L'industrie brassicole dans le Nord

16 octobre 1980
04m 03s
Réf. 00004

Notice

Résumé :
Dans le Nord, les brasseurs essayent de préserver la diversité des bières en échappant à la banalisation du produit. Exemple chez Pelforth à Mons-en-Baroeul, avec une nouvelle bière rousse typée.
Date de diffusion :
16 octobre 1980
Source :

Éclairage

La production de bière, breuvage connu depuis la plus ancienne antiquité, se développe considérablement dans la région au Moyen Âge sous l’impulsion des ordres monastiques, qui y voient une source de revenu non négligeable. En formant également des apprentis laïcs, ils contribueront à la diffusion de leur savoir et à l’essor de l’activité brassicole. Au XIIIe siècle émergent ainsi les premières corporations de brasseurs.

Au XVe siècle, la recette (eau, malt, houblon) est fixée par édit et perdurera jusqu’à nos jours. La production demeure artisanale jusqu’au XIXe siècle, où les inventions de la révolution industrielle (machine à vapeur, machine frigorifique, science des levures, etc.) vont bouleverser les pratiques et encourager la concentration des moyens de production. Si nombre de brasseries artisanales disparaissent à cette époque, on compte encore près de 2600 brasseries dans la région à l’orée du XXe siècle.

De nombreux facteurs expliquent l’imprégnation du savoir-faire brassicole dans le territoire, notamment la qualité de l’eau et des terres, particulièrement adaptées aux cultures céréalières, mais également le faible coût de la boisson qui trouve naturellement sa place dans les estaminets d’une région industrielle et ouvrière. Élément de sociabilisation, la bière est présente dans toutes les couches de la société et se retrouve dans tous les grands événements qui rythment la vie locale, en témoignent les nombreuses références à Gambrinus, roi légendaire et emblème des buveurs de bière.

L’exposition de la région pendant les deux conflits mondiaux, durant lesquels de nombreuses brasseries seront démantelées afin de récupérer le cuivre de leurs cuves, va accélérer le regroupement et les fusions qui donneront naissance aux grands groupes actuels. La brasserie Pélican de Mons-en-Baroeul en est un parfait exemple. Au départ brasserie de la famille Waymel, devenue Brasserie Coopérative de Mons-en-Baroeul, elle est progressivement rachetée dans les années 50 par la brasserie Pélican de Lille. Rebaptisée Brasserie Pelforth en 1972, elle fusionne avec la Brasserie Carlier de Coudekerque-Branche et rachète nombre d’autres brasseries. Elle deviendra propriété de Heineken en 1988 et fonctionne toujours à plein actuellement. La Brasserie Motte-Cordonnier d’Armentières, devenue propriété d'Artois dans les années 70, n’aura pas la même chance et fermera définitivement ses portes en 2010, presque 20 ans après avoir arrêté ses activités de brassage. L'origine de cette brasserie réputée remontait à 1650. Elle devient Motte-Cordonnier en 1870 avec le mariage d'un héritier du textile, Motte (des filatures Motte-Bossut de Roubaix), avec la fille du brasseur. La brasserie fut détruite pendant la Première Guerre mondiale. Le nouveau bâtiment de l'architecte Marcel Forest, véritable château industriel, a été inscrit à l'inventaire des monuments historiques fin 1999 [1].

Les oppositions entre les grandes régions brassicoles (Nord, Belgique, Alsace) qui ont cours dans les années 70 et 80, perdent peu à peu de leur sens. Désormais les groupes sont internationaux, les productions concentrées (95% du houblon français est produit en Alsace) et les enjeux bancaires. Mais à côté de ces mastodontes du marché émerge depuis le milieu des années 80 un mouvement qui, bien que marginal en terme de ventes, ne cesse de progresser : celui de la microbrasserie ou de la brasserie artisanale.

Symbolisé par le succès immédiat des 3 Brasseurs à Lille en 1986, le phénomène continue de se développer. Quelques exemples récents sur la métropole : la Brasserie Cambier à Croix qui depuis 2014 propose la Mongy, la brasserie Moulin d’Ascq installée depuis 1999 à la Ferme du Sens et certifiée bio, ou encore Les bières de Célestin qui commercialise la Dix depuis sa microbrasserie du Vieux-Lille. A chaque fois on retrouve ce qui fait le succès de ces bières "de niche" : l’inventivité, le contact direct avec le consommateur et des matières premières de qualité.


