réglementation a été adoptée instituant notamment un nouveau produit, la "blanche d'armagnac" et une délimitation parcellaire.

Quant au Tursan, c'est le décret du 11 juillet 1958 qui le reconnut comme VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure) ; ce décret fut modifié en 2003 et 2004 en instituant une délimitation parcellaire.

Le vin de Tursan

Le vin de Tursan

Le vin de Tursan 1987 vient d'arriver ; l'occasion de présenter ce vin régional dont le succès dépasse les frontières françaises grâce notamment à une politique commerciale dynamique et à une sélection rigoureuse menée par la cave coopérative de Geaune.

30 oct 1987
01m 23s

Depuis 2009, une procédure est engagée en vue de son classement en AOC (Appellation d'Origine Contrôlée). Actuellement, les vignobles de Tursan couvrent environ 450 ha, dispersées sur une trentaine de communes. D'autres vignerons produisent des vins de pays, dont certains ont une longue histoire derrière eux, comme le chalosse ou le vin de sable, produit sur les dunes de Capbreton ou de Messanges.

Union des coopératives des vins de Tursan et de Chalosse

Union des coopératives des vins de Tursan et de Chalosse

Outre l'excellente qualité des raisins, les vendanges 2000 en Tursan sont marquées par la fusion de la Coopérative des Vignerons du Tursan avec celles de Mugron et Pouillon. Cette nouvelle organisation devrait permettre de consolider la filière viticole landaise.

29 sep 2000
01m 40s

En définitive, la viticulture landaise, s'il elle a bien perdu en superficie par rapport à la période antérieure au phylloxéra, a gagné sur le plan qualitatif. Vignoble de proximité, il doit trouver ses débouchés sur place et se développer en séduisant la large clientèle potentielle des touristes qui peuvent être les commis voyageurs de ces vins agréables à boire et parfumés du souvenir de leurs vacances.

Bibliographie

BRUMONT, Francis, "Bayonne et le commerce des vins de Chalosse et Tursan aux XVIe et XVIIe siècles", Bulletin de la Société de Borda, nº 444, 1997, p. 25-50.

BRUMONT, Francis, "Les eaux-de-vie d'Armagnac, des origines à la Révolution", in Sept siècles d'histoire de l'armagnac, Auch : Société Archéologique du Gers, 2011, p. 46-74.