[1] Plusieurs  projets sont à l'étude pour réhabiliter ce site remarquable, dont un pôle multi-loisirs "Euraloisirs", porté entre autres par la MEL.
Tristan Wallet

Transcription

Journaliste
Ainsi donc, les gros brasseurs semblent décidés, du moins dans le Nord, à préserver la diversité des bières fabriquées, rare privilège d’une région qui compte encore de nombreux petits et moyens brasseurs. Mais les mêmes gros brasseurs ont compris qu’il fallait échapper à la banalisation du produit. Pelforth par exemple, installé à Mons, pour la diffusion régionale, a gardé l’ancien nom, Pélican, mais pour le niveau français, il fallait un nom qui claque. Echapper à la banalisation, cela veut dire fabriquer une bière typée et la lancer sur le marché à grands coups de slogans publicitaires. A tel point qu’on finit par se demander si ces brasseurs vendent seulement de la bière ou s’ils ne vendent pas déjà du rêve !
(bruit)
Jacques Bonduel
Nous vendons de la bière en tant que produit de consommation de base dans cette région, et donc en tant que produit traditionnel, puisqu’il est encore consommé à table. Et par ailleurs, nous vendons également du rêve, non pas parce que nous pensons qu’il faut coûte que coûte vendre du rêve aux consommateurs, mais parce que nous avons un produit qui est, justement, traditionnel ; et qui, donc dans cette région en particulier, plonge ses racines très profondément dans l’histoire et même dans la géographie de notre région ; et que ceci nous a amené à personnaliser nos différentes marques. Et en les personnalisant, nous avons bien sûr essayé de joindre, si j’ose dire, l’utile à l’agréable, l’agréable c’est en quelque sorte le rêve.
Journaliste
Le rêve, dans ce cas précis, c’est la bière George Killian’s. Pas une petite affaire que cette bière rousse pour laquelle Pelforth a déposé un brevet. Pour la promotionner, le budget de publicité se situe aux alentours de 7 millions de Francs lourds chaque année. Bientôt, elle sera fabriquée sous licence dans le Colorado, pour le marché américain, puis par la suite peut-être en Allemagne et au Japon. Mais entre eux, les grands de la brasserie ne se font pas de cadeau. Les brasseurs du Nord redoutent leurs puissants collègues d’Alsace et de l’Est en général, ils redoutent encore plus leurs collègues belges. Evoquant la concurrence belge lors de leur dernière assemblée générale, les brasseurs du Nord parlaient de véritable invasion. En particulier, lorsqu’au début des années 70, le belge Stella Artois prenait le contrôle de Motte-Cordonnier à Armentières, cela a fait un véritable traumatisme dans la profession.
(bruit)
Bertrand Motte
Je n’ai pas eu du tout le sentiment que nous soyons des envahisseurs. Sur le plan de la balance commerciale, je peux vous dire que notre groupe est favorable à la France. C’est-à-dire que les orges françaises qui sont envoyées vers notre société mère en Belgique, en Francs, représentent plus que la bière belge qui vient en France. Et pourquoi cela, c’est parce que cette bière est seulement brassée, c’est-à-dire que l’orge est germé en Belgique, la bière est brassée et fermentée en Belgique, c’est donc vraiment une bière belge ; mais tout le reste, la filtration, la mise en bouteille, la mise en fût, le service commercial, le packaging, la publicité, le service après-vente, tout ça est français. Par conséquent, sur le plan de la balance commerciale, ça ne détruit pas. Par ailleurs, je dois vous dire que depuis que le groupe, notre société mère, est arrivée ici chez nous, nous brassons plus de bières françaises qu’avant. Nous avons par exemple un effectif qui est passé de 1971 à 1980 de 600 à 800 personnes.
Journaliste
C’est vrai que la pénétration des bières belges est importante dans la région, plus encore que dans le reste de la France. Mais les règles communautaires sont respectées. Par ailleurs, toujours elle, la brasserie alsacienne se montre plus offensive que celle du Nord, et a déjà racheté deux brasseries en Belgique. Alors simple compensation ? On peut le penser.
(bruit)